[CRITIQUE] Alberto Giacometti, The Final Portrait

Dans le flou de l’atelier

Stanley Tucci a décidé de prendre un instant très particulier de la vie d’Alberto Giacometti. La fin de sa vie et l’épisode du portrait de l’écrivain américain James Lord. Le film commence et finit sur le même effet de mise en scène : un ralenti, la voix-off d’Armie Harmer et une musique lancinante, un brin anecdotique. Le film ouvre une parenthèse et la referme, bloqué entre ces deux espaces filmiques. La diégèse avance à une vite folle, entre coups de pinceaux, moments de délire, piscine, répétitions et fixations des visages jusqu’à l’obsession. Les effets de flou détachent l’objet du décor et lui donne une temporalité ralentie, comme suspendue. Dans les moments où Giacometti s’évertue à peindre Lord, la mise en scène reprend sans cesse le même ballet, la même musique. Choix intéressant qui montre la répétition et la monotonie du travail de peintre, mais par-dessus tout du modèle. L’étrange association entre la caméra devenue pinceau brouille les lignes de la narration. Stanley Tucci se perdant quelque peu dans cet exercice de style : montrer l’artiste au travail, mais du point de vue de modèle, tout en étant du côté du peintre. Cette confusion révèle sans doute d’une envie d’en faire trop sans prendre le temps de bien le faire.

Le réalisateur s’applique à un genre filmographique très difficile : le biopic. La vie des artistes a toujours fasciné : qui sont les hommes derrière les artistes ? Qui sont ces artistes mis au rang de maîtres, mais finalement simples mortels. Le biopic peut être à la fois ennuyeux à mourir et profondément didactique. Le genre prend de l’importance quand il invente une vie et s’éloigne des faits, quand il arrête de regarder des acteurs mettre en forme des êtres souvent incompris. Ici, Stanley Tucci souhaite montrer l’artiste au travail et pour cela il passe par son sujet. En choisissant, un instant bref, une expérience unique, il se détache des biopics ronronnant qui ne savent pas quoi dire. En suivant l’écrivain dans sa dernière rencontre avec Giacometti, il montre une vision déformée de l’homme, qui ne peut être vu que comme un homme au travail, ou au travers des vitres, des miroirs qui montrent ses obsessions – une maitresse prostituée qui fut également un de ses derniers modèles – et ses faiblesses – une femme oppressante et triste qui l’accompagne dans tous ses instants et le comprend comme personne. L’américain ici regarde, observe et ne juge pas. Le coup de maître du réalisateur a été de faire des effets de mises en scène intéressants qui viennent déformer cette réalité qui reste étroitement lier à l’atelier : le repère du peintre.

Très rapidement, Stanley Tucci dresse le portrait des personnes avec facilité presque, à la limite du cliché : l’artiste dans ses coups d’éclat, l’écrivain dans ses gestes anodins – une cigarette qui saute d’un paquet, des vêtements parfaits, une chaise qu’on époussète. La caméra qui se rapproche du peintre comme le peintre qui observe son sujet, il décortique. Mais il use et use sans cesse des mêmes effets qui rendent le propos désagréable : une musique à la française, très gai qui ressert le rythme du film de manière mécanique, comme on pourrait entendre dans le métro parisien. Le film reste à une carte postale expéditive, Paris et ses artistes vus par un américain. Alors que Stanley Tucci s’applique à faire des effets de mise en scène, certes parfois très artificiels, il reste à la surface de son sujet et ne cherche pas à soulever les couches de peinture que l’artiste applique. Le film est trop court pour cela, il n’y a pas le temps. Alors on enchaîne plusieurs jours qui se ressemblent, avec des nuances sans subtilité.

Au final, l’artiste meurt à l’écran car le cinéma ne réussit pas à rendre compréhensible l’incompréhensible : le génie de l’artiste. Ici même si Geoffrey Rush s’égosille à tout va que son génie est tiré de son doute, de ses moments de folie, il n’y a rien qui est plus intangible que le doute, que la création. Le cinéma a voulu nous prouver qu’il pouvait tout nous montrer : allant du sanglant, à la tristesse en passant par la joie et l’horreur. Mais le cinéma parfois manque d’éléments pour que le génie d’un artiste comme Giacometti soit visible.

Marine Moutot

Réalisé par Stanley Tucci
Avec Geoffrey Rush, Armie Harmer, Sylvie Testud, Tony Shalhoub, Clémence Poésy
Drame, Biopic, Angleterre, France
6 juin 2018 (1h34)

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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