Prova d’Orchestra est présenté en Hors Compétition à Cannes en 1979. Fellini signe une courte immersion poignante et dramatique dans une journée de la vie d’un orchestre. Des musiciens répètent dans une vieille église du XIIIè siècle. Le lieu dénué de toute singularité architecturale visible, possède au moins celle d’une acoustique incroyable. L’homme envahit peu à peu ce sanctuaire, et le silence solennel laisse place à la musique.
La figure de l’artiste et l’influence des médias
Le film s’ouvre sur l’arrivée dans l’église d’une équipe de télévision. Elle est tantôt perturbatrice tantôt élément déclencheur de la situation. L’intérêt des journalistes reste sommaire, ils souhaitent échanger avec les musiciens sur la relation qu’ils ont entre eux et avec leurs instruments attitrés. Et ça tombe bien, car les artistes aiment parler d’eux.
Ils se définissent avant tout dans leur relation avec leur instrument. Le musicien est comme habité, la rencontre avec son instrument relève du mystique. « Ce n’est pas moi qui l’ai choisi, c’est lui qui m’a choisi » nous explique le joueur de tuba. Fellini explore à sa manière, un peu grotesque, risible et toujours dans l’exagération le mythe de l’artiste. Les personnages se dévoilent comme ayant échappé à la misère grâce à la musique. Certains sont plus humbles et racontent également la désillusion : faire partie d’un orchestre n’induit pas nécessairement de voir du pays.
Devant la caméra, toujours subjective, les musiciens se pavanent tout en dévoilant les liens tissés entre les différentes familles. Les vents, les cordes, les cuivres… toutes sont bien évidemment décrites comme unique moteur de l’orchestre. La TV pousse les égos à transparaître et réveille une contestation du pouvoir du chef d’orchestre et l’expression de la lutte des classes. Car si la troupe oscille entre rivalité, complicité et humour entre ses membres, la figure de leader n’en mène pas large. Le chef d’origine allemande est un homme élancé, gringalet et colérique. Son autorité au début respectée se décompose peu à peu. La question de la rémunération des participants est habilement soulevée par la présence de la télévision et de celle d’un syndicaliste. La troupe craint que toute la reconnaissance du métier de musicien aille uniquement au chef d’orchestre. Se prêter au jeu des portraits filmés sera l’occasion idéale pour les membres de l’orchestre d’exprimer leurs revendications contre le pouvoir en place.
De la cacophonie vers l’harmonie
Si on revient aux fondations de l’histoire, on voit que la narration est purement linaire. Une unité de temps, une unité de lieu, une base qui offre une montée en puissance dramatique exponentielle.
L’énervement, la confrontation des musiciens et du chef d’orchestre est proportionnelle au nombre de personnes dans l’enceinte de l’église. Naturellement le ton monte. Les voix se décuplent pour se couvrir les unes les autres. On se demande si cette démonstration de force n’est pas due à la présence des journalistes.
En parallèle de cette parade humaine, des exubérances et des personnalités aux traits grossis, une menace extérieure gronde. Un bruit sourd retentit régulièrement. Soudain, il y a une coupure de courant. Qu’est-ce qui a tout fait disjoncter ? Une force non identifiée met un terme à la première révolte de l’orchestre. Est-ce un bombardement ? Un tremblement de terre ? Comme si l’église ne pouvait plus supporter la puissance sonore de tous les musiciens. Deuxième acte, le chef d’orchestre, sous la pression d’un des syndicalistes, annonce une pause dans la répétition. À son retour c’est l’anarchie : tags sur les murs, tombes retournées, dispersion de la troupe et contestation de la privation de liberté d’expression musicale de l’orchestre. L’église semble alors reprendre possession de sa prestance grâce à une intervention inattendue. Sa structure se fissure et l’un de ses murs s’effondre : un drame survient et annonce la fin de la révolte. C’est alors dans une bâtisse à moitié détruite, chaotique, que la troupe réorganise ses priorités. Des revendications, soit, mais de préférence dans l’écoute et l’union, plutôt que dans la décadence et l’absurdité. La musique redevient fil de la solidarité, peu importe les désaccords des partis.
Le choix de tourner dans une église n’est pas anodin. Le cinéma de Fellini a toujours intégré dans ses histoires le mysticisme exacerbé des italiens, en particulier de la classe ouvrière. On pense à ce fragment dans La Dolce Vita (1960), où deux marmots affirment avoir vu la Madone. Tous les médias accourent et le film dénonce une croyance aveugle. Prova d’orchestra en montre un autre visage. L’église se révolte et semble vouloir recracher ses occupants. Sorte de démonstration de force envers la répétition de l’orchestre qui lui a été imposée. Il y a une similitude avec celle des musiciens envers le chef d’orchestre. Quelque soient les motivations, il en résulte une alliance et un final musicalement coordonné, humainement soudé et cinématographiquement accompli.
Clémence Letort-Lipszyc
Réalisé par Frederico Fellini
Avec Balduin Bas, Clara Colosimo, Elisabeth Labi
Comédie dramatique, Italie, RFA, 1h10
18 mai 1979
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