Cette semaine dans les Conseils : Le Daim, Tolkien, Dirty God , Nevada et la rétrospective autour de Pedro Almodovar.
Le Daim : Le Daim, huitième long métrage du réalisateur à l’humour absurde, Quentin Dupieux, a eu l’honneur de faire l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Attendu avec impatience depuis l’annonce du projet, il retombe malheureusement comme un soufflé. Tout commence bien : le pitch est réellement drôle et atypique, tout ce que recherche Dupieux, en somme. Dujardin joue un type paumé – qui entretient un lien avec le cinéma (oui, oui, du méta, du Dupieux) – amoureux du daim (surtout de sa fourrure) : veste, chapeau, chaussures… Chaussettes ? Oui, cet homme aime vraiment porter du daim. Mais quelle absurdité ! Il y a sûrement là un clin d’oeil à l’apparition d’un certain ongulé ruminant à la fin de Wrong Cops. Ou bien à celui, récurrent, de Réalité ? Effectivement, Dupieux aime faire dialoguer ses films et, dans Le Daim, il n’y manque pas : le carton-titre d’ouverture apparaît sur le pneu roulant de la voiture de Georges. Ca ne vous rappelle pas un certain Robert ? Nous retrouvons donc sa recette gagnante : lumière blanchâtre et un peu granuleuse, casting réduit, stars françaises. Comme toujours, nous rions du décalage : des personnages un peu à côté dans un village bien paumé, c’est déjà humoristique en soi. Dujardin singe Dupieux par la voix, la posture et, évidemment, la grosse barbe poivre et sel (performance humoristique que nous saluons !). Avec Adèle Haenel, ils forment un duo de choc. Malheureusement, ce thriller comique ne va pas très loin (même s’il se veut un pamphlet sur la création – de soi, de l’autre, d’un monde) ou plutôt l’entreprise initiale est rapidement avortée. Alors qu’il se voulait foncièrement absurde, surprenant et original, il reste bien enfermé dans son carcan contrôlé du “je-suis-complètement-farfelu-mais-pas-trop-quand-même”. Dupieux fait du Dupieux. Ce film promettait pourtant beaucoup de folie… M.K.
Tolkien : Dome Karukoski signe avec Tolkien un biopic très prévisible aux accents mélodramatiques très, voire trop, prononcés. Le réalisateur promène le spectateur entre la jeunesse du célèbre écrivain et l’expérience traumatique qu’il a vécu dans les tranchées lors de la Première Guerre Mondiale. Si le film reproduit avec succès l’imagination féconde et l’intelligence remarquable de l’auteur, tout en pointant les majeures sources d’inspiration qu’il a rencontrées tout au long de sa vie, on peut néanmoins déplorer les excès de sentimentalisme qui ponctuent le récit. L’effort pour représenter l’univers fort et original de Tolkien, présent dès les premières années de sa vie, est appréciable, mais est très vite contrebalancé par le pathos ambiant. Bien que la performance des acteurs soit tout à fait honorable, un peu plus de légèreté n’aurait peut-être pas nui au film, bien au contraire. Facile et décevant, ce long métrage n’a pour lui qu’une belle façade, de beaux décors et des personnages très idéalisés, sans grande personnalité, ce qui tient plus probablement du scénario que du jeu des acteurs. Pour conclure, on pourrait se demander si moins de moyens et plus d’imagination n’auraient pas donné un meilleur résultat. A.E.
Dirty God : Après une attaque à l’acide qui l’a laissé en partie défigurée, Jade fait son retour parmis les siens. Commence alors un long parcours du combattant pour réapprendre à vivre sous le regard des autres et à s’accepter soi-même.
A partir d’un terrible sujet de société de plus en plus récurrent au Royaume-Uni (le pays recense une hausse des attaques à l’acide depuis 2017), Sacha Polak dresse un portrait intime qui malgré des maladresses parvient à s’élever, en partie grâce à son interprète principale.
Au premier regard, rien ne saurait différencier Dirty God du lot des habituels dramas sociaux dont le cinéma britannique est si particulièrement friand. Forcément, les pauvres dans une société ultra libérale, ça fascine toujours. Bien entendu, comme il s’agit de faire comprendre que quand même la vie de toutes ces petites gens là est doucement merdique, le film s’inscrit dans le paysage esthétique et narratif standard du genre en y distillant le répertoire habituel : image documentaire, sempiternelles cités londoniennes maintes fois filmées par Shane Meadows (This is England) ou Andrea Arnolds (Fishtank), accents cockney à couper au couteau, sans oublier de mentionner bien évidemment les tafs de merde et l’environnement familial dysfonctionnel.
Néanmoins, et même si esthétiquement Dirty God pourrait s’assimiler à n’importe quel téléfilm diffusé sur Channel 4 doté d’une bande originale un peu trop in the nose pour être agréable, il faut cependant lui reconnaître quelques qualités. La principale se situe dans la manière dont Polak choisit de construire son propos, en se concentrant uniquement sur le point de vue de la victime après son agression. Le fait que la parole ne soit jamais directement donné à l’agresseur quant à ses motifs est ici d’autant plus pertinente puisque ce silence nous met dans la même position que l’héroïne, démunie devant l’absurdité et la cruauté d’une telle attaque. La réalisatrice délaisse tout le côté politique pour dresser le portrait d’une jeune femme qui doit apprendre à se reconstruire et à s’accepter ; un combat est intime d’autant plus difficile à mener quand le trauma est livré aux yeux et au jugement de tous.
Dirty God est en conséquence moins l’histoire d’un fait divers que celle d’une difficile tentative de retour à la vie. Parfois un peu trop lent dans sa progression, le récit tient surtout grâce à son beau personnage principal, tout en complexité et en imperfections. Son interprète, Vicky Knight, elle-même grande brûlée suite à un incendie, brille ici par sa force et la sensibilité de son jeu. C’est grâce à elle, Dirty God parvient à tirer son épingle du jeu. M.P
Nevada : Dans une prison du Nevada, Roman intègre un programme de réhabilitation autour du dressage de chevaux sauvages. Il va apprendre à se retrouver, comprendre sa violence pour mieux la contrôler. Isolé de sa famille et de l’extérieur, il reprend peu à peu ses marques à côté des mustangs.
Cette fable rédemptrice manie avec précaution les clichés qu’elle explore. Le taulard (Matthias Schoenaerts) renfermé dans son mutisme trouve un sens à son emprisonnement. Le vieux cowboy (Bruce Dern) en charge du programme est un aigri se révélant au grand cœur et les autres cavaliers sont des alliés dans l’univers impitoyable de la prison. Sans se morfondre dans des états d’âme, le film traite d’une grande violence refoulée par Roman, son personnage principal. Elle s’échappe au compte goutte, des instants où l’homme se débat pour sortir la tête l’eau, et tente de recoller ses propres morceaux. L’analogie de l’enfermement physique et psychologique du prisonnier avec celui des mustangs dans leur enclos fait un peu gros sabot, mais le propos ne se perd pas dans des intrigues multiples qui pourraient lui nuire. Constamment derrière les barbelés avec les personnages, on est happé par la relation singulière entre l’homme et son cheval. Une musique émouvante vient accompagner les beaux plans parfois obstrués par la poussière virevoltante du désert. La guitare de Jed Kurzel rappelle les drames humains d’Inarritu et nous installe ainsi dans une palette d’émotions connues mais revisitée dans un huis-clos carcéral. Dans Nevada, peu de paroles sont échangées, et c’est là qu’on reconnaît une écriture soignée : tout passe par les intentions, les regards. Ne vous fiez pas à la bande-annonce qui est particulièrement mielleuse, on sort de ce film plutôt charmé. C.L.L.
Rétrospective Almodóvar : Pourquoi aller revoir ou découvrir les films de Pedro Almodovar au cinéma ? Dire qu’il s’agit d’un cinéaste incontournable espagnol semble un peu vain, car bien évidemment : il a marqué l’histoire du cinéma en général et a su à chaque film raconter l’Espagne de manière universelle. Il a touché chaque cinéphile profondément. Alors que son dernier long-métrage vient de sortir, une rétrospective a encore plus de sens, parce que Douleur et Gloire donne envie de revoir tout son cinéma. En effet, en explorant des moments de son enfance ou plus récemment dans sa vie d’homme, Pedro Almodóvar a cité une grande partie de sa filmographie dans Douleur et Gloire. Comment ne pas penser à La Mauvaise Éducation quand il parle de son éducation religieuse. La Mauvaise Éducation, sorti en 2003 aura marqué durablement ma cinéphile, car il intègre tout un univers sous le soleil de l’Espagne qui m’était alors inconnue : le monde ecclésiastique, la pédophilie, l’univers queer. Mais il y a aussi ses films qui sont entrés dans l’histoire du cinéma : Kika, sorti en 1994, Femmes au bord de la crise de nerfs (1988) avec un jeune Antonio Banderas qu’il retrouvera plusieurs fois – La Piel qui habito (2011), un thriller dramatique intense, Attache-moi ! (1989) – mais également Carmen Maura et Rossy de Palma. Il possède un réel amour pour ses acteurs et actrices qui sont récurrents dans sa filmographie. Ses récits respectent autant les hommes que les femmes et certain.e.s ont interprétés leurs meilleurs rôles avec lui. Comment ne pas mentionner Penelope Cruz dans Etreintes brisées (2009), Lola Dueñas dans Volver (2005), Cecilia Roth dans Tout sur ma mère (1999) et la liste continue.
C’est l’occasion également de découvrir son premier film Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier qui bien que réalisé en 1980, n’est sorti qu’en 1990 en France. Mais également d’autres films totalement désinvoltes du cinéaste espagnol : Matador (1986) La loi du désir (1987), Talons aiguilles (1991)… Il disait : « J’espère un jour ne plus être à la mode pour devenir un classique. » Nous pouvons dire que ce jour est arrivé.
19 films à découvrir en salle, dès maintenant. Il vous semble que je n’ai fait que lister des films, c’est parce qu’il faut aller les découvrir par vous-même. M.M
Manon Koken, Amandine Eliès, Marine Pallec, Marine Moutot et Clémence Letort-Lipszyc
Le Daim
Réalisé par Quentin Dupieux
Avec Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy
France, Belgique, 1h17
19 juin 2019
Tolkien
Réalisé par Dome Karukoski
Avec Nicholas Hoult, Lily Collins, Colm Meaney
Biopic, Drame, Royaume-Uni, 1h52
19 juin 2019
Dirty God
Réalisé par Sacha Polak
Avec Vicky Knight, Katherine Kelly, Eliza Brady-Girard
Drame, Royaume-Uni, Irlande, Belgique, Pays-Bas, 1h44
19 juin 2019
Nevada
Réalisé par Laure De Clermont-Tonnerre
Avec Matthias Schoenaerts, Jason Mitchell, Bruce Dern
Drame, France, États-Unis 1h36
19 juin 2019
Retrospective Almodóvar
19 films : https://www.tamasa-cinema.com/film/retrospective-almodovar/
19 juin 2019