Cette semaine au programme des Conseils : Une grande fille, Nomades et Les Mystères de Lisbonne.
Une grande fille : Leningrad, 1946. Iya est infirmière dans un hôpital dédié aux grands blessés de guerre. Alors que son amie Masha rentre du front, les deux jeunes femmes décident de cohabiter.
Lauréat du prix de la mise en scène dans la catégorie Un certain regard au dernier festival de Cannes, Une grande fille marque le second long de Konstantin Balagov, déjà auteur du remarqué Tesnota – Une vie à l’étroit (2018). Après les années 90, le réalisateur russe échafaude ici un récit complexe et habité dans le Leningrad d’après guerre ; un retour à la vie parmi les morts et les absents, là où la perte et le trauma sont omniprésents.
Chez Balagov, le paysage fait écho à l’intime. Que ce soit dans l’hôpital où l’on achève parfois ceux à qui la guerre n’aura rien laissé ou dans les chaires et les esprits abimés de ses héroïnes, le cinéaste compose une atmosphère hantée qui sert à retranscrire l’état d’un pays entre deux âges. Tout comme l’amitié qu’entretiennent Iya et Masha, celui-ci est encore paralysé par le chaos qui vient de se produire, traversant une phase difficile avant d’emprunter peut-être le chemin de la reconstruction.
Ancien directeur de la cinématographie, Balagov baigne cet état de latence d’une magnifique lumière qui confère au film un certain état de douceur et une belle esthétique. Toutefois, Une grande fille est également une œuvre exigeante dont l’appréciation n’est pas toujours des plus évidentes. On pourra ainsi regretter la lenteur de certaines scènes qui donnent momentanément au film le visage d’une œuvre opaque qui pourrait rebuter certains spectateurs. Néanmoins, comme toute grande œuvre, Une grande fille saura se révéler aux plus patients et aux plus attentifs et dévoiler sa magnifique sensibilité. M.P
Nomades : Tanger, Naïma élève seule ses trois fils, mais le manque de travail pousse les deux aînés à s’exiler en Europe. Elle va alors tout mettre en oeuvre pour empêcher son dernier fils de partir à son tour.
Mohamed est parti vivre en France, mais a fini en prison, et Abdessamed lui, meurt avant de passer la frontière. Pour préserver Houssein, le cadet de la famille, rêveur et facétieux, Naïma l’emmène chez sa sœur, dans le sud du Maroc, afin de lui changer les idées. Mais ce ne sera pas chose aisée car Houssein rêve plus que tout d’aller en France, et sa rencontre avec Delphine, parisienne en vacances, ne va pas arranger les choses. Mère avant d’être femme, pour Naïma, rien ne compte plus que de rendre ses fils heureux et de les garder auprès d’elle, en sécurité. Nomades retrace son combat pour leur assurer un avenir, quoiqu’il lui en coûte.
Dans ce quatrième long-métrage, Olivier Coussemacq nous fait vivre une belle fresque familiale tout en peignant le magnifique portrait d’une mère aimante, dont l’inquiétude pour ses fils la réveille chaque nuit en sursaut. On découvre avec plaisir les comédiens amateurs, Jamil Idrissi (Houssein) et Jalila Talemsi (Naïma), dont la performance n’a rien à envier à celle des acteurs confirmés. Le regard sensible du réalisateur, et le jeu emprunt d’émotions, sans être pour autant mélodramatique, de notre duo mère-fils, ne nous laisse pas d’autres choix que de s’attacher aux personnages. Enfin, les paysages soigneusement choisis nous transportent d’un bout à l’autre du Maroc, et le réalisateur qui y a passé une partie de son enfance nous transmet avec chaleur les souvenirs qu’il en garde. Les plans, rythmés par un soleil quasi omniprésent, semblent nous happer et nous emportent très loin de l’ombre et de la fraîcheur de la salle de cinéma. Encore un joli film qui nous aidera à prolonger la douceur de l’été quand la déprime hivernale pointera le bout de son nez. A.E
Mystères de Lisbonne : Portugal, XIXème siècle. Pedro, orphelin de 14 ans, part à la recherche de sa mère. Sa rencontre avec le père Dinis, ancien aristocrate libertin, marque le début d’une aventure romanesque.
Raoul Ruiz est un cinéaste portugais prolifique, plus apprécié par la critique que par le public. Malgré sa réputation d’auteur au cinéma exigeant, Mystères de Lisbonne est sans doute un de ses films les plus accessibles. Chef d’œuvre scénaristique qui guide les spectateur.trice.s au travers d’un labyrinthe d’intrigues étalées sur plus de quatre heures trente. Ce marathon cinématographique vous tiendra en haleine jusqu’au bout. Amour contrarié, passé flou et avenir incertain sont ici au programme alors que nous croisons au fil du récit quelques acteurs et actrices français.e.s : Clotilde Hesme – qui a souvent joué pour Raoul Ruiz -, Melvil Poupaud – révélé 25 ans plus tôt à l’âge de dix ans dans La ville des pirates – ou encore Léa Seydoux…
En adaptant le roman-fleuve, Les mystères de Lisbonne de Camilo Castelo Branco, le cinéaste réalise un film magistral mais également une série télévisée de 6 épisodes d’une heure. Mêmes acteur.trice.s et la même histoire, mais Raoul Ruiz en profite pour développer de manière différente le récit. Le feuilleton, moins accessible que le long-métrage en raison de sa faible distribution, a permis au cinéaste de s’exercer à un nouveau medium.
Malgré sa longueur, ce film dense, intrigant et palpitant est sélectionné dans de nombreux festivals (Toronto, New York, São Paulo) et reçoit le prix Louis-Delluc qui le sacre meilleur film français de l’année en 2010. Film testamentaire du cinéaste, qui durant le tournage est opéré d’une greffe du foie à laquelle il n’est pas sûr de survivre, chaque plan des Mystère porte en lui « quelque chose d’inéluctable » sans pour autant être fataliste. Le cinéaste, craignant de ne pas terminer le tournage, construit chaque image avec force en insufflant à chaque séquence énergie et vitalité. Il meurt huit mois après la sortie du film.
Aujourd’hui, Mystères de Lisbonne possède une essence romanesque folle. La ressortie en salles cet été de cette œuvre passionnante constitue une occasion qu’il ne vous faudra manquer pour rien au monde. M.M
Marine Pallec, Amandine Eliès et Marine Moutot
Une grande fille
Réalisé par Kantemir Balagov
Avec Viktoria Miroshnichenko, Vasilia Perelygina, Timofey Glazkov
Drame, Russie, 2h17
07 août 2019
Nomades
Réalisé par Olliver Coussemacq
Avec Jamil Idrissi, Jalila Talemsi, Assma El Hadrami
Drame, Maroc, France, 1h27
07 août 2019
Local Films, A perte de vue
Les Mystères de Lisbonne
Réalisé par Raoul Ruiz
Avec Adriano Luz, Maria João Bastos, Ricardo Pereira
Drame, Romance, France, Portugal, Brésil, 4h32
2010 – ressortie le 7 août 2019
Alfama Films