[CRITIQUE] Normandie Nue

Franche camaraderie

Il y a quelque chose d’étrange chez Normandie Nue, à la fois un sens de l’humanisme, de personnages intéressants, une critique juste et de l’autre côté, des personnages grotesques, un goût prononcé pour l’humour malsain et des situations aberrantes. Le film est bancal, l’ensemble laisse à désirer et l’idée de voir François Cluzet nu n’est pas un atout suffisant pour voir la fin du film.

Philippe Le Guay a prouvé dans ses précédents films qu’il pouvait lier humour et lutte des classes, le côté social du film Les femmes du 6ème étage, par exemple, était mêlé à un humour décapant qui ne laissait personne indemne. Ici, dans Normandie Nue, l’humour est moins incisif, moins clair, il n’a pas la pertinence de toucher juste. Pourtant le message du film – en tout cas du début – est fort et porteur : l’agriculture en France doit être réformée et autant du côté du consommateur que de l’agriculteur. Il est clair qu’aujourd’hui dans nos pays où la consommation rime avec petits prix, le consommateur/spectateur est amené à faire des choix éthiques : le porte-monnaie ou le respect. Sous-entendu, le respect du travail de l’autre, celui qui nourrit, alors qu’il n’arrive plus à se nourrir lui-même. Tandis que l’agriculteur, lui, doit revoir ses méthodes de travail et refuser le dictat de cette loi du marché qui veut tout plus vite et mieux. Au final, le respect doit passer des deux côtés. Le réalisateur filme des personnages à bout, qui accrocher à des traditions et à leurs terres voient tout disparaître. Leurs ancêtres se retournant dans la tombe. L’élan de soutien de la part des autres habitants de la ville est appréciable et les querelles, vieilles comme le monde, minent les paysans entre eux. Tout cela est bien dit, bien montré, bien fait. Pourtant, passé la première demi-heure, le film passe en roue libre et livre un récit décousu qui part dans tous les sens.

Il est intéressant de faire un film sur ce sujet, peu traité au cinéma et surtout pas du côté de la comédie sociale. Petit Paysan, sorti en 2017, parlait déjà du manque de soutien, de la difficulté de vivre de son travail, de la dure loi du métier de paysan. Philippe Le Guay le prend avec humour et pointe du doigt le mal, là où il se trouve. À partir du moment, où il arrête, où il rentre dans l’idée centrale du film : mettre nu des personnes qui n’ont déjà plus rien. Le film vire à la farce. Pourquoi pas ? L’idée est bien défendue par le film lui-même. Cette idée, bien menée – dans notre monde du buzz et de l’instantané – de photographier des hommes et des femmes nus, dans leurs champs, pour montrer comment la société les a dépouillé. Jolie métaphore du dépouillement de la dignité de paysans qui à la sueur de leurs fronts nourrissent le pays et qui ne sont pas remerciés. Pourtant les multiples gages, et surtout le dernier plan trahit l’idée générée par le film : la réussite de cette fameuse photographie pour leur reconnaissance nationale, voire internationale. Même s’il faut un happy end, le sourire, les bras levés, le cadre, la lumière de l’arrêt sur image ne montrent pas la réalité que vivent ces gens. Alors oui, il y a eu maintes péripéties pour que cette photographie soit prise, mais ce sourire à la fin sur ces corps nus n’est-ce pas le cinéma français qui adoucit tous les maux pour en faire un énième film sans fond ?

Puis, derrière la lutte pour une vie digne, se dessine la critique de l’art pour l’art. En effet, les normands ont dû supporter un photographe américain bizarre avec des exigences d’artistes, eux qui ne voyaient que la cause sociale. Leur vie à eux a été confrontée à un photographe qui ne voyait au final plus rien de la nature, ainsi qu’un goût pour le macabre et ne pensait plus, ne respirait plus que pour son art. Le choc de deux mondes. Deux mondes qui aujourd’hui se font face et ne se comprennent pas. Et le pont entre eux c’est le personnage de François Cluzet, homme sacrifié qui a donné sa vie pour la communauté. Ce beau personnage, fort, servit par un Cluzet au meilleur de son art ne suffit pas à sauver la ribambelle de personnages tristes qui se suivent. Entre le stéréotype du paysan perdu et celui du parisien qui veut aimer la campagne (mais c’est finalement la campagne qui lui veut du mal).

Chaque personnage cherche sa place dans ce carrousel flou. Que le boucher devienne fou, que la jeune arrogante soit peu sûre d’elle, que le paysan revendique les terres de ses aïeux perde la tête, que le photographe rêve de goûter le boudin, que le jeune reprenne la boutique de son père, que la collégienne parisienne se rebelle, que le parisien ait de l’eczéma, pourquoi pas. Pourquoi pas, mais la farandole de personnages peu découpés dans le papier, donne à l’écran du vide et des pitreries qui ternissent le film et son propos.

À vouloir raconter une fresque universelle, Philippe Le Guay raconte un film fourre-tout où tout est prétexte à histoire.

Marine Moutot

Réalisé par Philippe Le Guay
Avec François Cluzet, Toby Jones, Arthur Dupont, François-Xavier Demaison
Comédie, France, 1h47
10 janvier 2018

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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