Une certaine tendance du cinéma d’animation
Dans les films d’animation de tous horizons, une certaine tendance est apparue et se confirme au fil des années : celle de l’hybridation culturelle. Pas plus tard que l’an passé, Le Chant de la mer et son réalisateur Tomm Moore s’inspiraient largement du grand Hayao Miyazaki tout en affichant une identité visuelle originale. Les Nouveaux héros, sorti en février dernier, regroupait une flopée de savoir-faire venus des quatre coins du monde. De la même façon aujourd’hui, Mune, le gardien de la Lune, dessin animé produit et réalisé en Hexagone, oscille entre récit traditionnel purement français et touche visuelle américaine.
Le dessin traditionnel cher à la France semble bel et bien voué à disparaître. Le temps de Kirikou et des Triplettes de Belleville paraît déjà bien loin : aujourd’hui, les productions françaises n’hésitent pas à s’américaniser dans la forme, quitte à perdre une certaine identité visuelle plus primitive. Dans Mune, les couleurs sont criardes, les traits des visages mimétiques et les personnages en trois dimensions se substituent aux êtres de papier qui peuplent les films d’animation français depuis plusieurs décennies. En cela, les studios Pixar et Dreamworks (Alexandre Heboyan, qui a épaulé Benoît Philippon à la réalisation, en est d’ailleurs issu) ne sont pas très loin : visuellement, l’animation française vient littéralement se calquer sur les pratiques et les techniques américaines.
Cependant, une certaine spécificité visuelle parvient à s’exprimer dans ce flot d’images américanisées. Une diversité s’affiche au sein même des graphismes : quelques personnages sont extrêmement travaillés dans les détails du visage (les yeux brillants de Mune) ou dans leur particularité corporelle (l’élasticité de Cire qui fond comme une bougie ou la minceur de Mune, qui donne à la fois une élégance et un côté maladroit au jeune faune). D’autres sont très peu élaborés, réduits à des caractères visuels extrêmement basiques : le vieux Krrrack, constitué d’un assemblage de formes rondes et circulaires et les deux petits diablotins, Mox et Spleen, aux aspects drôlement rudimentaires. Dans un cas comme dans l’autre, les physionomies des personnages se rapportent parfaitement au milieu naturel ou à l’astre auquel ils sont rattachés. Une animation plus simpliste peut alors trouver sa place, à travers les personnages précédemment cités comme dans les séquences de rêves, entièrement dessinées à la main.
C’est dans la narration que la tradition française perdure davantage, car Mune n’est autre qu’un conte pour enfants. La Terre est divisée en deux parties distinctes : le monde du Soleil où le gardien Sohone doit prendre soin de l’astre brûlant et le monde de la nuit, où le petit Mune est chargé de veiller sur la Lune et de contrôler les songes. En cela, le film rend alors compte du goût spécifiquement français pour les histoires les plus simples, parfois manichéennes, mais toujours enchanteresses. Un lien avec des films comme Ernest et Célestine, Jean de la Lune ou encore Le Roi et l’oiseau, adapté d’un conte d’Andersen, peut alors être tissé, tant l’histoire de Mune relève de la fable. Si le film est réussi graphiquement, c’est bien devant le récit, pourtant classique, que les esprits enfantins s’attendriront le plus.
Emilie Bochard
Réalisé par Benoît Philippon
Avec les voix de Michael Gregorio, Omar Sy, Izia Higelin
Animation, France, 1h26
14 octobre 2015