[CRITIQUE] Grave

« T’as un goût de curry. »

Une nationale balisée par de hauts arbres. Une voiture arrive à vive allure. Un individu surgit du bas-côté et se jette sous ses roues. Le véhicule dévie et s’écrase contre un tronc. Simple et efficace, c’est ainsi que Grave s’ouvre au spectateur par le trépas et l’écrasement des corps. Un objectif : susciter le choc.

Justine, seize ans et surdouée, intègre l’école vétérinaire dans laquelle sa mère et sa sœur ont déjà fait leurs premières armes. À peine installée, des étudiants cagoulés forcent sa porte, la sortent de force de sa chambre et jettent son matelas au bas de sa fenêtre. Le bizutage a commencé. Au programme : seaux de sang de porc sur jeunes étudiants apeurés, danses aux soirées alcoolisées jusqu’au petit jour et rognons de lapin au petit déjeuner. Ce régime ne réussit pas à la jeune végétarienne qui se découvre une passion soudaine pour des nourritures plus substantielles.

Le film ne tombe pas dans les clichés esthétiques du genre de l’horreur : jump scare, mouvements de caméra rapides ou pics de son soudains – et tant mieux ! Une volonté de créer un film d’horreur à la française ? De plus, la bande son est bien réussie, les maquillages très réalistes et les performances techniques particulièrement impressionnantes – notamment un travelling avant entre les étudiants alcoolisés à une soirée qui se termine sur une Justine lascivement étendue sur une table.

Julia Ducournau, jeune réalisatrice tout droit sortie de la Fémis, avait déjà abordé le thème de l’adolescence dans son court-métrage, Junior, Prix du Public des courts-métrages français à Premiers Plans 2012. Métamorphose progressive mais violente commencée dans le sang, la puberté se manifeste d’abord par la chair et de vifs changements de comportement : fringales carnivores, desquamations nocturnes, insensibilité soudaine et sexualité dévorante. Ducournau évoque d’ailleurs un lien entre sa Justine et celle de Sade, une esclave sexuelle qui prend rapidement plaisir à sa situation.

Et à part de puberté, de quoi parle-t-on ? Les pulsions, l’addiction… L’adolescence est ici un temps de perte de contrôle et la réalisatrice cherche à en faire une métaphore assez universelle. Dans cette école, on mange du poulet et puis rapidement, les choses dégénèrent et on passe à du grignotage de doigt pour finir par dévorer son coloc. D’ailleurs, c’est encore un film de chasseurs et de proies (cf. Pretenders, premier film de l’estonien Vallo Toomla, aussi présent dans la compétition), parfaitement illustré par une très belle scène de match de foot : les plans fixes rapprochés sur le visage de Justine alternant avec un panoramique sur la course de son colocataire Adrien, torse nu, créent une tension assez fascinante. Mais s’agit-il de pulsions sexuelles ou de pulsions alimentaires ?

À cela, il faut ajouter une bonne dose d’humour : Ducournau veut faire rire avec du gore – on était d’ailleurs peut être préparé à plus d’horreur. Bien que le travail sur l’atavisme – ici, on est végétarienne et vétérinaire de mère en fille – amène naturellement le spectateur à cette conclusion, le final marque l’acmé de ce délire absurde – et pourtant très souvent réaliste – de la réalisatrice. Le film est d’ailleurs totalement construit sur une énorme absurdité : nourrir des végétariens, c’est dangereux. Et bien, marier humour et gore fonctionne très bien sur le spectateur !

Pour en revenir aux histoires de famille – car c’est là qu’est le clef de l’intrigue –, elles tissent la matière du film en soulignant les ressemblances sororales : les reflets de Justine et Alex superposés sur une vitre, leurs traits mêlés se confondant, ne faisant plus qu’un dans leur échec. Car de la famille, on en arrive à parler d’échec et de fatalité. Peut-on réellement lutter contre sa vraie nature ? Et la mère, origine de tout, prend énormément de place malgré ses apparitions rapides à l’écran : elle refuse littéralement de laisser ses filles voler de leurs propres ailes, repoussant Alex au fond de son fauteuil à roulettes. Et quand Justine pense avoir enfin coupé le cordon, elle découvre le pot aux roses : on ne se défait pas de sa famille aussi facilement, et encore moins de son hérédité.

Manon Koken

Réalisé par Julia Ducournau
Avec Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Naït Oufella
Drame, Epouvante-horreur, France, Belgique, Italie, 1h38
15 mars 2017

N’hésitez pas à écouter la bande son de Grave, hypnotique, angoissante par Jim Williams

Cet article a été publié sur le Startin’Blog du Festival Premiers Plans d’Angers dans le cadre d’un atelier d’écriture le 28 janvier 2017.

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

6 commentaires sur « [CRITIQUE] Grave »

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