[CRITIQUE] Fantasia

Loin de la réalité

Fantasia, présenté au dernier Festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard, nous conte le récit d’un ouvrier – père d’une famille recomposée – atteint d’une leucémie. La mère, la fille et le fils se trouvent dans la situation compliquée de sauver un homme qui ne peut pas être guéri. La mère enchaîne les petits boulots pour essayer de subvenir aux besoins de la famille et aux traitements de son mari. La fille devient secrètement dame de compagnie dans un bar. Et le fils, quant à lui, quitte la réalité pour aller se poser le long d’un fleuve et s’imaginer une autre vie fantasmagorique.

Pour Wang Chao, filmer le quotidien et la réalité est une forme de courage, il ne cherche pas à raconter des histoires extraordinaires. Issu de la « Sixième Génération » de réalisateurs chinois comme Jia Zhang-Ke (A Touch of Sin) et Lou Ye (Une jeunesse chinoise), Wang Chao est fils d’ouvrier. Il filme donc un milieu qu’il a côtoyé enfant, tout en restant à distance de ses personnages et de son récit. Dans une mise en scène épurée, sans pathos, il montre une Chine hostile, se laissant ronger par le capitalisme.

Wang Chao filme rarement ses personnages ensemble, chacun est pris à part, comme isolés dans leurs réalités. Un leitmotiv musical indique les moments où le fils tente de s’en échapper. Une musique douce, comme sortie d’un rêve. La caméra légèrement instable capte les personnages pour les emprisonner dans le décor qui les entoure. Impossibilité de fuir, au final, le monde et la réalité.

Comme le père, aucun des personnages n’arrive à se lier aux autres. Ils sont bloqués, anéantis par leurs envies. Chacun, survivant avec ce qu’il peut, sans amour ni haine. Le fils est le seul qui désire fuir ce monde, partant à la recherche, le long du fleuve, d’autre chose. Vers la fin du film, le fils va voir le père sur son lit d’hôpital pendant une transfusion sanguine. Sur la main du malade, le sang passe à travers un tube rougeâtre, le fils pose son doigt et se retrouve alors lié à son père. Dans un contact morbide filmé en gros plan, les mains du père et du fils se retrouvent unies. Puis le père se lève et repart en rêve à l’époque maoïste. L’ouvrier symbolisant alors la nostalgie du régime de Mao, tandis que le fils incarne la nouvelle génération perdue.

Cinq ans après son dernier film, Memory of Love, où Wang Chao travaillait déjà le lien entre ses personnages avec distance, Fantasia est un film sans prétention qui tente de montrer les déviances d’un pays et les difficultés d’une famille à y survivre. Sans artifice, sans effet de caméra, il consacre son récit et met en place, dans la réalité, un échappatoire : celui de pouvoir tout quitter – école, famille – et recommencer à nouveau. Déjà, dans Memory of Love la femme adultère perdait la mémoire dans un accident, ce qui permettait au mari de repartir à zéro, tout en sachant que sa femme avait un amant. Dans Fantasia, aucun des personnages ne peut oublier que le père est atteint d’une maladie incurable, mais le fils se déconnecte peu à peu de la réalité, tandis que les deux autres s’y enfoncent plus profondément, en se cachant dans le dur quotidien, s’isolant de leur famille. Le film n’étudie pas les mouvements et les réactions de ces personnages. Il observe de loin, sans s’approcher, nous laissant seuls juges de cette fable universelle.

Marine Moutot

Réalisé par Wang Chao
Avec Ruijie Hu, Su Su, Xu Zhang
Drame, Chine, 1h26
1 juillet 2015

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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