Ce vendredi, nous vous parlons de : Les Éternels, Celle que vous croyez, Santiago, Italia et Mort à Venise.
Les Éternels : Qiao aime Bin. Bin est taciturne et ne montre aucune émotion. Il est chef d’une bande de voyous qui se surnomme pègre à Danton. La vie suit son cours, jusqu’à ce que pour sauver Bin de la mort, Qiao utilise illégalement une arme à feu. Elle se sacrifie pour lui et fait cinq ans de prison. À sa sortie, alors qu’elle espère voir Bin, elle réalise que personne ne l’attend. À travers l’histoire d’un couple qui ne se retrouve jamais entièrement, Jia Zhangke raconte le récit de son pays sur dix-sept ans. Les profondes métamorphoses que connaît la Chine, tant dans les paysages, que dans l’architecture des bâtiments, des rues, ainsi que des transports qui vont toujours plus vite. La propreté remplace la terre et les smartphones, les petits téléphones. Dans un souci du détail et par la grâce d’une mise en scène sublime, Jia Zhangke prouve une nouvelle fois son talent de cinéaste. Après Still Life, A Touch of Sin, ce jeune réalisateur — il a seulement 48 ans — nous présente une fresque importante. Le monde qui évolue est observé, vécu à travers les yeux de Qiao. Une femme forte et indépendante, même si amoureuse — oui, les deux sont compatibles et c’est enfin agréable qu’un homme le filme — qui se débrouille toujours pour se sortir des situations compliquées, grâce à son intelligence et à sa friponnerie. Mais Jia Zhangke fait bien plus que nous balader d’un moment à un autre, c’est l’espace de la Chine qu’il s’approprie. Après un détour en Australie avec Au-delà des montagnes, il explore les différentes régions d’un pays en pleine mutation territoriale, qui abandonnent pour ensuite reconstruire, dont les villes poussent au milieu de rien. L’immensité d’un pays qui en oublie sa grandeur. Le train est d’ailleurs pour lui le moyen de se faire rencontre le Sud et le Nord, l’Est et l’Ouest. Les gens se croisent et échangent : des paroles, des moments de tendresse… L’amour également est montré de manière très délicate. Il rajoute une pudeur aux interactions qui transpirent le respect. Un respect que la sensualité des films actuels oublie bien trop souvent.
Par ailleurs, le récit se découpe en sautant dans le temps des périodes allant de 5 ans à plus sans prévenir le spectateur ou par des glissements de décor, des annonces sonores et toujours les détails : la technologie, les bâtiments, l’Histoire — le barrage des Trois Gorges est mentionné, alors qu’il n’hésite plus aujourd’hui. Finalement, quand les trois coups retentissent pendant le film, un changement est en cours dans la vie de Qiao. Un peu comme au théâtre, avant que les acteurs n’entrent en scène. Ils rythment le long-métrage et en densifient l’aspect tragique ou simplement migratoire de la vie. Un pur moment de grand cinéma à découvrir sur grand écran. M.M.
Celle que vous croyez : À première vue, la présence de Juliette Binoche au casting était plutôt séduisante. A ses côtés, François Civil – décidément très présent sur grand écran ces temps-ci -, Guillaume Gouix – récemment très apprécié dans Les Confins du Monde de Guillaume Nicloux (critique par ici) – et Nicole Garcia… C’était décidément trois bonnes raisons de plus de s’enfoncer confortablement dans son fauteuil pour 1 h 40. Binoche joue Claire, professeure de littérature comparée de 55 ans, très inspirée par les grandes figures féminines et féministes des derniers siècles. Niveau références littéraires, le réalisateur, Safy Nebbou (L’Autre Dumas, Dans les forêts de Sibérie), ne se prive pas de citer Les liaisons dangereuses, Marguerite Duras, Rainer Maria Rilke, Antonio Lobo Antunes ou encore Une Maison de poupée. Il faut bien donner de la matière au spectateur… Et voilà le coeur du sujet, Claire ne va pas très bien et commence à draguer sur internet sous l’identité de Clara, 24 ans. Et là, c’est parti pour le déballage de thématiques, toutes pour le moins intéressantes, mais insuffisamment exploitées : refus de vieillir, amour à l’ère du numérique, possibles du virtuel, rejet du réel, dépression, mensonge… L’écriture semble rapidement artificielle en tombant dans la surenchère dramatique. Les indices semés, ici ou là, paraissent trop évidents. Une seconde partie à la longue découverte du personnage de Binoche tente de réinsuffler de l’originalité et un nouveau rythme au film, mais cela ne fonctionne pas. Les révélations s’enchaînent, ridicules ou trop attendues. Il y avait pourtant matière à satisfaire le spectateur avec cette intrigue frisant le thriller, adaptée du roman de Camille Laurens. Un personnage qui s’invente, se conte et ne se perçoit pas, c’est toujours intéressant. Mais c’est malheureusement une désillusion, que même la sympathique BO d’Ibrahim Maalouf n’adoucit pas. M.K.
Afin de rendre le sujet un peu plus intéressant, deux sympathiques podcasts (plus ou moins) sur le sujet :
- l’émission “Les mythos” des Pieds sur Terre sur France Culture fait un écho, d’une certaine manière, au film. Ca se passe par là.
- Juliette Binoche est l’invitée de Par Jupiter ! pour la sortie de Celle que vous croyez, sur France Inter. Par ici !
Santiago, Italia : Le 11 septembre 1973, Augusto Pinochet bombarde La Moneda, siège de la présidence. Coup d’état militaire, le dirigeant élu Salvador Allende capitule et meurt le jour même. Suite à cette prise de pouvoir, les partisans d’Allende sont arrêtés et beaucoup d’entre eux exécutés. Le film retrace cet événement historique à travers les yeux de cinéastes, enseignants, artistes et autres figures intellectuelles qui se sont réfugiés dans l’ambassade italienne pour quitter leur pays natal.
La parole est principalement données aux réfugiés, à ceux qui ont pu construire une nouvelle vie au delà des frontières chiliennes. D’abord en espagnol et italien, plus l’histoire nous emmène vers le voyage des expatriés de l’autre côté de l’Atlantique, plus la parole devient essentiellement italienne. C’est dans ce changement de langue qu’apparaît la solidarité dont a fait preuve l’Italie par son accueil des chiliens persécutés. Parmi les personnes interrogées, le cinéaste Patricio Guzman est probablement celui que l’on connaît le plus. Figure emblématique du cinéma documentaire chilien, il parle de son passé militant avec émotions et nous plonge dans les pratiques effroyables de la dictature sans pour autant nous apitoyer. Chaque confession possède d’ailleurs sa propre justesse, tant du côté de l’histoire que de celui de l’émotion. Une parole qui est également donnée au camps adversaire, celui des militaires. Le film n’accentue pas ce point de vue car le sujet ne réside pas pas dans la confrontation du pouvoir et de ses opposants, mais plutôt dans la sensibilité de ceux qui ont du partir. Une approche menée avec justesse : Nanni Moretti n’intervient que très rarement lors des rencontres. On le voit très peu, et seul un filet de sa voix retentit par moment, afin de guider les récits. Santiago, Italia est un témoignage important sur la relation entre deux peuples. Une parenthèse historique dépeinte avec bienveillance sur un événement dont la violence se fait encore ressentir dans l’héritage socio-culturel chilien. Un documentaire important et d’une grande humanité. C.L.L.
Mort à Venise : Luchino Visconti n’a plus besoin d’être présenté. Réalisateur italien de génie, il est l’auteur des films comme Le Guépard, Rocco et ses frères, Les Damnés pour n’en citer que quelques-uns. Quand il décide d’adapter, en 1971, le roman d’un autre génie, l’écrivain anglais Thomas Mann, il s’attaque à un monument : parler de la solitude, de l’Art et la Beauté, mais également du temps qui passe. Le film est tel un fantôme qui me suit depuis que je l’ai vu. Sans cesse, je reviens à ces rues désertes de Venise, à la teinture des cheveux de ce musicien cinquantenaire qui refuse de vieillir et finalement de mourir. Cette fuite en avant. Mort à Venise suit Gustav Aschenbach, compositeur allemand, qui passe ses vacances dans un grand hôtel au bord de la mer. Il occupe ses journées à observer un jeune homme androgyne. Par des échanges de regards, ils créent le contact. Alors qu’une vague de choléra vide Venise, Gustav se trouve dans l’impossibilité de partir, il ne peut que poursuivre ce garçon qui l’attire. Dans les rues désertes qui tel un labyrinthe se déploient et enserre les femmes et les hommes, le récit montre une quête de l’éternelle jeunesse. En suivant ce mirage, Gustav n’est-il pas attiré par sa propre jeunesse perdue et par la mort qui le guette ? Découvert, il doit maintenant faire 10 ans, le film m’a marqué par ces images qui semblent brûlées par le passé. Cet homme qui en passant les mains dans ses cheveux qui laissent entre ces doigts la teinture couleur charbon. Et encore toujours ces rues, tel un songe. Venise est la ville de l’illusion et lors des scènes sur la plage, le blanc du sable et le bleu du ciel sont contrastés par l’ocre de la brique. Venise est une ville qui dévore les personnages et Mort à Venise porte bien son nom. La décrépitude est portée à hauteur d’Art et Luchino Visconti réalise un film marquant sur la solitude, le désir et la mort. M.M
Manon Koken, Marine Moutot et Clémence Letort-Lipszyc
Celle que vous croyez
Réalisé par Safy Nebbou
Avec Juliette Binoche, François Civil, Nicole Garcia
Drame, France, 1h41
27 février 2019
Les Éternels
Réalisé par Jia Zhangke
Avec Zhao Tao, Liao Fan, Xu Zheng
Drame, Chine, 2h15
27 février 2019
Santiago, Italia
Réalisé par Nanni Moretti
Avec Nanni Moretti
Documentaire, Italie, 1h20
27 février 2019
Mort à Venise
Réalisé par Luchino Visconti
Avec Bjorn Andresen, Dirk Bogarde, Silvana Mangano
Drame, Italie, France, 2h11
28 mai 1971 – ressortie en version restaurée le 27 février 2019
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