Ce vendredi, nous vous parlons de : L’Heure de la sortie, Les Invisibles, Edmond, L’Ange, La Ligne Rouge et Dark Crystal.
L’Heure de la sortie : Sébastien Marnier, jeune réalisateur qui nous avait déjà offert l’excellent Irréprochable, livre ici une œuvre complète qui montre sa maîtrise tant de l’image que de l’ambiance sonore et musicale. Pierre devient le professeur remplaçant d’une classe d’EIP — Enfant Intellectuellement Précoce — et découvre des collégiens froids, arrogants et menaçants. Il va peu à peu les soupçonner de manigancer quelque chose contre lui. Commence alors une descente en enfer pour Pierre. L’univers du cinéaste revient sans cesse, comme une obsession : l’importance du sport — la natation et le vélo dans L’heure de la sortie et la course dans Irréprochable — et les références kafkaïennes amènent doucement la tension à son acmé. Kafka, scénaristiquement, c’est le sujet de thèse du professeur. Et visuellement, ce sont des cafards et d’étranges apparitions troublantes qui se multiplient, symboles d’une supposée paranoïa de Pierre. La question centrale est alors : ferme-t-on les yeux sur les signes que nous envoient le réel ? L’utilisation répétée du found footage et d’archives télévisuelles permet cette plongée dans une actualité que nous ne connaissons que trop bien, une réalité qui part à vau-l’eau, faite de violences et d’abus qui n’est pas sans rappeler celle des films de Michael Haneke. La musique électro, simple et efficace, vient également ajouter de la tension. Écrite par Zombie Zombie — qui avait déjà faite celle d’Irréprochable —, elle prend le contre-pied de l’image et instaure une discordance : la séquence d’ouverture, par exemple, représente le soleil surexposé et la musique stridente et sourde le rende écrasant, nimbé d’une aura inquiétante, comme si l’astre en appelait à une catastrophe à venir. Les acteurs et actrices jouent tous sur des registres différents : alors que les collégiens sont robotiques, Laurent Lafitte est tout en muscles et en tension, Emmanuelle Bercot, elle, est plus proche de la folie. L’ensemble distord la réalité et fait de ce long-métrage un thriller kafkaïen. Magistral tant par sa réalisation que par ses acteurs, la grande qualité du film est surtout son scénario qui ne tombe jamais dans le ridicule. Et si nous passons du rire — gêné — à l’inquiétude, c’est que le cinéaste l’a voulu. Une adaptation très réussie du roman éponyme de Christophe Dufossé et un grand film pour ce début d’année ! M.M et M.K.
Les Invisibles : Audrey, Manu, Hélène et Angélique travaillent dans un centre social de jour. Suite à des coupes budgétaires municipales pour cause de taux de réinsertion trop bas, on leur annonce que leur centre ferme dans trois mois. Elles vont tout mettre en œuvre pour remettre sur les rails les femmes SDF qu’elles côtoient jour après jour. Louis-Julien Petit s’est inspiré d’un documentaire de 2015, « Femmes Invisibles », réalisé par Claire Lajeunie. Cette fois il aborde le sujet sous un autre angle, celui de la renaissance, de l’espoir. On ne tombe jamais dans des clichés faciles et larmoyants. C’est surement dû au casting. Des personnalités bien trempées mais pour le moins attachantes. Les actrices sont des femmes qui ont vécues dans la rue. Elles se nourrissent d’un passé existant pour créer une ambiance touchante et revitalisante. Placé sous le signe de la comédie, le décalage de la vie calme du centre avec une réinsertion accélérée nous fait bien évidemment rire et offre des scènes d’une belle humanité. Petit pose un regard bienveillants sur l’invisibilité de ces femmes mais aussi de ceux qui les accompagnent dans leur quotidien précaire. Et si le casting des femmes de la rue est juste, celui des travailleuse n’est pas en reste. Audre Lamy, Corinne Masiero, Noémie Lvosky et Déborah Lukumuena sont tout simplement brillantes. Un film d’une fraicheur surprenante qui sans omettre les conflits et la dureté de la vie dans la rue, réussit à faire pétiller nos yeux. C.L.L.
Edmond : Paris, décembre 1897. Suite à sa rencontre avec le comédien Constant Coquelin, Edmond Rostand – jeune poète désargenté et sans succès – se voit contraint d’écrire une pièce en un mois. Au fil des jours, il imagine une comédie épique et teintée de tragédie: Cyrano de Bergerac.
Un soir de début janvier : c’est dans un cinéma près de l’Opéra Garnier que se tient l’avant-première d’Edmond. Dans la salle une vingtaine de spectateurs, dont la plupart sans doute déjà propriétaires de la carte Vermeil dans les années 90. Au bout d’un quart d’heure, une petite mémé du troisième rang laisse échapper un ronflement particulièrement sonore qui viendra rythmer le film pendant deux minutes. A la fin de la séance, il nous faudra un temps record pour parvenir à quitter la salle, coincée dans un embouteillage de cannes et de « Attend. Attend, pas trop vite Marcel. Attend. Oulala ils pourraient mettre des escalators quand même. Oulala »
Mais trêve de tergiversations et revenons à notre mouton. En effet, en dépit de l’ambiance de fou furieux qui régna sur son avant-première et le fait qu’Edmond reste somme toute peu exaltant sur le papier pour public né après 1950, le film s’avère résolument sympathique. Si les péripéties d’Edmond sont en majorité grandement romancées, le film n’a de toute manière pas la prétention d’entretenir une grande fidélité historique. Ce que l’on sent sent néanmoins dans ce premier coup d’essai – signé par le comédien Alexis Michalik, auteur de la pièce originale – c’est avant tout un amour sincère de la scène et du milieu théâtral de l’époque auquel il multiplie les clins d’œil et autres références.
Malgré une réalisation assez classique et un démarrage un peu poussif (on pourra regretter le jeu de quelques acteurs en sous-régime), le film est toutefois vite rattrapé par sa reconstitution du Paris de la fin des années 1890 et quelques passages de comédie assez réussis (il faut à ce titre saluer en particulier Igor Gotesman, absolument hilarant dans son rôle de Jean Coquelin). En bref, et pour la peine que vous soyez tenté d’y aller ou non avec votre personne du troisième âge favorite, Edmond devrait vous faire passer un bon moment et vous laisser de bonne humeur. M.P
L’Ange : Carlitos a 17 ans et aime entrer par effraction chez les gens. S’approprier leur vie sans doute. Il n’est pas pauvre, il n’est pas riche. Ses parents sont d’honnêtes personnes qui gagnent leur vie convenablement. Cet enfant de Buenos Aires aux boucles blondes et au regard innocent à un passe-temps : tuer. Histoire vraie de « L’Ange noir », du « Chacal » ou encore «Le monstre au visage enfantin », L’Ange du cinéaste argentin attire tout d’abord par la musique, les couleurs chaudes et le rythme de l’histoire. Mais très vite, l’enfant au visage de chérubin nous ennuie et le film devient dans un récit de meurtrier assez classique. Sans chercher à faire comprendre l’incompréhensible, le long-métrage tire en longueur, multipliant les effets de surprise et de climax. De plus, la mise en scène qui cherche à sensualiser Carlitos regorge de clichés : gros plans des yeux, des lèvres pour signaler le désir… Un film qui tombe à plat et dont on se souviendra de la scène de fin : belle et dramatique. Le reste du film tente de surfer sur désirs homosexuels, violence et musique. À noter, de grands acteurs tout de même : Luis Gnecco (Neruda, Une Femme Fanstatique), Cecilia Roth (Les Amants Passagers, Parle avec elle). M.M
La Ligne Rouge : 1942. Guerre du pacifique. L’armée américaine débarque sur l’île de Guadalcanal pour affronter les Japonais. Tout se passe comme prévu jusqu’au moment où les soldats tombent sur un point de résistance qu’il n’avait pas envisagé. Entre-temps, un déserteur retourne vers sa compagnie. Terrence Malick dévoile un savoir unique dans l’art du cadrage et de la prise de son. La virtuosité de La Ligne Rouge réside dans la confrontation d’une brutalité, d’une inhumanité et de celle de l’artifice du cinéma. Notre regard se promène avec plaisir dans ces décors, mais aussi sur les visages meurtris des soldats américains, japonais et des villageois rencontrés. Une atmosphère tant soignée que ce n’est qu’à la fin que toute la tension de cet événement historique ressort comme un tsunami. On se sent submergé par le souffle poétique des plans à feu et à sang, par tant de violence. Malick insère avec douceur des moments de nostalgie, souvenirs des soldats faisant office d’oxygène. Un classique du genre qu’il est primordial de (re)voir sur grand écran. C.L.L.
Dark Crystal : Un mystérieux cristal noir est gardé avidement au fond d’un château par l’incarnation des 7 péchés capitaux : les Skeksis. Mais une prophétie annonce que le pouvoir de ces derniers va bientôt être renversé et que le pouvoir du cristal sera restauré par le dernier représentant des Gelflings, de petits êtres elfiques. Entamez une plongée dans le monde magique et fantastique de Thra, tout droit sorti de l’imaginaire de Jim Henson, le célèbre marionnettiste-créateur des Muppets. On quitte le plateau télé pour se tourner vers l’univers fantasy du cinéma (qu’il explorera une nouvelle fois pour Labyrinthe en 1986). À ses côtés pour venir à bout de ce travail titanesque, on retrouve son collaborateur Frank Oz (l’homme derrière la marionnette de Yoda dès L’Empire contre-attaque en 1980). Les animatroniques, très belles et complexes, sont particulièrement convaincantes dans leur incarnation des terribles Skeksis et des sages Gelflings. Le film a sûrement un peu vieilli après ces 35 années de maturation. Mais on ne peut que saluer l’inventivité des créateurs, nourris des dessins de l’illustrateur féérique Brian Froud, avec cette quête initiatique qui nous donne une belle leçon sur le manichéisme. Et on ne peut qu’apprécier les liens que Dark Crystal entretient avec les grandes sagas de Star Wars et du Seigneur des Anneaux. Alors c’est aussi une balade historique, cinéphile et fantastique qui vous est proposée par Dark Crystal. Comment ne pas penser aux débuts de la stop-motion tchèque ou américaine ? Harryhausen, Tyrlova, Starewich et Willis O’Brien pourraient être de la partie. Et d’ailleurs, Thra fait encore parler d’elle en 2019 : on attend une suite très prochainement par Netflix ! M.K
Manon Koken, Marine Moutot, Clémence Letort-Lipszyc et Marine Pallec
L’Heure de la sortie
Réalisé par Sébastien Marnier
Avec Laurent Lafitte, Emmanuelle Bercot, Pascal Greggory
Thriller, France, 1h43
2 janvier 2019
Les invisibles
Réalisé par Louis-Julien Petit
Avec Audrey Lamy, Corinne Masiero, Noémie Lvovsky
Comédie, France, 1h42
9 janvier 2019
Edmond
Réalisé par Alexis Michalik
Avec Thomas Solivérès, Lucie Boujenah, Tom Leeb
Comédie, Histoire, France, 1h52
9 janvier 2019
L’Ange
Réalisé par Luis Ortega
Avec Lorenzo Ferro, Chino Darín, Daniel Fanego
Biopic, Drame, Argentine, Espagne, 1h58
9 janvier 2019
La ligne rouge
Réalisé par Terrence Malick
Avec Sean Penn, Jim Caviezel, Nick Nolte
Drame, Guerre, États-Unis, 2h50
1998 – ressortie en version restaurée 9 janvier 2019
Dark Crystal
Réalisé par Jim Henson et Frank Oz
Avec Jim Henson, Kathryn Mullen, Frank Oz
Fantastique, Aventure, États-Unis, Royaume-Uni, 1h33
1983 – ressortie en version restaurée 9 janvier 2019
Un avis sur « [CONSEILS DU VENDREDI] #22 »