Vie de quartier
Grand Prix du Jury du Film Indépendant des Champs-Élysées Film Festival, Sollers Points – Baltimore raconte l’histoire de Keith, qui après avoir fait de la prison et à quelques mois à assignation à résidence chez son père, revient à Sollers Points. Ce quartier de Baltimore est traversé par les tensions raciales à cause du chômage et de la pauvreté qui se fait de plus en plus sentir. À la manière de la série Atlanta, le film suit le jeune homme qui cherche à se construire un avenir dans les rues de la ville.
Le réalisateur, Matthew Porterfield, après Putty Hill et I used to be darker, revient à Baltimore et s’attache une nouvelle fois à y décrire sa jeunesse, son désarroi et ses espoirs. Dans Putty Hill, le réalisateur décrit dans un faux documentaire la vie de jeunes gens après la mort par overdose d’un des leurs. Cet effet documentaire se ressent dans Sollers Points, dans le montage coupé, dans les multiples scènes qui s’enchaînent comme des bouts pris par-ci par-là, l’importance de l’instant plus que de l’histoire. Le fil conducteur, finalement, sont les problèmes sociaux du quartier vu par les yeux de Keith : le réalisateur montre l’importance de la couleur de peaux, encore aujourd’hui, et des petits boulots comme vendre de la drogue pour survivre dans une jungle moderne. L’appartenance à une communauté semble également le passage obligé. Alors qu’en prison, il s’est lié à un gang de blanc violent par nécessité, il est ami dans son quartier avec des noirs. La vérité dans le cinéma de Matthew Porterfield est celle qui passe par la documentation, le témoignage. Et c’est ce qui fait la force de ses films. Si une scène, comme la rencontre avec le chef blanc de la bande, homme à la philosophie mystique sonne si juste en étant ridiculement drôle, c’est parce qu’elle s’inspire d’un vrai gourou et de sa manière de vivre. Le réalisateur s’attache à montrer la vie telle qu’elle est, dans le geste du document d’archives. Il documente la vie, même si Sollers Point reste une fiction dans l’histoire qu’il raconte.
L’aspect plus social du long-métrage est montré par sa difficulté d’intégration. Keith n’arrive pas à s’adapter. Le gang de blanc est trop violent et trop dans l’illégalité pour qu’il continue à les fréquenter, comme une envie d’un réel retour à l’ordre dans sa vie, que son quartier ne lui permet pas. La relation père-fils est mise en sourdine pendant tout le film, mais se révèle dans une belle scène de fin où le père supplie l’ex-fiancé de son fils de ne pas aller à la police. La fin comme dans la vraie vie ne comporte ni happy end ni résolution, juste la promesse d’une continuation vers une vie meilleure ou pire. L’instant, plus que l’histoire. Ce qui rend Keith plus vrai et plus proche de nous, le réalisateur n’est jamais dans le jugement ni dans le mépris de ses personnages, il reste à distance, les observant de loin. De plus, il y a une réelle volonté de s’attacher à leurs actions plus que dans le contexte politique dans lequel ils évoluent. Le film réalisé en 2016, juste avant l’élection de Trump, ne se fait pas ressentir dans l’histoire. Le récit est sans date, pouvant se passer il y a 10 ans, comme demain. Le cinéaste est même allé jusqu’à demander aux personnes d’enlever les panneaux appelant à voter de leur jardin lorsqu’il tournait. Le sujet du film n’était pas là, ce n’était pas l’histoire de l’Amérique, mais de Sollers Point, petit quartier de Baltimore, comme il y en a beaucoup dans le reste du pays. Si le titre ne nous donnait pas, par ailleurs, sa localisation, il n’y aurait aucun indice dans le film qui pourrait nous aider.
Sollers Point — Baltimore qui a reçu l’aide du CNC grâce à sa productrice française est un film indépendant fort qui mérite d’être découvert pour son sujet, trop souvent laissé de côté par les longs-métrages américains actuels. C’est un film sur la jeunesse délaissée de l’Amérique. Un beau film donc.
Marine Moutot
Réalisé par Matthew Porterfield
Avec McCaul Lombardi, James Belushi, Zazie Beetz
Drame, France, Etats-Unis, 1h41
29 août 2018