Cette semaine dans les Conseils : La Cordillère des songes, Retour à Zombieland,
Debout sur la Montagne et Mon Chien Stupide.
La Cordillère des songes : Patricio Guzman revient sur le passé de son pays natal quitté il y a plusieurs décennies, le Chili, à travers la contemplation d’un témoin immémoriel, la Cordillère des Andes.
Raconter, toujours raconter, voilà le travail entamé par Patricio Guzman il y a de nombreuses années. Il est peu à peu devenu le conteur du passé et du présent du Chili car c’est par la parole que la mémoire perdure et par sa voix off que le discours se crée. La Cordillère des songes parle du pays par les lieux et les territoires, tout comme Nostalgie de la lumière et Le Bouton de Nacre, et s’ancre dans la ville de Santiago mais surtout dans les montagnes qui la bordent. Qu’est-ce que la Cordillère ? Mémoire, témoin de l’Histoire, frontière, ressource, gardienne millénaire, elle représente 80% du pays, 80% laissés à l’abandon ou du moins trop souvent oubliés. La pierre garde la mémoire du passé et c’est pour cela que tout s’y rapporte, que ce soit en filmant directement la montagne et les murs, les sols et les cartes comme autant de failles minérales.
Le calme de la beauté des paysages filmés par les drones rompt avec la violence des exactions passées et présentes. Car c’est bien de la dictature de Pinochet et des années 70 au Chili dont parle Guzman. “Au Chili, ce qui ne se voit pas, n’existe pas”. Voilà pourquoi il se bat alors qu’il est si loin. En lui brûle le désir de garder une trace de la dictature afin que la lutte continue et que la résistance populaire soit. Témoignages d’artistes chiliens, archives filmées des violences de son ami Pablo, prises de vues contemporaines des ruines des bureaux de Pinochet, voilà comment se construit la force du récit mémoriel. Alors que la mise en place du discours pouvait sembler un peu lente, les archives happent le spectateur dès ces premières images inédites et la révolte nous saisit lorsque les militaires arrosent et gazent des manifestants pacifistes chantant “L’Hymne à la Joie”. Les images parlent d’elles-mêmes.
Guzman ne se cantonne d’ailleurs pas seulement au passé. Le drame économique chilien qui se poursuit depuis Pinochet est au coeur de son récit : le pillage du pays par les plus riches renforçant toujours plus les écarts entre les classes. Même constat que dans de nombreux autres pays, il observe une société moderne et individualiste qui se mobilise moins aujourd’hui : bien que la dictature soit terminée, les motifs de lutte populaire restent nombreux (avortement, droits de l’homme…) mais le peuple les voit de moins en moins.
Pour finir, La Cordillère des songes, c’est aussi le témoignage d’un exilé qui a dédié sa vie à parler de son pays et qui veut donner la parole à l’un de ceux qui sont restés, son ami Pablo qui n’a jamais cessé de filmer la lutte. Il rend hommage au travail d’une vie (et même de deux), en revenant sur la création de leurs films et sur ses souvenirs d’enfance. En recréant numériquement la maison de sa jeunesse aujourd’hui en ruine, il souligne que le développement des technologies et la conservation restent au coeur de sa réflexion. On sent poindre ici le testament touchant d’un cinéaste profondément nostalgique, un homme à l’enfance volée, mais en qui naît un nouvel espoir, celui des jeunes générations de filmeurs qui commencent à prendre le relai. Le récit se clôt sur l’évocation de la solitude et de l’angoisse qui l’étreint depuis le 11 septembre 1973, jour du coup d’Etat, avec le voeu final que “le Chili récupère son enfance et sa joie”, rappelant une dernière fois le trauma populaire des années Pinochet. Ce documentaire passionnant, comme les précédents, réussit avec brio à partager un témoignage personnel qui parle à l’universel. M.K.
Retour à Zombieland : Les années ont passé pour nos héros depuis leurs premières aventures. Wichita et Colombus ressentent la monotonie de leur vie de couple. Little Rock rêve d’émancipation et Tallahassee est devenu papa poule par excellence.
10 ans après leurs exploits, le quatuor revient dans un monde qui a peu évolué vis à vis du précédent. Et si les héros ne nous avaient pas tant manqué que ça, l’idée de repartir en road trip à leur côté ne s’est pas avérée déplaisante. Dans l’imaginaire collectif du zombie mangeur de cervelle, ce deuxième volet débarque après 10 saisons de The Walking Dead. En matière de péripéties, il vaut mieux se le dire, tout a déjà été bien saigné. Et pourtant Zombieland jouit d’une veine comique constante, dont la recette pourtant réchauffée n’est pas tiédasse.
Little Rock s’est enfui avec un bel inconnu rencontré sur la route. Wichita, Colombus et Tallahassee se lance à sa poursuite, épaulée de Madison, une jeune femme écervelée mais survivante avouée. La menace s’est intensifiée face à des zombies mutants, et on se retrouve à frissonner face au futur parfois instable de la bande. Le film réussit le passage des genres, entre suspens, action et comédie, il y en a pour tous les goûts.
Le déglingage de zombie redouble d’inventivité et c’est surement là que se trouve l’intérêt premier de notre visionnage. Entre deux affrontements, les héros profitent de chaque instant, notamment un emménagement à la Maison-Blanche. Toujours plus fort, toujours plus gore, Zombieland est l’ère de l’outrance et du plaisir dans les choses simples de la vie. C.L.L.
Debout sur la montagne : Dans un futur proche, le major Roy McBride se rend aux confins du système solaire afin de retrouver son père, brillant astronaute porté disparu.
Sébastien Betbeder est un cinéaste de la fantasie. Il peuple son univers de paumés et les rend poétiques. Découvert en 2013 — pour ma part — avec 3 automnes, 2 Hivers, ce réalisateur a le pouvoir de faire vivre des personnages pathétiques et de les rendre beaux. Avec Marie et les Naufragés, en 2016, il ajoutait une dimension fantastique à son scénario qui pouvait déstabiliser les adeptes des comédies romantiques. Ici, pas d’histoires d’amour, mais l’histoire de trois trentenaires qui n’ont rien réussit. Hugo était prof, mais rêve de faire du stand up. Bérénice multiplie les relations amoureuses et les petits boulots néfastes et Stan a été diagnostiqué schizophrène. Tous les trois avec leurs névroses replongent dans leur souvenir de jeunesse pour retrouver la joie et le bonheur — qui au vu des moments évoqués n’étaient pas forcément très joyeux. À eux trois ils avaient le sentiment de tout pouvoir réussir. De retour dans ce magnifique petit village montagnard — où tous les habitants ressemblent à des bobos parisiens, il est important de le noter, bien que cela ne soit pas un défaut en soi — le quotidien côtoie le fantastique à travers le personnage de Stan. Ce schizophrène joyeux, interprété par William Lebghil, nouvelle coqueluche du cinéma comique indépendant français, veut absolument venir en aide à ses amis car un homme lémurien zèbre le lui a dit. Mais l’étrangeté ne dépasse jamais une certaine limite et frôle doucement l’imagination du spectateur qui s’habitue finalement à cette folie. Et c’est là où le film prêche. Sans jamais vraiment sombrer dans le fantasque, il reste assez vite ennuyant et traîne le récit en longueur. L’alchimie des personnages ne fonctionne pas entièrement et l’humour tombe souvent à côté. Il reste la fraîcheur des acteurs et actrices, la beauté de la montagne et la musique. Le cinéaste français ne semble pas se réinventer dans cette atmosphère qui se veut poétique. Un peu manque de rythme vient également court-circuiter les souvenirs qui tombent à chaque fois comme un cheveu sur la soupe. En résumé, un film sympathique, mais pas exceptionnel. Je vous conseille de revenir quelques années en arrière pour découvrir 3 Automnes, 2 Hivers où Bastien Bouillon brillait déjà au côté de Vincent Macaigne. M.M
Mon Chien Stupide : Henri n’aime pas sa vie. Entre sa femme sous anxiolytique et ses quatre enfants, il va mal. Alors qu’un gros chien élit domicile chez lui et qu’il décide de le garder, la maison se vide. Est-ce le début pour reconquérir son espace vital ?
Après deux films autour de son couple avec Charlotte Gainsbourg (Ma femme est une actrice et Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants), Yvan Attal décide d’adapter le roman éponyme de John Fante. En se faisant, il en profite pour faire une petite introspection de sa propre vie. Mon Chien Stupide est une retranscription plus ou moins bancale du dégoût de la vie par Attal — en exagérer, espérons-le. Avec un surplus de cynisme, le récit n’arrive pas vraiment à décoller au-delà de son propos : la quête d’un homme dans ses souvenirs de Rome et l’espérance de la solitude. Assez prévisible, parce que cousu de fils blancs, les relations de cette famille peuvent être par moment drôle — comme a essayé de me faire comprendre une spectatrice derrière moi — et tragique — comme aurait aimé que cela le soit de la part d’Yvan Attal. Le chien instrument du délitement de la famille n’est finalement qu’une grosse bête là pour amuser la galerie. Par fugaces instants, il arrive à montrer toute la jouissance qu’Henri tire des érections permanentes de Stupide. Charlotte Gainsbourg est par contre, comme toujours, excellente dans son rôle de femme à la limite de la dépression qui doit porter sur ses épaules tout le cynisme de son mari. Les quatre enfants sont juste là pour faire des calculs rapides et n’ont pas assez d’épaisseur pour que la sauce prenne. Ainsi ce nouveau film est sympathique sans plus avec quelques moments douçâtres, mais l’ensemble laisse comme un goût amer. M.M
Clémence Letort-Lipszyc, Manon Koken et Marine Moutot
La Cordillère des Songes
Réalisé par Patricio Guzman
Avec la voix off de Patricio Guzman
Documentaire, France, Chili, 1h25
30 octobre 2019
Pyramide Distribution
Retour à Zombieland
Réalisé par Ruben Fleischer
Avec Emma Stone, Jesse Eisenberg, Woody Harrelson
Comédie, Epouvante-Horreur, Action, Etats-Unis, 1h39
30 octobre 2019
Sony Pictures Releasing
Debout sur la montagne
Réalisé par Sébastien Betbeder
Avec William Lebghil, Izïa Higelin, Bastien Bouillon
Comédie, Drame, France, 1h48
30 octobre 2019
Sophie Dulac Distribution
Mon Chien Stupide
Réalisé par Yvan Attal
Avec Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg, Eric Ruf
Comédie, France, 1h45
30 octobre 2019
Studio Canal
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