La légende de Robin des Bois
Et si nous commencions cet article en vous disant que Robin des Bois est une erreur de traduction. En effet, dans la tradition anglaise le héros est nommé Robin Hood soit littéralement, Robin à la capuche ou Robin le Truaud, le mot hood pouvant signer «capuche» ou «truand». La traduction française ayant été faite sur une erreur confondant Hood avec Wood.
Le personnage de Robin des Bois apparaît d’abord dans la tradition orale anglaise. Il s’agit d’un héros typique du Moyen-Âge qui était un noble vivant dans la forêt de Sherwood, détroussant les riches pour le redistribuer au pauvre. Il est fait la mention pour la première fois de ce nom dans un parchemin judiciaire datant du 1228. La légende serait-elle tirée de la réalité ? En tout cas, dès le début du XVIe siècle, le brigand apparait dans des ballades populaires et c’est en 1377 qu’il est cité pour la première fois dans une œuvre littéraire : Pierre le laboureur (Piers Plowman) de William Langland.
Au cours du siècle d’après, la légende de Robin des Bois commence à se développer. Parfois brigand au grand cœur, il est aussi un homme sanglant qui détrousse les riches pour son propre compte. Sanglant, plein de flegme, il est déjà un archer hors pair. Mais c’est réellement au XVIe siècle qu’il apparaît comme nous le connaissons aujourd’hui. Il n’est plus aussi cruel, c’est un gentleman — à cette époque cela signifie fermier ou commerçant — qui devient hors-la-loi pour voler aux riches et pour donner aux pauvres. Marianne et le frère Tuck, compagnons inséparables de Robin aujourd’hui, apparaissent à peu près à la même époque. Au XIXe, Marianne deviendra l’alter ego féminin de Robin en devenant une guerrière montant à cheval.
C’est à la fin du XVIe siècle, que l’histoire de Robin des Bois commence à se situer en 1190 à l’époque où Richard Coeur de Lion part pour la troisième Croisade. Le roman de Walter Scott, Ivanhoé (1819) consacre l’histoire de Robin Hood dans le monde entier et même si les noms ne sont pas les mêmes, l’essentiel est là. C’est pourtant Maid Marian* de Thomas Love Peacock, paru en 1822 qui sera l’ouvrage le plus fidèle des aventures Robin des Bois et le plus largement adapté au cinéma.
Errol Flynn, un héros haut en couleur
La première adaptation cinématographique de ce héros populaire date de 1922. Dans ce film muet de 2 h 35 réalisé par le prolifique cinéaste Allan Dwan, le célèbre Douglas Fairbank se devait d’interpréter ce brigand au grand cœur. Cette légende du cinéma muet et d’aventure — il aura joué Zorro, D’Artagnan, le Pirate Noir, Don Juan en autres — incarne un Robin des Bois qui restera dans les annales et donnera toute l’étendue du talent de l’acteur.
Mais le film considéré comme le meilleur et le plus représentatif des films de Robin de Bois est celui de 1938 réalisé par le célèbre Michael Curtiz — qui a fait par exemple Casablanca — et interprété par Errol Flynn. Dans un Technicolor flamboyant, l’archer le plus connu du monde se balade en caleçon vert et rit comme personne — Jean Dujardin en fera une imitation presque parfaite dans OSS 117. Il défend le pauvre en volant aux riches, ne doute pas de ses intentions et est un véritable leader. Sa grande particularité et qui le distingue des autres Robin est son flegme et son goût du risque : il n’a pas peur de se faire enfermer dans une salle pleine d’ennemis juste pour le plaisir de provoquer le Prince Jean. Il n’est pas prudent, conscient de son propre talent et de ses capacités physiques.
Le film commence avec la capture du Roi Richard Coeur de Lion alors qu’il retournait en Angleterre. Son frère, le Prince Jean en profite pour essayer d’usurper le trône et augmente les taxes des Saxons pour soi-disant payer la rançon du roi. Évidemment, c’est pour son propre compte et il n’a aucune intention de laisser le trône. Mais Robin des Bois veille. Ce hors-la-loi au beau sourire et ses amis sont là pour voler l’argent pour réunir la somme nécessaire à la libération du roi Richard. Dans ce film de 1938, il n’y a pas de violence, juste des combats d’épées. Pas de massacre, mais des concours de tir à l’arc. Il y a de l’amour et surtout il y a les Normands et les Saxons. Les Normands sont au pouvoir et veulent le garder, tandis que les Saxons payent et triment pour eux. Seul Richard Coeur de Lion peut restaurer une entente entre les deux peuples. Le grand sauveur existe toujours. Robin des Bois est un homme qui ne doute en rien de ses actions et prône une véritable entente entre les peuples. Un beau message dans ce moment d’entre deux guerres où le nazisme est en pleine montée en Europe.
L’adaptation la plus marquante qui arrivera par la suite, après des films en séries dans les années 1960 —Le défi de Robin des Bois, Les aventures amoureuses de Robin des Bois ou encore Le Triomphe de Robin des Bois — est la version de l’histoire par Disney, en 1973. Le dessin animé, largement adapté des Aventures de Robin des Bois, met en scène un renard en Robin, un lion en tant que Roi Jean et un gros ours méchant pour le Shérif de Nottingham. Le concours de flèche est là, la sympathique équipe qui vit dans les bois. Ce Robin des Bois a fait connaître à de nombreux enfants dans le monde les aventures de ce hors-la-loi qui aidait les pauvres en volant au riche. Le Roi Richard n’est plus capturé, mais est absent et son frère le Roi Jean souhaite toujours le trône pour lui. Les Croisades sont à peine mentionnées — seulement à travers le moment où le Roi revient avec une croix sur son armure et la diversité du peuple anglais se fait par la multitude d’animaux qui sont représentés.
Ici aussi des couleurs très flamboyantes pour donner à Robin des Bois un caractère joyeux. Autre point intéressant, le travestissement semble être un aspect important du personnage qui ici se développe avec de nombreux déguisements. Dans le dessin animé par exemple, il se dissimule en femme de bonne aventure, en épervier perché sur des échasses pour le concours de tir à l’arc… Dans les années 1990, Robin des Bois va devenir un héros beaucoup plus sombre. Plus de couleurs chatoyantes, plus de chants et de trouvères, mais du noir, de la guerre et du sang.
Kevin Costner et les autres
En 1991 sort le Robin des Bois, Prince des voleurs avec dans le rôle titre Kevin Costner en brigand plein de doute et qui ne sait pas s’il peut accomplir ce que lui demande le destin. Le film commence à Jérusalem, Robin est retenu prisonnier et va être exécuté. Avec talent, il se libère et dans sa fuite sauve un Maure – joué par Morgan Freeman. Alors que Richard Coeur de Lion est retenu par les Autrichiens, Robin retourne en Angleterre pour retrouver son pays mis à feu et à sang par le Shérif de Nottingham – interprété par Alan Rickman avec un coupe de cheveux des plus ébouriffés. Devenu hors-la-loi, il rejoint une petite troupe dans la forêt de Sherwood où il devient leur leader.
Tout y est également dans cette nouvelle version, mais cette fois moins de travestissement — il se déguise seulement grâce à l’odeur du fumier pour que les gens ne l’approchent pas —, plus de concours. Robin, qui est décrit par Marianne comme un gamin turbulent et capricieux qui lui tirait les cheveux enfant, a bien grandi et a de grandes responsabilités sur les épaules. Là non plus de rire tonitruant, de confiance en soi. Malgré des capacités hors pair, Robin est un leader qui se recherche. Lui-même victime d’une injustice — son père a été tué par le Shérif alors qu’il était parti — il souhaite autant la vengeance que le retour du Roi pour rétablir la paix dans le Royaume. Il vole aux riches pour donner aux pauvres, mais il est guidé par Azeem qui lui apporte courage. Robin ne comprend pas comment son pays a pu sombrer dans une telle folie. Beaucoup plus sombre, le film reste bon enfant dans sa manière de montrer la violence. Les codes sont très années 1980 : la vieille sorcière qui aide le Shérif avec ses longs cheveux blancs hirsutes, ses ongles et son œil blanc, le méchant est réellement méchant, le héros réellement gentil… Le film laisse également tomber le côté historique — quand bien même il situe son action en 1193 et utilise les archétypes du Moyen-Âge pour développer son ambiance, tout en restant dans une économie de décors et de costumes.
Alors que le film se veut plus réaliste, il simplifie l’histoire et garde une happy end. On nous raconte la légende telle qu’elle a pu se développer avec le temps.
En 2010, Ridley Scott réalise une version qui se baserait plus sur les faits historiques que sur la légende. Le long-métrage commence par la mort du Roi Richard Coeur de Lion pendant les Croisades. Robin rentre tant bien que mal dans son Angleterre natale qu’il retrouve en bien mauvais état. Il découvre la corruption qui gangrène son pays. Aidé par Marianne, il défie le pouvoir en place. Mais ici pas de happy end ni de retour du Roi – il est mort rappelez-vous. Ridley Scott en saupoudrant de faits réels jamais vraiment prouvés, en profite pour réaliser de grandes scènes de guerre, de combats, comme il sait si bien les faire. Il souhaite montrer comment la légende s’est construite en magnifiant l’histoire pour donner un film d’action puissant. Russell Crowe, incarnant un Robin des Bois loin des stéréotypes développés dans les films précédents : sombre, dur, il est leader, mais dans le désespoir de la situation.
Robin des Bois n’a pas échappé à la folie des parodies, nous ne ferons que les citer ici. Mel Brooks réalise en 1993 un film satirique qui passe en revue tous les points ridicules des films de Robin des Bois : l’accent de Kevin Costner, la scène du gibier dans le film de 1938, les trouvères qui deviennent des rappeurs noirs… Et nous en passons. Ou encore en 2015, la France s’y met avec Robin des Bois, la véritable histoire qui met en scène Max Boublil dans le rôle titre.
En 2018 vient de sortir un nouveau long-métrage sur Robin des Bois. Cette version cherche uniquement à se démarquer des autres films. Il commence ainsi : «Oubliez l’époque, oubliez l’histoire.» Alors que le film emprunte à mille époques différentes : les Croisades imitent à un film sur la guerre d’Irak avec des couleurs sables et poussiéreuses, le Shérif ressemble un à SS, les soirées au palais à un fête dans Hunger Games tant par les costumes que l’ambiance colorée et sombre à la fois. Robin des Bois n’a plus de forêt, mais une mine à la place, donnant au long-métrage des airs de Metropolis. Les références sont là, mais mélangées avec un effet dévastateur sur l’histoire et l’intrigue qui est trop dans une surenchère de l’action et du spectaculaire.
Pourtant certains points auraient pu être intéressants. Par exemple de ne plus faire des musulmans les grands méchants de l’histoire des Croisades, mais les Européens, ou encore que le Prince Jean ait disparu et que toute la machination viennent de l’Église — une allusion est faite par ailleurs à la pédophilie. Le film a voulu trop en faire dans l’esthétique du film. Ce nouveau Robin des Bois est mélange pop de beaucoup trop de références contradictoires ce qui en fait un mauvais film qui se recherche en permanence. Le personnage de Robin est par ailleurs peu intéressant également, il joue un double jeu en essayant de s’attirer les faveurs du Shérif et vole la nuit pour donner au pauvre. Entièrement aveuglé par le besoin de reconquérir Marianne, l’amour de sa vie, il en oublie les autres. C’est Petit Jean — joué par Jamie Foxx — qui le pousse à renverser le Shérif et l’Église. Le film de plus appelle à une suite avec une fin ouverte «menaçante».
Marianne, femme au coeur d’or : entre guerrière et noble dame
Quelle plus fidèle compagne que Marianne pour Robin ? Qu’elle se soit appelée dans un premier temps Mathilda, qu’elle fut une noble dame, cousine du roi et lui un hors-la-loi, une Normande et lui Saxon (Les Aventures de Robin des Bois, 1938), une voleuse et lui un noble, Marianne et Robin sont unis et finissent toujours par se retrouver.
Au fur et à mesure des époques, Marianne a évolué. En 1938, il s’agit d’une Normande proche du Prince Jean qui pense que sa cause est juste, jusqu’à ce que Robin lui ouvre les yeux devant la réalité de la vie. Elle devient, outre une amante éperdue pour lui, une alliée qui tentera de prévenir le Roi Richard de la triste réalité du pays. Jouée par Olivia de Havilland, cette Marianne est une noble dame tant par le sang que par le cœur. Et c’est dans la même configuration que la renarde de Disney est présentée. Grande admiratrice du talent et de la générosité de Robin, elle ne peut que l’aimer et lui donner des coups de pouce. Pas d’action pour ce personnage-là, la violence viendra plus tard.
En 1991, la première apparition de Marianne se fait masquer. Elle combat Robin qu’elle pense être un agresseur. C’est seulement une main dans le feu qui la trompe. Seule fois où elle prendra les armes dans ce film avec Kevin Costner, il est tout de même important de noter ce «travestissement-là» qui dénote déjà avec les autres Marianne. Cousine du Roi, elle reste à Nottingham pour aider les pauvres comme elle peut. Interprétée par Mary Elizabeth Mastrantonio, elle doute au début de Robin pour ensuite l’aimer à la folie. Elle sera victime d’une tentative de viol des plus étranges, qui met quelque peu mal à l’aise par son humour et son rythme.
Mais la plus forte, la plus belle – avis personnel — et la plus courageuse restera toujours la Marianne jouée par Cate Blanchett en 2010 dans le film de Ridley Scott. Marianne n’est plus une femme proche du pouvoir, mais une femme de Lord mort pendant les Croisades. Elle aide les pauvres et défend sa place comme elle peut dans un monde en ruine. Même si elle tombe amoureuse de Robin — il aurait été difficile autrement — elle reste maîtresse d’elle-même. Elle participe à la guerre, se bat. Elle n’est plus la gente dame qui attend d’être sauvée et cela fait un bien fou.
Pour finir cet article, nous devons parler de la dernière Marianne en date, du film sorti fin novembre 2018. Cette Marianne tranche radicalement des autres personnages jusqu’ici, puisque c’est elle la voleuse de l’histoire, en tout cas c’est ce qu’annonce la voix-off en ouverture du film, nous ne verrons pas grand chose. Fini la noble dame, la cousine du roi, elle est une simple roturière qui vole pour le compte des autres. C’est grâce à elle que Robin devient un peu plus sensible à la cause des pauvres et tente de déjouer le plan du Shérif de Nottingham. Une fois rangé, elle devient une jeune femme parfaite. La bonté même c’est elle : et quoi de plus cliché qu’une femme qui fait la cuisine pour les autres, ainsi que de la couture ?

En conclusion
Robin des Bois est un personnage qui fait rêver, car il incarne de grandes valeurs. Quand bien même son histoire a été modifiée au cours des siècles l’essence reste la même : «Il vole aux riches pour donner aux pauvres». Et s’il ne fallait retenir qu’un seul film de Robin des Bois se serait celui de 1938 où pour le rire d’Errol Flynn et celui de 2010 pour le caractère bien trempé de Marianne. Sinon, celui avec Kevin Costner qui nous a tant fait rêver enfant. Et celui de Disney est un classique également.
Et vous, quel est votre Robin des Bois préféré ?
Marine Moutot
Filmographie exhaustive de Robin de Bois au cinéma :
Robin des Bois
Réalisé par Otto Bathurst
Avec Taron Egerton, Jamie Foxx, Jamie Dornan, Eve Hewson
Action, Aventure, Etats-Unis, 1h56
sortie le 28 novembre 2018
Robin des Bois
Réalisé par Ridley Scott
Avec Russell Crowe, Cate Blanchett, William Hurt
Action, Aventure, Etats-Unis, Angleterre, 2h20
sortie le 12 mai 2010
Sacré Robin des Bois
Réalisé par Mel Brooks
Avec Cary Elwes, Richard Lewis, Roger Rees
Comédie, Etats-Unis, 1h43
sortie le 15 décembre 1993
Robin des Bois, prince des voleurs
Réalisé par Kevin Reynolds
Avec Kevin Costner, Morgan Freeman, Alan Rickman, Mary Elizabeth Mastrantonio
Aventure, Etats-Unis, 2h20
sortie le 7 août 1991
La Rose et la flèche
Réalisé par Richard Lester
Avec Sean Connery, Audrey Hepburn, Richard Harris
Aventure, États-Unis, 1h47
1976
Robin des Bois
Réalisé par Wolfgang Reitherman
Animation, Comédie Aventure, Etats-Unis, 1h26
sortie le 30 octobre 1974
Les Aventures de Robin des Bois
Réalisé par Michael Curtiz, William Keighley
Avec Errol Flynn, Olivia de Havilland, Basil Rathbone
Aventure, Romance, Action, Etats-Unis, 1h42
sortie le 14 mai 1938
Notes :
* Le roman de Thomas Love Peacock sera traduit en français sous le titre Robin Hood ou la Forêt de Sherwood.
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