Ce vendredi, nous vous parlons de : Working Woman, Raoul Taburin, Alpha : The Right to Kill et El Reino.
Working Woman : Orna Haviv est une jeune femme épanouie, tant dans sa vie de couple que dans sa vie de famille. Désireuse de saisir de nouvelles opportunités et de s’épanouir également dans sa vie professionnelle, elle décide de changer d’emploi. Seulement Benny, son nouvel employeur, ne va pas tarder à lui rendre la vie impossible. Des remarques sur la coiffure et les tenues qu’elle devrait porter selon lui, aux appels tardifs et interminables, il envahit doucement mais sûrement la sphère de sa vie privée. L’étau se resserre également sur son lieu de travail, où les libertés qu’il prend avec elle deviennent de plus en plus oppressantes à mesure qu’il favorise son avancement dans l’entreprise. Orna se retrouve alors piégée entre sa conscience professionnelle, la nécessité de garder son emploi pour nourrir sa famille et les difficultés grandissantes pour résister au harcèlement dont elle est victime.
Pour son deuxième long métrage, la réalisatrice et scénariste israélienne Michel Aviad réussit avec brio à retranscrire à l’écran les zones troubles du harcèlement : des difficultés de la victime de dénoncer, par peur de perdre son emploi, à l’effet de sidération qui l’empêche, quand le pire arrive, d’opposer une résistance. Elle met d’ailleurs ici en lumière le paradoxe bien trop courant qui fait qu’une femme harcelée, agressée, violée… est d’abord considérée comme coupable avant d’être une victime. Glaçant par sa justesse, Working woman retrace le parcours d’une femme courageuse qui avance tant bien que mal, pour sauver sa vie de famille et sa carrière. Rien de surprenant puisque ses deux réalisations précédentes dressent des portraits de femmes qui ont du prendre l’habitude de se battre pour exister. Le long métrage Invisible raconte ainsi l’histoire de deux femmes violées par le même homme, qui tentent de se reconstruire des années plus tard. Le documentaire Dimona Twist, pour sa part, témoigne des difficultés de l’immigration pour les femmes qui ont débarqué à Dimona dans les années 1950.
Enfin le jeu des acteurs sert brillamment la mise en scène de Michel Aviad, Liron Ben-Shlush (Orna) incarne parfaitement son rôle de femme forte, malgré les obstacles qui parcourent sa route, avec la justesse et la sensibilité qui s’impose. Quant à eux, Menashe Noy (Benny) et Oshri Cohen (Ofer, son fiancé) campent bien leurs personnages tantôt bienveillants, tantôt oppressants, entre lesquels l’héroïne se retrouve piégée, entre la jalousie et l’incompréhension de son compagnon, et les manipulations de son patron pour arriver à ses fins et la garder sous sa coupe. A.E
Raoul Taburin : Raoul Taburin, réparateur de vélo, a vécu toute sa vie dans un mensonge. Aujourd’hui adulte, il mène une vie tranquille avec sa femme et leurs deux enfants dans un petit village français. Quand il rencontre Hervé Figougne, photographe de renom, il voit en lui : un ami, mais également un problème quand on lui propose de poser sur une photo en vélo. Serait-ce le moment de vérité pour Taburin de dévoiler son plus lourd secret ? Adapté de la bande dessinée de Sempé, le nouveau film du jeune Pierre Godeau — réalisateur de Juliette, Éperdument — est une allégorie à la vie. Simple, enfantin, mais agréable et beau, ce long-métrage à toutes les qualités pour passer un bon moment en famille ou entre amis pour suivre les aventures de Raoul Taburin. Interprété par Benoît Poelvoord qui est ici attachant et émouvant, ce personnage qui ne quitte jamais sa salopette — même pour son mariage — est un héros de conte de fées. Chaque personnage est chacun la métaphore d’un moment de la vie de Raoul. Sans réelle profondeur avec un simple coup d’œil, les personnages fourmillent de mille et un secrets. Sempé avec son crayon les dessinait, Pierre Godeau avec sa caméra les colore. Le long-métrage est vivant à la fois par la poésie de l’histoire, mais également à travers les paysages et la chaleur de ses couleurs. De plus, le casting est réussi et réunit d’excellents acteurs et actrices — outre Poelvoord : Édouard Baer, Suzanne Clément, Gregory Gabelois… Un film léger sur la difficulté de vivre avec un mensonge et de se sentir escroc malgré soi. Avec humour, poésie, amour et humanité, Raoul Taburin est bien plus qu’un film, il s’agit d’un réel conte pour les petits et pour les grands. Un bon moment pour toute la famille à voir en ce moment au cinéma. M.M
Alpha : The Right to Kill : Manille, de nos jours. Dans la capitale des Philippines, la lutte entre les forces de police et les trafiquants fait partie du quotidien de la ville.
Cinéaste primé à Cannes en 2009 avec Kinatay, Brillante Mendoza revient avec un sujet résolument actuel en s’attaquant à la lutte contre le trafic de drogue : véritable fléau aux Philippines et un des principaux champs d’action de la politique de Rodrigo Duterte, président pour le moins controversé de l’archipelle depuis 2016. Un postulat qui aurait pu être synonyme de thriller à la fois complexe et brutal mais qui tombe ici à plat, complètement plombé par une narration étrangement opaque.
En décidant de se focaliser sur la mise en parallèle de ses deux “héros” : Moses – flic et père de famille en apparence irréprochable mais véritable ripoux – et Elijah – son indic, petit délinquant et lui aussi père de famille -, Mendoza aurait pu apporter une réflexion intéressante sur les débordements du système extrêmement répressif mis en place sous Duterte. Toutefois, et si certaines scènes tournées au poste de police viennent au détour de quelques détails instaurer l’impression d’un climat un peu ambigu, le film se contente dans sa globalité de survoler son sujet sans jamais parvenir à construire un véritable propos.
Le problème vient surtout de l’étrange distance instaurée par la narration du film. On peut ainsi sentir dans Alpha une certaine volonté documentaire derrière le travail de Mendoza : il s’agit ici de montrer les rouages d’un système, la mécanique d’une ville dont le tempo est rythmé à la fois par l’omniprésence des contrôles et des trafics. Et donc Mendoza montre. Il montre les pérégrinations et les tractations d’Elijah, parfois celles de Moses tandis que l’on suit ponctuellement quelques interventions. Il montre mais il ne dit rien. On attend un discours, un point de vue…en vain. Sa caméra, utilisée davantage à la manière d’un reportage en immersion, reste étonnement distante de ses personnages sans que l’on parvienne à éprouver une quelconque empathie envers ses personnages ou même à comprendre un semblant de leur personnalité. A la fin du film, il sera même difficile de se souvenir de leurs prénoms…c’est pour dire.
Au final, si Alpha réussi ponctuellement à instaurer une certaine mise en tension (en grande partie grâce à l’efficace bande son signée par Diwa de Leon), c’est l’ennuie qui gagne plus globalement le spectateur ; un résultat hélas décevant et mineur pour un cinéaste d’ordinaire de qualité. M.P
El Reino : Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu’il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption.
Le film démarre tonitruant : un plan-séquence du protagoniste principal déambulant dans les cuisines d’un restaurant haut de gamme, ses pas rythmés par une bande son qui sera son thème durant 2h. S’ensuit une présentation de ses acolytes du parti, sa bande de gangster, une belle brochette de politiciens véreux s’empiffrant de fruits de mer. Une scène placée sous le signe du capharnaüm, le spectateur débarque in medias res aux côtés des membres du parti de la région, la caméra bouge dans tous les sens, les voix se superposent, on décortiquera tout ça plus tard. Il s’agit ici davantage d’introduire le rythme frénétique et la saturation de son et d’information. On l’aura compris, il faut prendre le train en marche et ne pas sauter avant la fin de l’histoire.
L’abondance des artifices cinématographiques démontrent une maîtrise technique certaine, mais un manque de finesse dans l’écriture visuelle, et finalement scénaristique. Si les événements semblent dépasser Lopez-Vidal, il est important que le spectateur lui sache à peu près où se situer face à l’intrigue. Qui complote contre qui ? Comment s’appelle ce personnage avec qui le héros s’entretient-il depuis le début du film et dont on ignore la fonction ? Et pourquoi diable cette musique pénible devient-elle le centre de notre attention ? Une omniprésence qui vient abusivement souligner le jeu stressé et déjà plutôt juste d’Antonio de la Torre dans sa course contre la montre pour sauver sa peau. Un surplus qui finalement évince le travail de l’acteur et nous met le nez dans une superficialité, un grotesque dénué de toute empathie et de pédagogie à l’égard du sujet complexe qui est abordé. La spirale infernale du politicien l’englouti peu à peu, l’accumulation des découvertes et des complots est filmé par un cadre serré, mais à trop vouloir jouer avec les codes du cinéma, le film perd de son intérêt et nous noye dans ce dédale d’intrigues et de personnages. Rodrigo Sorogoyen voulait s’attaquer à un système gangréné par l’orgueil, l’argent et la course au pouvoir, on en ressort surtout indifférent. C.L.L
Clémence Letort-Lipszyc, Marine Moutot, Amandine Eliès et Marine Pallec
Working Woman
Réalisé par Michel Aviad
Avec Liron Ben-Shlush, Menashe Noy, Oshri Cohen
Drame, Israël, 1h32
17 avril 2019
Raoul Taburin
Réalisé par Pierre Godeau
Avec Benoît Poelvoorde, Edouard Baer, Suzanne Clément
Comédie, France, 1h33
17 avril 2019
Alpha : The Right to Kill
Réalisé par Brillante Mendoza
Avec Allen Dizon, Elijah Filamor, Angela Cortez
Thriller, Philippines, 1h34
17 avril 2019
El Reino
Réalisé par Rodrigo Sorogoyen
Avec Antonio de la Torre, Monica Lopez, Josep María Pou
Policier, Drame, Espagne, France, 2h11
17 avril 2019
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