Brotherhood of animals
Il faut savoir évoluer avec son temps, et les studios Disney l’ont bien compris. Depuis La Reine des neiges, la maison de Mickey semble bien déterminée à faire bouger les lignes de son Histoire. Finis les films de princesse traditionnels, les amitiés lisses et les animaux tout gentils : place à l’innovation et au progrès. La métamorphose ne s’est pourtant pas faite d’un coup de baguette magique. Avec Zootopie, les studios poursuivent l’entreprise qu’ils avaient commencée avec Les Nouveaux héros : multiplier les références cinématographiques, s’adresser aux plus petits en évoquant des sujets compliqués, et surtout, échapper à toute catégorisation, dans le but de créer un véritable film familial destiné aux filles comme aux garçons.
Zootopie est d’abord un objet cinématographique visuellement vertigineux. L’architecture de la ville rappelle l’inventivité formelle de Monstres et cie : les différents quartiers propres à chaque espèce d’animaux (Tundratown et Sahara Square en tête), les dispositifs mis en place pour faire cohabiter mammifères minuscules et mastodontes ou encore le club naturiste qui interroge l’accès à la civilisation de ces bêtes autrefois primitives font de Zootopie un univers crédible et cohérent, où l’être humain n’a pas sa place. Le film fait aussi appel à plusieurs références : là où Les Nouveaux héros s’avérait être un objet hybride mixant plusieurs influences – Pixar, Marvel et le manga japonais -, Zootopie pioche plutôt du côté du film policier et du buddy movie. Judy Hopps, une lapine provinciale déterminée, et Nick Wilde, un renard malin qui tente de survivre à la jungle urbaine en arnaquant son prochain, seront amenés à travailler ensemble, malgré leur mésentente, sur une mystérieuse enquête : un malfrat fait revenir les plus grands prédateurs – lions, jaguars et autres ours polaires – à leur état sauvage, créant la panique au sein de la métropole.
Cette intrigue, qui se révèlera une passionnante investigation pour nos deux héros, permet au film de traiter des sujets bien plus sombres. Les Nouveaux héros prenait pour sujet le deuil suite à la perte d’un être cher ; ici, Disney continue sur sa lancée et choisit d’aborder des questions brûlantes d’actualité. Racisme, terrorisme et corruption du pouvoir politique sont au centre de Zootopie : par le biais d’un monde imaginé de toutes pièces, il s’agit de montrer à nos petites têtes blondes les difficultés du vivre ensemble et de leur ouvrir une fenêtre sur les méandres de notre réalité. A travers la persévérance de Judy, les messages d’espoir de Gazelle (la star locale doublée par Shakira), et l’harmonie dans laquelle tous les animaux parviennent à cohabiter, le film est réellement investi d’une portée pédagogique et semble vouloir former les jeunes enfants d’aujourd’hui à devenir les citoyens de demain. Sous ses airs de bonbon acidulé, Zootopie est en fait un grand film sur la tolérance et sur l’acceptation des différences, comme la promesse d’un monde meilleur.
Les yeux tournés vers l’avenir, Disney n’en oublie pas pour autant de renouer avec le passé : Zootopie se rattache aux films d’animaux anthropomorphisés tels que Robin des bois,Le Roi Lion ou encore Rox et Rouky, qui ont fait les beaux jours du studio. Des films qui permettent de parler implicitement ou frontalement de la condition humaine, mais qui empêchent surtout toute catégorisation. Loin des princesses niaises et des histoires d’amour à l’eau de rose, Disney se jette à nouveau à corps perdu dans le genre le plus fédérateur qui soit : le film familial. Les mammifères du monde entier, petits et grands, mâles comme femelles, pourront se retrouver, ensemble, devant cette histoire universelle. Dans cet hommage au passé, les studios font aussi une avancée majeure : Judy, la lapine-flic, est la première héroïne depuis Alice aux pays des merveilles (depuis 1951 donc) à ne pas courir après l’amour, mais surtout le tout premier personnage féminin de l’Histoire de Disney à réellement s’émanciper du carcan familial pour accomplir ses rêves. La petite femelle doit en plus trouver sa place parmi des colosses mâles, dans un métier longtemps considéré comme exclusivement masculin. La reine des neiges Elsa et son « libérée délivrée » n’ont qu’à bien se tenir : avec Judy, le féminisme a bel et bien franchi les portes du royaume disneyien.
En montrant un monde chimérique où les petits peuvent devenir grands, où les hommes et les femmes sont sur un même pied d’égalité et où les différentes espèces peuvent cohabiter en paix, Zootopie est une grande bouffée d’air frais dans les productions Disney récentes. A force de nous offrir des films où l’indépendance des personnages n’était jamais réellement complète, la machine à rêves de ce cher Walt a finalement réussi à dépasser les limites de la tiédeur et à s’assumer pleinement dans une modernité qui aura mis du temps à s’imposer. Une évolution progressive qui ne paraît pas étrangère à l’arrivée de John Lasseter à la tête de la compagnie en 2007 : cet homme de génie, qui semble vouloir inculquer à nos enfants des valeurs de partage et de fraternité, aura vu naître sous son règne des œuvres prometteuses pour l’avenir du film d’animation comme pour celui de l’Humanité. Children are the new hope.
Emilie Bochard
Réalisé par Rich Moore et Byron Howard
Avec les voix de Ginnifer Goodwin, Jason Bateman, Idris Elba
Animation, Etats-Unis, 1h48
17 février 2016
Un avis sur « [CRITIQUE] Zootopie »