L’homme fantasma la femme
Lara Croft est l’un des personnages de jeu vidéo les plus connus. Apparu en 1996, ce personnage aux formes sensuelles et improbables acquière une notoriété très rapidement et devient une franchise qui ne cesse de se développer. En 2001, sort le premier film d’un dytique avec en tête d’affiche Angelina Jolie, dont les formes sont proches – la taille de guêpe en moins – du jeu vidéo. Les deux premiers films souffrent d’un problème scénaristique ce qui est souvent le cas des adaptations de jeu vidéo, mais également d’héroïnes féminines – nous pensons par exemple à Elektra ou Catwoman sortis vers la même période. L’autre problème du film est les scènes d’action qui ont clairement été sabotées et évacuées avec la même prestance que le scénario. En 2013, le jeu vidéo décide de raconter la jeunesse et l’apprentissage de Lara Croft. Les normes esthétiques et physiques ont changé depuis le début des années 2000. Les femmes sont plus athlétiques, plus androgynes. Elle perd alors une partie de sa poitrine et de ses fesses, elle est plus brute, plus naïve également. En 2018 sort le film. Alicia Vikander campe une Lara Croft de 21 ans, casse-cou, indépendante et androgyne. Les faiblesses du scénario sont là aussi frappantes. Les énigmes sont évacuées pour laisser place à de l’action et des combats, comme si l’apprentissage de Lara devait se passer dans la violence. Par le physique et non le mental. Nous ne pouvons pas nous empêcher de passer qu’il s’agit là d’un sous Indiana Jones et La Dernière Croisade. Mais outre le physique et les scènes de combat qui semblent à la fois plus réaliste et plus violente dans le nouvel opus, les différences et les ressemblances sont dans les mythes et les métaphores que les films déploient. La femme évolue, mais le regard de l’homme reste-t-il le même ?
La place du père
Pour Lara Croft, son père a une place centrale dans sa vie. Il est l’homme à abattre pour avancer, que ce soit dans le premier film de la franchise, avec Angelina Jolie, ou le nouveau qui met en scène Alicia Vikander. L’enquête tourne, dans les deux cas, autour d’une ancienne relique que leur père n’a pas trouvée. Aujourd’hui disparu, l’homme si cher à leur cœur, les hante et les pousse à faire des choix. Le père, c’est l’image du patriarcal qui régit leur vie. Si Lara/Alicia travaille, souhaitant gagner sa vie par ses propres moyens, c’est qu’elle en veut à son père de l’avoir abandonné si jeune sans qu’elle sache réellement pourquoi. Elle rejette la figure patriarcale pour vivre à sa manière : boxant dans un club miteux et étant coursière à vélo. Mais le souvenir du père hante ce nouvel opus : un père aimant, un père qui ne veut pas partir mais qui doit. Le sens de la responsabilité. Alors que la jeune femme se fait arrêter par la police, sa tutrice en profite pour revenir à la charge : elle doit admettre que son père est mort et reprendre l’entreprise familiale, sinon elle pourrait perdre le manoir de son père. Et c’est à partir de ce moment-là que tout commence, le mécanisme se met en place et la recherche de son père peut enfin être lancée. Très vite, Lara/Alicia a conscience que son père n’est peut-être pas mort et elle décide de partir sur ses traces. Il en va de même pour Lara/Angelina qui suit les écrits de son père et trouve – non pas dans un caveau, mais dans un livre – un message lui annonçant sa mort. Les deux missions sont dangereuses et si elles échouent il s’agirait de la fin du monde. Chacune des deux femmes retrouve leur père – Lara/Angelina dans un espace-temps incertain créé par un triangle sacré et Lara/Alicia sur une île de l’Archipel du Japon en chair et en os – et réinstaurent ainsi le patriarcat qu’elles avaient si longtemps dénié. À la fin du film, tous rentre dans l’ordre et elles font ce qu’elles refusaient de faire au début du film : Lara/Angelina porte une robe et Lara/Alicia signe les papiers. La mort du père ici ne signifie donc pas la mort du patriarcat, mais plutôt son acceptation dans toutes ses formes. Si Lara/Alicia semble s’en détacher dès le début avec son envie de gagner de l’argent par elle-même, de ne pas aller à l’université, elle s’en rapproche de manière beaucoup plus frontale à la fin de l’épisode. Elle va même à honorer la mémoire de son père défunt qui lui a appris la persévérance et de ne jamais abandonner. Là où Lara/Angelina ressentait un vide immense quand elle pensait à son père, elle accepte sa décision de ne pas le ressusciter et d’avancer seule dans la vie, en se rappelant qu’il restera près d’elle. Dans une scène mielleuse Lara/Angelina faisait face à son père quémandant le courage qu’elle ne semblait plus avoir. La mort du père n’aura servit à rien, sa présence se faisant encore plus présente. La robe et le caveau familial devenant chacun un lien qui réunissent la fille au père, par delà la vie et la mort.
Le corps à corps
Alors que le père qui sert de mentor à Lara que ce soit dans le nouvel opus que dans l’ancienne saga, le corps revêt son principal pouvoir d’attraction dans les trois films. Ainsi que la manière dont elle l’emploie. Encore très inspiré de l’adaptation du jeu vidéo les films de 2001 et 2003, offrent dans les scènes d’action une foule de gestes inutiles empruntés au jeu. Le fait de tournoyer autour d’une barre en fer deux ou trois fois avant d’atterrir, de replacer systématiquement ses pistolets au-dessus de ses seins – posture reprise de manière ironique à la fin du nouvel épisode … Les images aux ralentis pour montrer un geste, un saut de Lara. La voir en pleine action, découper son mouvement, le tout pour donner une ambiance de jeu vidéo. Le problème est que le cinéma possède d’autres codes visuels. Que les actions ne soient pas réalistes ne posent pas forcément problème, le problème est leur cadrage et la manière dont ils s’inscrivent dans le scénario. Les combats du nouvel opus, sont plus bruts, au corps-à-corps. Lara/Alicia se bat à la fois contre les éléments – crash d’un avion, naufrage dans une mer agitée, combat dans la boue – mais emprunte autant aux jeux vidéo qu’aux films d’action de survis – dû sans doute grâce à son réalisateur qui a réalisé The Wave film de survis face à un tsunami. Mais la différence entre le jeu vidéo des années 1990 et des années 2010 est que le jeu se rapproche de plus en plus au cinéma, usant de la technologique disponible pour rendre les personnages plus réels, avec des cadrages plus précis. C’est peut-être pour cela que le corps de Lara en 2013 est plus musclé, plus fin dans ses proportions.
Le rapport aux hommes est également différent. Tandis que Lara/Angelina entretenait une relation ambiguë avec Alex Marrs – interprété par Daniel Craig – Lara/Alicia n’a aucun rapprochement physique avec un homme. Dans le premier film, Alex Marrs se montre clairement intéressé par Lara qui le rejette froidement, ce qui n’empêche pas Lara de le regarder de haut en bas quand elle le surprend nu chez lui ou de l’embrasser une fois qu’il soit blessé. Le rapport amoureux est encore plus clair dans le deuxième film où son ancien amant joué par Gerard Butler n’arrête pas de lui rappeler leur passé amoureux. Mais là encore cette approche frontale ne fait que repousser Lara/Angelina qui n’hésite pas à le menotter et finalement le tuer à la fin du film. Lara/Alicia quant à elle est totalement exemptée de relation, le regard de Lu Ren en dit long sur le désir qu’il porte sur Lara mais il est très évacué par le scénario qui les transforme en compagnon de combat, voire même amis, plutôt qu’amants. Lara n’y fait d’ailleurs même pas attention, la rendant naïve, mais également asexuée. Par ailleurs, qu’elle soit interprétée par Angelina Jolie ou Alicia Vikander, Lara en impose, les regards la suivent, la dévisagent, mais il y voit soit une amie, soit une ennemie, un modèle à abattre. Aucun des méchants n’essayera de rabaisser sexuellement Lara parce que c’est une femme, ils la sous-estimeront – et souvent pas très longtemps – mais à la fin, elle sera toujours celle qui a la clé pour réussir. Si au fond cela n’est pas du féminisme détourné sous un enduit de male gaze, qu’est-ce d’autres ?
Lara Croft a encore de beaux jours devant elle. Héroïne à la fois forte, indépendante, mais soumise malgré tout au patriarcat qui l’a créée, la prochaine aventure de cette femme sera de se libérer. Et d’affirmer haut et fort son indépendance et son intelligence.
Marine Moutot
Lara Croft : Tomb Raider, 2001
Réalisé par Simon West
Avec Angelina Jolie, Daniel Craig, Ian Glen, John Voight
Lara Croft Tomb Raider : Le Berceau de la Vie, 2003
Réalisé par Jan de Bon
Avec Angelina Jolie, Gerard Bulter, Ciáran Hinds, Djimon Hounson
Tomb Raider, 2018
Réalisé par Roar Uthang
Avec Alicia Vikander, Dominic West, Walton Goggins, Daniel Wu, Kristin Scott Thomas
Un avis sur « Dans l’univers de Tomb Raider »