[CONSEILS DU VENDREDI] #33

Ce vendredi, nous vous parlons de : Synonymes, C’est ça l’amour, Boy Erased et Sergio et Sergei.


Synonymes : Ours d’or à Berlin, le troisième film de Navad Lapid suit Yoav, un jeune homme israélien fraîchement arrivé à Paris. Alors qu’il se fait voler ses affaires, il fait la rencontre d’Émile et Caroline, deux jeunes Parisiens bourgeois, qui vont lui venir en aide. Yoav n’a qu’une obsession : devenir français. Il proscrit entièrement son pays en refusant de parler hébreu et en récitant des synonymes français dans les rues. Son opposition à Israël passe également par un rejet d’un système. Le personnage va sans cesse exploser, faire des actions en apparence sans réelles raisons, saboter une situation ou la vivre en désobéissant aux ordres. Le cinéaste nous entraîne sur les sentiers, inconnus et sinueux, de son récit : nous sommes guidés à l’aveugle. Et c’est là qu’est la réussite du film — en plus de l’interprétation brillante de Tom Mercier — dans l’ignorance et la surprise qu’il génère en nous. Avec intelligence, subtilité, humour, absurde et réalité brutale, le fil qui se déroule sous nos yeux est finement mené. Ici, tout le monde en prend pour son grade, que ce soit l’Ambassade israélienne ou l’administration française et ses procédures de naturalisation (deux scènes grandioses et burlesques !). Navad Lapid réunit dans ce long-métrage toutes ses obsessions : Israël et son incompréhension face à cet État — Le Policier confrontait la police israélienne à un groupe d’extrême gauche — l’amour de la langue — déjà dans L’Institutrice, l’enfant était un jeune poète hors pair — les amours — fait amusant : son moyen-métrage La petite amie d’Émile, avait pour protagonistes Yoav et Émile, son meilleur ami parisien. Mais le Yoav de Synonymes est perdu, s’il veut devenir français et qu’il apprend par cœur les mots du dictionnaire, ses faits et gestes semblent confus. Dès l’ouverture, la mise en scène nous fait comprendre l’agitation qui habite le personnage avec une caméra embarquée chancelante aux voltes rapides et violentes. Nous le suivons de dos traverser Paris. Il refuse de regarder les bâtiments et la beauté de la ville pour chercher son cœur, le mystère de cette ville. Les deux amis, joués par Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte, peuvent sembler particulièrement clichés et en décalage avec Yoav. Ils forment ainsi un écrin intensifiant la folie turbulente du personnage principal. Nous n’aurons jamais autant vu le bruit, le mouvement et la tension qui habite de Paris, dans une danse mue par cet énigmatique personnage. À noter, la présence de la mère de Nadav Lapid et de François Gédigier au montage, d’où ce long-métrage si vivant et effervescent. M.M., M.K.

C’est ça l’amour : Le premier film solo de Claire Burger (Party Girl) nous plonge au cœur de la séparation de 20 ans de vie commune de Mario et Armelle. Leurs deux filles, Frida 14 ans et Nikki 17 ans doivent rester chez leur père en attendant que leur mère retrouve une situation stable pour les accueillir. Cette tribu à présent éparpillée va tenter de se reconstruire dans la douleur et l’incompréhension.
Dans le cœur des enfants, le parent qui part est en tort. Mais la réalisatrice ne porte aucun jugement sur les choix de ses personnages, elle les laisse régler leurs comptes entre eux. Ainsi les deux adolescentes se chargent d’analyser les raisons du départ de leur mère, en reportant la faute tantôt sur cette dernière, tantôt sur leur père. À travers le quotidien déséquilibré des jeunes filles, le film brosse un portrait dur de leurs émotions, toujours empreintes d’amour et de questionnement. Car pour une fois, la mère quittant le nid n’est pas une figure destructrice. Nous nous retrouvons en tant que spectateur, dans la même situation que ces enfants, face à une situation réfléchie, établie. Cette femme dont on ne saura pas grand chose, tente de faire accepter ce choix de séparation à une famille qui demeure dans le désarroi. Une détresse partagée par leur père, qui le mène à s’inscrire aux cours de théâtre se déroulant sur le lieu de travail de son ex-femme. Le choix du cours par Claire Burger n’est pas anodin. Le théâtre est le lieu d’expression de ce qui est réprimé. Si les grecs s’y rendaient pour l’effet de catharsis, la recette fonctionne toujours aujourd’hui. Le lâcher prise est total, physique et verbal, le corps parle pour nous. Ce coup de pouce, Mario en a bien besoin, car les mots il ne les détient plus, et n’arrive plus à les entendre. L’acceptation du départ de l’être aimé se fait à petit pas, et ce deuil de la vie à quatre est abordé de différentes manières. La jeune Frida pleine de colère et de rancœur navigue dans les méandres de la découverte de l’amour quand celui de ses parents s’éteint. Nikki semble plus détachée et devient médiatrice dans ce capharnaüm émotionnel. Quant à leur père, sa voix se dessine non pas par le mouvement de ses lèvres, mais dans sa sensibilité pour le chant lyrique. Des parenthèses sonores poétiques qui ponctuent avec tendresse et finesse cet émouvant discours sur l’amour. Amour de jeunesse, amour de sa vie, amour de sa famille, amour passager… C’est ça l’amour est un film d’une justesse inégalable. C.L.L

Boy Erased : Jeune étudiant en littérature, Jared grandit aux Etats-Unis dans un milieu très conservateur. Après la révélation de son homosexualité, le jeune homme se voit contraint de participer à une “thérapie de conversion”.
Deuxième film de l’acteur Joel Edgerton, Boy Erased s’empare ici des soi-disant “thérapies de conversion” : programmes censés ramener leurs patients sur le droit chemin de l’hétérosexualité. A partir d’un sujet encore éminemment actuel (le vice président américain, Mike Pence, en faisait encore récemment l’apologie), Edgerton tire ici un film en demie teinte: à la fois tout à fait agréable à regarder et cohérent mais qui souffre également d’un certain manque de profondeur dans sa construction.
Edgerton semble ainsi ne pas savoir quelle histoire raconter. Constamment tiraillé par sa narration en flash back qui le force à effectuer des allers-retours incessants dans la narration, le film s’évertue à vouloir à traiter à la fois  de la thérapie, du parcours et des tiraillements moraux de Jared ou encore du lien qui uni le jeune homme à ses parents puritains. Inévitablement, à vouloir trop en faire, le film s’éparpille et sacrifie certains pans de son récit.
Ainsi, si toute la partie de l’histoire qui met en avant le lien entre le personnage principal et sa mère est extrêmement touchante, on ne pourra que regretter que, tout comme dans son premier film –The Gift -, Edgerton se contente pour le reste de survoler son sujet. Malgré un postulat intéressant, Boy Erased consacre en définitive peu de temps à traiter de la “thérapie” prodiguée par l’inquiétant Victor Sykes (Edgerton lui-même, très bien dans son rôle de gourou même si au final assez peu à l’écran). Dans cette même lignée il est dommage de constater que malgré des personnages secondaires tout à fait prometteurs (notamment Jon, un des autres patients tellement rongé par la haine de lui-même qu’il en vient à fuir tout contact avec les autres hommes, ici joué par un Xavier Dolan étonnamment calme et peu grimaçant) qui auraient pu permettre de mettre d’autant plus en avant les mécanismes pervers du programme, ceux-ci restent cantonnés à quelques minutes d’apparition à l’écran.
En restant très factuel dans son déroulement sans chercher à explorer réellement la psychologie et le parcours de ses personnages, on pourra regretter que ce manque de profondeur finisse par engendrer une certaine distanciation qui empêche le spectateur de s’impliquer totalement dans le récit. Toutefois, non dénué de sensibilité et porté par de belles performances d’acteurs, Boy Erased pourra néanmoins valoir qu’on y consacre un coup d’oeil, sans oublier pour autant que, tout de même, un tel sujet aurait sans doute mérité un meilleur film. M.P

Sergio et Sergei : Deux hommes, deux « îles hors du temps », comme le dit si bien l’astronaute russe Sergei depuis la station MIR : l’un ne peut quitter Cuba, l’autre ne peut quitter l’immensité spatiale. Les deux amis partagent leur quotidien de solitude et de difficultés grâce à la radio, cette merveilleuse invention qui permet la magie de communiquer avec l’espace. Et ce n’est pas la seule excentricité du film ! L’histoire pourrait sembler anodine, mais nous sommes en 1991, le bloc soviétique se délite et Sergei est russe, Sergio, cubain. Suite à la chute du Mur — qui ouvre en images d’archives le long métrage —, l’URSS, unique pourvoyeur financier de Cuba, coupe les vivres. Ainsi, de 1990 à 1994, el Periodo especial marque une grave crise économique et sociale sur l’île : coupures de courant fréquentes, surveillance intense des habitants par les autorités cubaines — pour empêcher tous écarts à la doctrine marxiste —, crise alimentaire, relations tendues avec les États-Unis — embargo depuis 1962… Le film va même jusqu’à évoquer des situations d’illégalité dans lesquelles tombent les habitants : fabrication de cigares, récupération de matériel américain, distillation de rhum, construction de balsas pour fuir par la mer… Si ce n’est pas par une inventivité de la forme que nous marque le film, c’est plutôt par sa facilité à distiller tant d’éléments historiques et sociaux dans une comédie légère et lumineuse. Les personnages secondaires sont assez clichés, mais recouvrent ainsi leur fonction humoristique qui tourne en ridicule la surveillance grotesque des Cubains par le gouvernement, dans un jeu de chat et de la souris. Et d’ailleurs, on apprécie particulièrement la présence de Ron Perlman — oui, oui, de Hellboy et tant d’autres — en Américain biker bourru et attachant, qui joue totalement de son personnage et de son cliché. Un très agréable clin d’œil ! Sergio, notre jeune cubain, est un doux rêveur qui croit profondément au système marxiste et se retrouve confronté à la dure réalité de la pauvreté et doit subvenir aux besoins de sa famille : une mère et une petite fille adorable, Mariana. Le cinéaste de Chala, une enfance cubaine nous offre une nouvelle fois un joli film à l’ambiance solaire sur la vie quotidienne à Cuba raconté par Mariana, maintenant adulte et qui se souvient. Mais autre particularité, il s’agit de la première coproduction américano-cubaine en 60 ans — les deux pays ont rétabli des relations diplomatiques depuis 2015, sous le gouvernement Obama ! Un beau message d’espoir où l’amitié l’emporte contre tout et contre tous. M.K., M.M.

Manon Koken, Clémence Letort-Lipszyc, Marine Moutot et Marine Pallec

Synonymes
Réalisé par Nadav Lapid
Avec Tom Mercier, Quentin Dolmaire, Louise Chevillotte
Drame, France, Israël, Allemagne, 2h03
27 mars 2019

C’est ça l’amour
Réalisé par Claire Burger
Avec Bouli Lanners, Justine Lacroix, Sarah Henochsberg
Drame, France, 1h38
27 mars 2019

Boy Erased
Réalisé par Joel Edgerton
Avec Lucas Hedges, Nicole Kidman, Russell Crowe
Drame, Etats-Unis, 1h55
27 mars 2019

Sergio et Sergei
Réalisé par Ernesto Daranas
Avec Tomas Cao, Hector Noas, Ron Perlman
Comédie, Cuba, Etats-Unis, 1h33
27 mars 2019

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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