Je ne vais pas vous mentir, si je vous parle d’un sujet tel que les drogues au cinéma, c’est surtout pour vous faire l’éloge du dernier film de Felix Van Groeningen, My Beautiful Boy.
Le cinéaste belge est connu et reconnu pour le film comiquement tragique La Merditude des choses, réalisé en 2009, le musical, mais larmoyant Alabama Monroe en 2013 ou encore l’alcoolisé Belgica en 2016. Pour son premier film américain, le réalisateur choisit d’adapter les mémoires Beautiful Boy : A Father’s Journey Through His Son’s Addiction de David Sheff et Tweak : Growing Up on Methamphetamines de Nic Sheff, ainsi que l’article « My Addicted Son » pour le New York Times Magazine en 2005 de David Sheff*. Le titre original du film et du livre se réfèrent sans doute à la magnifique chanson de John Lennon, Darling boy.
Felix Van Groeningen a toujours placé la famille au centre de ses films. C’est celle qui vous soutient, qui vous accompagne, qui vous amuse, celle que vous aimez le plus profondément. Dans My Beautiful Boy, il rajoute le sujet de la toxicomanie. Il traite du père face à l’addiction de son fils. Ainsi, le film m’a marquée, car il regarde de l’autre côté du miroir. Nous ne suivons pas seulement celui qui se drogue, mais les personnes qui sont touchées par cette descente aux enfers.
Nic, joué par Timothée Chalamet, rentre dans sa famille. Son petit frère constate le vol de son argent de poche le lendemain matin. Pour David il n’y a aucun doute, son aîné a volé son petit frère. La confrontation éclate et Nic repart. Tout au long du film, qui déconstruit chronologiquement et explore le rapport du père face à un univers qu’il ne connait pas. L’addiction de Nic lui semble irréaliste. Les moments qu’il se remémore montrent l’amour profond qu’il lui porte. Le récit ne se déroule que sous forme de moments fugaces qui prennent leur sens seulement au fur et à mesure. Les BO des films de Van Groeningen sont toujours excellentes et une fois encore il prouve son talent pour allier musique et images pour donner des beautés éparses de la vie compliquée de deux êtres qui se croisent sans réellement se comprendre. Le film a dépassé la phase où Nic aimait réellement se shooter. Il est confronté à la dépendance. À la douleur du manque. David, lui, n’arrive pas à croire qu’il n’a rien vu. La drogue s’est insinuée tel un serpent dans leur vie, discrètement, lentement et amèrement. My Beautiful Boy est également un film sur l’acceptation qu’il faut courir découvrir au cinéma.
En découvrant My Beautiful Boy, cela m’a décidée de me souvenir des films où les stupéfiants prenaient une place importante et qui ont jalonné mon expérience de cinéphile. Il y a les trips fun, hallucinogènes ; les véritables souffrances, où la dépendance consume tout et il y a ces films qui observent les ravages de la drogue dans la société. Petite liste non exhaustive, mais des classiques du cinéma.
Les trips sous acide
Le nombre de films où l’utilisation de drogue est sans réelle conséquence et permet juste aux personnages de se libérer du quotidien est tellement importante que d’en faire la liste prendrait des jours. Dernièrement sorti, L’Ordre des médecins montre qu’un joint permet à Simon de lâcher prise l’espace d’un instant, de se détendre. Parfois l’expérience va plus loin et se transformer en véritables trips colorés et délirants. Le film le plus représentatif est sans doute Las Vegas Parano de Terry Gilliam, sorti en 1998 qui met en scène un journaliste et son avocat en route pour Las Vegas. L’histoire s’arrête à peu près là, le reste étant une suite sans fin de délires visuels et de moments plus ou moins surprenants sur l’effet que la drogue peut avoir sur des êtres humains. L’incohérence et le non-récit font partie du film. Entièrement adaptée du livre Las Vegas Parano, écrit par Hunter S. Thompson, l’histoire parle de l’American Dream. Et quel rêve : voir des personnes avec des têtes d’alligators, des visages qui se déforment, de la suspicion partout et du danger également. Être en stress permanent tout en continuant à planer haut, très haut. Terry Gilliam livre une fois de plus un film loufoque, dont l’ennui vous prend dès les premières minutes si vous n’avez pas vous-même pris quelque chose avant d’appuyer sur play. Mais il y a également des films un peu plus philosophiques où les stupéfiants sont le moyen de vivre et de découvrir une autre Amérique. Dans Easy Rider, film culte de la contre-culture américaine, Dennis Hopper se met en scène avec Peter Fonda et Jack Nicholson dans une traversée des États-Unis sur leurs motos. Telle un voyage initiatique, ils partent à la recherche de leur pays et de ce qu’il est devenu. Ils y découvrent une contre-culture qui s’éloigne des stéréotypes de la communauté hippie ou des drogués habituels. Les narcotiques et autres, ici, sont une possibilité de rencontrer de nouvelles personnes, donnant de temps en temps des images mémorables.
Mais la drogue peut aussi être le prétexte dans les fêtes ou simplement pour passer un bon moment. Dans The Big Lebwoski des frères Coen, le Duc en fume tranquillement dans son bain. Il rêve ensuite de chaussures de bowling en pagaille et d’un aller simple pour le paradis. Mais cela peut être également une ambiance générale qui règne, comme dans Hair, la comédie musicale de Milos Froman qui suit une bande d’hippies contre la guerre ou plus récemment Moonwalkers qui mettait en scène une bande d’hurluberlus qui devaient réaliser un film sur les premiers pas de l’homme sur la Lune. Le dernier film qui m’a fait un brillant effet est sorti en 2018. Il s’agit de How to talk to girls at parties. Dans le long-métrage de John Cameron Mitchell, nous suivons l’histoire de trois garçons en 1977 qui souhaitent profondément intégrer la communauté punk. Ils se retrouvent par hasard dans une demeure, où ils sont accueillis par des créatures pour le moins étranges. Il se passe beaucoup de choses à l’intérieur de cette maison, et pour cela l’une des hypothèses les plus cohérentes est qu’ils aient pris de la drogue — vous me direz : même s’ils n’avaient pas pris de drogue, le film est tellement hallucinogène qu’il mérite sa place dans cet article.
Descente aux enfers
Il n’y a pas d’hallucinations drôles et libératrices dans My Beautiful Boy. Si Nic en a connu, c’était il y a longtemps, au tout début. Dans le film, il n’est qu’en perpétuelle perte de repère et à chaque dose qu’il prend, le cinéaste met un point d’honneur à diminuer de plus en plus la luminosité des scènes. Discrètement, il plonge de plus en plus dans le noir son personnage. Dans beaucoup de films, la dose de trop se trouve être fatale. Comment ne pas penser en premier lieu à l’overdose de Uma Thurman dans Pulp fiction de Quentin Tarantino. Ou encore de Requiem For a Dream de Darren Aronofsky, sorti en 2001. Il raconte l’histoire tragique d’Harry, de sa petite amie Marion et de leur meilleur ami Tyrone qui s’enfoncent de plus en plus dans la drogue et dans un paradis artificiel qu’ils ont créé. Qui ne s’en souvient pas et n’a pas en tête la musique de Clint Mansell. Les violons qui marquent le temps, de plus en plus insistants, de plus en plus tragiques. S’il y a bien un film qui a choqué et a montré l’horreur et les dégradation dû à la drogue en nous prenant à la gorge, c’est bien ce film. Il a même fait plus, Darren Aronofsky a parlé de l’addiction dans une forme plus large, pas seulement dans la prise de stupéfiants illégaux. Il a parlé de la dépendance aux médicaments — pour faire maigrir, par exemple — et de la télévision qui force les personnes à se formater, à formater leur corps. Il a dénoncé les ravages avec fureur. Requiem for a dream n’est pas un film facile à regarder, même si nous pouvons lui reprocher d’avoir parfois fait de trop belles images.
La descente en enfer peut également être liée à une expérience traumatisante et la drogue permet seulement d’essayer d’en échapper, comme dans Apocalypse Now. Ou alors c’est simplement ancré dans la vie des protagonistes qui se trouvent cools et géniaux, jusqu’au drame final, par exemple dans Trainspotting. Où un groupe de jeunes se droguent partout, dans les pires endroits. Danny Boyle montre la drogue sous l’angle de la crasse, du sale et de la mort. L’enfant dans son berceau. Une image qui vous marque à vie. Je n’ai pas vu le deuxième sorti il y a quelques années. Mais il ne s’annonçait pas à la hauteur de sa dénonciation qu’on pouvait retrouver dans le premier. Dans un registre, plus drôle, la descente en enfer peut être après avoir fumer un joint : et alors voir le meurtre d’aliments dans Sausage party. C’est sanglant, c’est absurde et c’est un véritable massacre qui se déroule dans ce salon sous les yeux de ce pauvre monsieur.
L’autre côté du miroir
Et après le fun et l’horreur, les films sur la drogue sont souvent abordés du point de vue du trafic. Ceux qui les traquent et ceux qui la vendent. Outre la série Breaking Bad qui met en scène un professeur qui pour gagner assez d’argent fabrique du crystal meth, en plein milieu du désert. Beaucoup de films de Martin Scorsese ont aussi comme personnages des mafieux ou des consommateurs. La drogue est presque omniprésente dans tous ses films.
Il y a donc d’un côté le consommateur, d’un autre côté les trafiquants et enfin les forces de l’ordre qui traquent cet or blanc. Des films comme Scarface de Brian de Palma montrent la montée en puissance de trafiquants ou des films comme Traffic de Steven Soderbergh explorent l’ensemble des forces de lutte antidrogue qui existent entre les États-Unis et le Mexique, mais également les personnes qui sont réduites à trafiquer pour sauver leurs vies. Tel un long-métrage choral, il décide de filmer l’horreur de la drogue, bien que Cartel de Ridley Scott atteigne un niveau d’horreur rarement égalé au cinéma sur l’univers des stupéfiants. Plus récemment, le cinéaste canadien Denis Villeneuve a réalisé Sicario. Nous suivons Kate, jeune femme idéaliste du FBI qui après avoir découvert dans une maison au Texas des cadavres dans les murs dus aux trafics de drogue, est envoyée au Mexique sur la piste d’un cartel avec une mystérieuse équipe aux méthodes peu traditionnelles — ou peut-être trop traditionnelles. Le scénariste Taylor Sheridan, qui vit au Texas, remarque que la frontière est de plus en plus dangereuse entre le Mexique et les États-Unis. Dans son récit, il souhaitait montrer que le pays où l’on pouvait aller tranquillement en voiture n’est plus. Les trafics de narcotiques et stupéfiants ont complètement défiguré le nord du Mexique. Plus que tout, il voulait exposer la machine et la manière dont l’état américain « traite » du problème. Et quoi de mieux que la réalisation que Denis Villeneuve qui arrive si bien à capter la sécheresse et la dureté de ces territoires. Les tons ocre du film et la poussière donnent aux spectateurs de voir l’ampleur de l’univers de la drogue.
Finalement, la fascination que le cinéma a pour les trafics, les dangers liés à la drogue montrent rarement la famille. Nous avons bien vu des mères, des pères pleurer un enfant mort, mais le sujet était toujours à côté. Il s’agit d’une reconstruction. L’affrontement a déjà eu lieu. Dans Ben is back, sorti en début d’année et My Beautiful boy, les enfants sont encore vivants et les familles doivent y faire face. Tandis que le film avec Julia Roberts sort l’artillerie lourde pour montrer les engrenages de la drogue, My Beautiful boy est plus dans l’intime, dans la douleur de l’incompréhension. Ben is back va utiliser tous les clichés que les films sur la drogue peut avoir à donner : Ben sous-entend qu’il s’est prostitué, un de ses meilleurs amis est dans la rue et vendrait son frère pour avoir sa dose, les caïds ne veulent pas lâcher le jeune homme qui souhaite pourtant tout arrêter… Et la liste continue. Si Julia Roberts essaye de montrer à quel point elle est prête à tout pour son fils, le film pointe bien comment la machine hollywoodienne fonctionne. Utiliser un sujet sensible qui touche de nombreuses familles et en faire une histoire condensée en moins de 24 h pour parler de la rédemption du fils, sa honte face à son passé et tous les dangers de son ancienne vie. Nous avons vu plus subtil. My Beautiful boy décide de suivre David Sheff dans sa recherche pour aider son fils. Joué par Steve Carell — qui montre une fois de plus son immense talent — David ne va avoir de cesse de comprendre pourquoi Nic se drogue. Tout au long du film, nous parcourons ses souvenirs. Le fils, qu’il a tant aimé, a disparu sous l’effet de la méthamphétamine. Il ne le reconnaît plus, parce qu’il ne pensait pas avoir élevé, ce fils si brillant, un drogué. L’impossible est devant ces yeux et il va devoir s’y confronter. Le long-métrage va tout au long nous montrer que le combat d’un père contre les stupéfiants peut se retourner contre l’enfant qu’il idolâtrait. La violence de son amour peut détruire beaucoup. En explorant les nombreux sentiments qu’un parent peut ressentir, le cinéaste belge réussit à nous présenter l’envers du décor : la famille qui voit la personne déchue à cause des stupéfiants. Un beau geste, dur, intense et fort.
Conclusion
Il n’y a pas un genre spécifique pour les films traitant de la drogue et plus généralement des addictions au cinéma. Les drogues font partie intégrante du quotidien, et elles se retrouvent de partout dans les films. Que ce soit sous forme d’un simple joint ou bien de la cocaïne ; que ce soit pour parler d’une profession comme dans Le Loup de Wall Street ou bien d’une manière de se détendre après une dure journée entre parents comme dans LOL. Il y a tellement de films où figurent des stupéfiants que nous pourrions passer des jours à en parler. Le but n’étant pas de parler de tout, mais de mettre en regard la drogue dans le cinéma. Je conclurai en disant que My Beautiful boy a cela d’unique dans son rapport aux stupéfiants qu’il y décrit le désespoir d’un père qui essaye de comprendre comment aider son fils. Avec un simple plan regard caméra, Steve Carell nous transmet toute l’incompréhension, tout le doute qui l’habite quand il commence à se renseigner autour de ce sujet. Le film mélange flash-backs et instantanées de la vie du père et du fils à différents moments. Plutôt que de faire de longs dialogues pour essayer d’expliquer pourquoi le fils aurait fait cela, Felix Van Groeningen choisit de montrer des instants furtifs, mais qui par la force de l’image et de la musique veulent tout dire et transmettent beaucoup plus que des mots. Alors que le réalisateur belge était sur le point de refaire une fin larmoyante et lourde à la Alabama Monroe, il décide de laisser une fin ouverte sur un plan magnifique et touchant entre son père et son fils.
Et pour finir en beauté, le moment sans doute le plus émouvant du film est quand David commence à chanter Darling Boy. Voici l’originale, pour découvrir celle du film, il faudra aller au cinéma :
Marine Moutot
*L’article de David Sheff est disponible ici.
Filmographie exhaustive sur la drogue au cinéma :
My Beautiful Boy
Réalisé par Felix Van Groeningen
Avec Steve Carell, Timothée Chalamet, Maura Tierney
Drame, Etats-Unis, 2h01
sortie le 6 février 2019
Las Vegas Parano
Réalisé par Terry Gilliam
Avec Johnny Depp, Benicio Del Toro, Christina Ricci
Comédie, Aventure, Etats-Unis, 1h58
sortie le 19 août 1998
Easy Rider
Réalisé par Dennis Hopper
Avec Peter Fonda, Dennis Hopper, Jack Nichloson
Drame, Aventure, Etats-Unis, 1h30
sortie en 1969
Hair
Réalisé par Milos Forman
Avec Beverly D’Angelo, John Sauvage, Treat Williams
Comédie musicale, Etats-Unis, 2h01
sortie en 1979
How to talk to girls at parties
Réalisé par John Cameron Mitchell
Avec Elle Fanning, Alex Sharp (II), Nicole Kidman
Comédie, Science fiction, Romance, Musical, Angleterre, 1h42
sortie le 20 juin 2018
Requiem for a dream
Réalisé par Darren Aronofsky
Avec Jared Leto, Ellen Burstyn, Jennifer Connelly
Drame, États-Unis, 1h50
sortie le 21 mars 2001
Trainspotting
Réalisé par Danny Boyle
Avec Ewan McGregor, Ewen Bremner, Jonny Lee Miller
Drame, Angleterre, 1h33
sortie le 19 juin 1996
Traffic
Réalisé par Steven Soderbergh
Avec Michael Douglas, Don Cheadle, Benicio Del Toro, Catherine Zeta-Jones
Policier, Drame, Thriller, États-Unis, 2h27
sortie le 7 mars 2001
Sicario
Réalisé par Denis Villeneuve
Avec Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin
Policier, Drame, États-Unis, 2h02
sortie le 7 octobre 2015
Ben is back
Réalisé par Peter Hedges
Avec Julia Roberts, Lucas Hedges, Courtney B. Vance
Drame, Etats-Unis, 1h42
sortie le 16 janvier 2019
Un très beau film effectivement. Le duo père fils marche à la perfection et on ressort du cinéma bouleversé. Une vraie leçon de vie
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