[DÉFI] Un bon film avec une voiture qui ne démarre pas

Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?


Ressort scénaristique usuel des films de genre, une voiture qui refuse de démarrer est souvent le point culminant d’une scène d’action, telle une course-poursuite, où le(s) personnage(s) est menacé par un meurtrier, monstre ou autre créature inquiétante. Le bruit de la clé qui tourne et du ralement du moteur, le stress qui gagne à la fois les spectateur.trice.s et les protagonistes. Et toujours plus proche, celui que l’on fuit. Quoi de plus libérateur quand finalement la voiture se décide à marcher ? Ou que non, la personne sera attrapée ? 

Cela peut aussi être la fausse bonne idée pour se retrouver seul avec la personne que l’on convoite. Romantique ? Cela peut conduire à une dispute plutôt qu’à un réel moment de plaisir. 

On la trouve également dans les road movie, genre cinématographique où elle tient une place centrale. Quand le moteur refuse de démarrer, c’est alors tout le film qui est mis en danger. Comment filmer le voyage quand il n’y a plus de voyage possible ? Paradoxalement, la panne permet tout de même au film d’avancer, puisqu’elle autorise les personnages à faire étape, passage obligé pour de nouvelles – mais brèves – rencontres. 

La voiture revêt ainsi une dimension symbolique. En permettant le mouvement aux personnages, elle permet également au scénario, et donc à l’action, d’avancer. La panne n’est donc pas anodine. Si elle peut permettre les nouvelles rencontres ou moduler le rythme du film, elle ne doit pas s’éterniser, sous peine de voir les protagonistes et toute possibilité d’évolution disparaître. 

De la romance à l’horreur, en passant par le film policier ou d’aventure, la voiture qui ne démarre pas fait ainsi partie inhérente du films de genre.

Dans ce défi, nous vous parlons de Hôtel des Amériques d’André Téchiné, Retour vers le futur de Robert Zemeckis, Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valerie Faris, Wendy et Lucy de Kelly Reichardt.

Et n’oubliez pas de voter à la fin de l’article pour le prochain défi !

Hôtel des Amériques d’André Téchiné, 1981

À l’occasion de la rétrospective consacrée à Patrick Dewaere, trois films en version restaurée sont ressortis, Beau-père de Bertrand Blier (1981), Un mauvais fils (1980) de Claude Sautet et Hôtel des Amériques d’André Téchiné (1981).  Ce dernier met en scène un duo mythique, en racontant la romance passionnée et douloureuse d’Hélène et de Gilles, interprétés par Catherine Deneuve et Patrick Dewaere.

La voiture a sa place dans Hôtel des Amériques, elle aura diverses fonctions à travers le long métrage, tantôt outil de liberté, tantôt tombeau. Pour commencer, la rencontre entre Hélène et Gilles est provoquée par un accident en voiture dans Biarritz. Hélène, anesthésiste, renverse Gilles un soir, sur le chemin du retour. Ils se rendent dans un café pour effectuer le constat, elle s’endort. C’est la « première nuit » qu’ils passent ensemble, et à partir de laquelle ils ne vont plus se quitter. Le lendemain, Gilles accompagne Hélène chez elle avant qu’elle ne retourne travailler. Mais la voiture d’Hélène ne démarre pas. Pressée, elle en sort rapidement et se met en route pour attraper le bus. Elle prend de la vitesse, prête à sortir du cadre. Gilles la rattrape, ils sont réunis au milieu du plan, il veut la revoir le soir même. Elle lui répond qu’elle n’a rien de prévu mais qu’elle a besoin de rester seule. Il lui lance alors qu’il l’attendra à 20h. Elle sort du cadre, annonçant les va-et-vient qui vont caractériser leur relation amoureuse.

Que serait-il advenu si la voiture avait démarré ? Hélène aurait-elle eu la tête froide et se serait-elle ravisée, encore hantée par le souvenir douloureux de son mari disparu ? Un simple problème de moteur se révèle être le déclencheur d’un tourbillon passionnel, rythmé par le thème musical entêtant de Philippe Sarde.

Lucie Dachary


Hôtel des Amériques
Réalisé par André Téchiné
Avec Catherine Deneuve, Patrick Dewaere, Etienne Chicot
Drame, France, 1h35, 1981
Ressorti en version restaurée le 11 septembre 2019

Retour vers le futur, Robert Zemeckis, 1985

1985 : Marty McFly est un lycéen un peu rebelle très amoureux de sa copine. Il est ami avec Emmett Brown, «Doc». Derrière ses allures de savant excentrique, Doc a découvert la machine à voyager dans le temps. La démonstration de l’invention tourne mal : Brown se fait attaquer par des terroristes. Lors de l’assaut, Marty se réfugie dans la voiture et se retrouve piégé en novembre 1955, soit 30 ans avant sa naissance.

La première panne est introduite dans la première demi-heure. Marty vient d’arriver à Hill Valley le 4 novembre 1955. Il se rend devant sa résidence pavillonnaire, encore en construction à cette époque. La voiture tombe en rade, et il doit la cacher comme il peut. Mais c’est un peu plus tard, là où la tension est à son maximum, que la situation se reproduit et nous intéresse. Pour retourner chez lui, Marty doit utiliser la DeLorean, en sens inverse. Seulement, l’énergie nécessaire à la dématérialisation est générée par du plutonium, élément quasiment introuvable en 1955. Avec Doc, ils décident de récupérer l’énergie de la foudre qui va abattre sur l’horloge de l’hôtel de ville à minuit précise. Marty doit démarrer la voiture à un instant bien précis, pour percuter le câble auquel est relié l’horloge où la foudre doit s’abattre. Les secondes sont donc précieuses. Toute cette mise en scène participe à une tension crescendo : si Marty ne réussit pas à atteindre les 88 miles à temps, il ne pourra pas retourner en 1985. Un tel enjeu implique inévitablement de sacrés obstacles. La scène en question est construite en montage parallèle. D’un côté, Marty s’installe dans la voiture afin d’atteindre le point de contact avec la foudre, de l’autre, Doc s’occupe des derniers préparatifs pour relier le câble d’alimentation à l’horloge. Mais évidement, rien ne se déroule comme prévu. Pendant que Doc fait face aux intempéries, Marty est confronté aux caprices de la voiture.

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La caméra de Zemeckis est dans la précipitation. Le montage parallèle se compose de plans courts, accordant un regard minutieux à chaque détail et des plans serrés sur les visages paniqués des héros. Le spectateur assiste alors à une montagne russe émotionnelle.

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Le réalisateur exploite le cliffhanger de la scène d’action à son paroxysme. Tous les éléments de résolution sont remis en question jusqu’à ce que les héros, persévérants et dotés d’une grande bravoure, franchissent les obstacles et arrivent à destination. Une recette dont on connait les ingrédients par cœur mais qui a toujours le mérite de fonctionner. Accrochez-vos ceintures et embarqué pour un voyage cinématographiquement culte !

RVF 9

Clémence Letort-Lipszyc


Retour vers le futur
Réalisé par Robert Zemeckis
Avec Michael J. Fox, Christopher Lloyd, Lea Thompson
Science-Fiction, Aventure, Etats-Unis, 1h58
Sortie le 30 octobre 1985

Little Miss Sunshine, Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2006

Olive Hoover a un rêve : devenir Miss à un concours de beauté. Alors qu’elle a la chance de participer à Little Miss Sunshine en Californie, toute la famille décide — contrainte et forcée — de l’accompagner en minivan à travers les États-Unis. Ainsi vont devoir se côtoyer dans un espace clos : Richard, le père, qui essaye de vendre son programme « Réussir en 9 étapes »; Sheryl, la mère, dont le frère Frank vient tenter de se suicider et ne doit pas être laissé seul; Dwayne, l’aîné, qui a fait vœu de silence et le grand-père qui soutient et entraîne sa petite fille.

Après une introduction rythmée de toute la famille, classique dans les comédies telles que Little Miss Sunshine, le récit commence. Les Hoover sont entassés dans un van jaune, une antiquité, pour aller à la conquête d’un rêve : celui de milliers de jeunes américaines — gagner un concours de beauté. En traversant le pays, le film critique ce que sont devenus les États-Unis. Chaque personnage possède une croyance limitative : le père est celui qui sait tout mieux que tout le monde et rend la vie de tout le monde insupportable. Il croit avoir atteint l’American dream, mais ne fait qu’échouer. En comparaison, Frank est celui qui pense avoir tout raté. Il est sous antidépresseur et ne voit pas trop ce que la vie pourrait lui apporter. Sheryl a une vision de la famille qui se doit d’être unie et aimante, mais est à bout de force. Dwayne est né et a été élevé avec l’illusion que tout était possible alors qu’en on lui annonce qu’il ne pourra jamais devenir pilote il se referme, crée une carapace. Le grand-père est l’homme qui regrette et vit dans le passé. Olive est la fillette avec des paillettes plein les yeux et pleine de magazines de mode en tête. Pour elle rien ne pourrait mieux représenter sa vision de la vie que de briller devant des inconnus : une réjouissante petite fille qui rêve d’être une poupée.
La voiture est le lieu du rassemblement de cette étrange famille dysfonctionnelle. Très souvent, les road trip permettent de rencontrer de nouvelles personnes, de s’ouvrir vers le monde, mais ici, le road trip permet d’apprendre à connaître les uns les autres et à les accepter. La famille se retrouve dans un cocon et interagit finalement peu avec l’extérieur. Les conflits et les rencontres sont dans le van, comme dans un huis clos. Mais tout comme la famille ne fonctionne pas, la voiture elle aussi n’est pas parfaite. Alors qu’elle a pour simple mission d’amener les Hoovers d’un point A à un point B, elle cale. Elle défaille et permet ainsi de faire exploser les tensions, mais également de rassembler encore plus fort. 

La scène où le van ne démarre pas est précédée d’une séquence au diner où Olive désire prendre une glace. Richard lui fait remarquer, avec lourdeur et jugement, que la glace va se transformer en gras — mais que si elle souhaite devenir grosse, il n’y a en soit pas de problème. Le père est moralisateur et instille à sa fille une vision occidentale de la vie : être grosse ce n’est pas grave, mais être maigre c’est tellement mieux. Toute la famille est choquée et réussit à convaincre Olive de profiter de sa glace en paix. Alors qu’ils sortent tous, Olive demande combien de temps il reste de trajet : environ 800 milles en à peine deux jours. Sheryl propose de prendre le volant. Elle place une petite pique à Richard en lui signifiant que si lui y arrive cela ne doit pas être trop dur. Mais la voiture refuse de démarrer. Le père en profite pour lui expliquer comment faire avec condescendance. Excédée, Sheryl lui laisse le volant.

Changement de point de vue, la main de Richard est filmée en gros plan. Mais le bruit est le même : caverneux, horrible, pénible. La machine refuse de démarrer comme si elle prenait parti à la dispute et va aussi à l’encontre de la vision sexiste instillée par Richard qui sous-entendait que sa femme n’était pas capable de faire démarrer le minivan.

Au garage, le mécano leur dit que la pièce dont ils ont besoin n’arrivera pas avant mardi prochain, mais il leur suggère un autre technique qui ne demande pas de réparation, mais un peu de force. Il s’agit alors d’un des premiers plans qui montre toute la famille ensemble et ils comprennent sans paroles qu’ils vont devoir pousser. Le plan suivant les voit prêts à se remettre en route.

Une fois dans le minispace, Frank crie « No one left behind ! No one ». La famille se retrouve soudée dans l’effort. Les sourires sont certes un peu timides sur leurs visages, mais ils sont là. Pour la première fois depuis le début du film, ils sont tous ensemble : une famille. Ainsi la voiture qui ne démarre pas peut créer des tensions, mais également les régler quand elle demande que chacun mette du sien pour la voir repartir sur les routes magnifiques des États-Unis.

Marine Moutot


Little Miss Sunshine
Réalisé par Jonathan Dayton et Valerie Faris
Avec Abigail Breslin, Greg Kinnear, Paul Dano, Toni Collette, Alan Arkin, Steve Carell
Comédie dramatique, États-Unis, 1h40
6 septembre 2006

Wendy et Lucy, Kelly Reichardt, 2009

A bord d’une vieille Honda, Wendy (Michelle Williams) voyage avec son chien, Lucy, en direction de l’Alaska, où elle espère trouver du travail. Dans une ville de l’Idaho, à cours d’argent, la jeune femme dort dans le véhicule, qui, au matin, refuse de démarrer, et tente de voler de la nourriture pour chien dans un supermarché. Lorsqu’un employé la remarque et appelle la police, elle n’a d’autre choix que de laisser son chien seul, attaché devant le magasin. À son retour du poste de police, Lucy a disparu. Pendant deux jours, Wendy tourne en rond dans la ville, à la recherche de son chien et attendant un devis du garage.

Wendy et Lucy commence par plusieurs plans suggérant la mobilité : une gare de fret et les trains qui y circulent ; un plan d’ensemble de la forêt dans laquelle marchent Wendy et Lucy, suivies par un travelling ; le gros plan d’une carte sur laquelle un tracé évoque un voyage vers l’Alaska et, avec lui, les images de road trip et d’aventure qui lui sont associées.

Le film de Kelly Reichardt s’ancre dans l’imaginaire américain de la route et de la mobilité, qu’il évoque en négatif. La voiture est l’élément positif qui permet au protagoniste d’échapper à un environnement urbain délétère. Dans la ville, Wendy rencontre des gens hostiles ou indifférents : l’employé de supermarché qui insiste pour appeler la police, le policier qui laisse Lucy seule devant le magasin malgré les supplications de Wendy, le mécanicien qui fait le compte de chaque petite prestation, y compris le remorquage de la voiture qui se trouve pourtant sur le trottoir d’en face. Le seul personnage véritablement amical est le gardien du parking privé. Or, ce personnage est le seul rencontré alors que Wendy était dans la voiture, garée pour la nuit. La voiture est pour la vagabonde un espace refuge, où elle peut dormir sans se faire agresser, ainsi qu’un espace de fusion entre les deux êtres qui y cohabitent : dans la scène de la panne, la tête de Lucy se superpose au visage de Wendy, comme si elles ne formaient plus qu’un seul être.

fusion.png

Lorsque la voiture tombe en panne, Wendy n’a plus de refuge ni d’espace à partager avec son animal. Après avoir tenté d’emmener sa maîtresse hors champ (c’est-à-dire hors de la ville), Lucy disparaît complètement et Wendy se retrouve seule à errer dans la ville. Lorsque Lucy est enfin retrouvée, la voiture, trop chère à réparer, doit être abandonnée. Si Wendy peut repartir, elle doit se séparer de Lucy. Sans automobile, il n’y a plus de fusion possible entre les deux êtres, dorénavant séparés par un grillage. Lucy revient à un homme qui apparaît montant dans sa voiture qui, elle, démarre et sort du champ.

grillage.png

J. Benoist


Wendy et Lucy (Wendy and Lucy)
Réalisé par Kelly Reichardt
Avec Michelle Williams, Wally Dalton, Will Patton
Drame, Etats-Unis, 1h20
Sortie le 8 avril 2009

Retrouvez nos prochaines pépites le mardi 12 novembre 2019. Nous vous proposerons plusieurs bons films dans lesquels quelqu’un marche sur une chose dégoutante.

Vous aussi, mettez-nous au défi de dénicher des films en rapport avec votre thème, en votant pour le Défi #7 avant le 11 novembre 2019. Vous pouvez également proposer de nouveaux thèmes en commentaire ou sur les réseaux sociaux.

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

5 commentaires sur « [DÉFI] Un bon film avec une voiture qui ne démarre pas »

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