[CONSEILS DU VENDREDI] #65

Cette semaine dans les Conseils : J’ai perdu mon corps, Furie, La Belle Époque, Et puis nous danserons, Paï : l’élue d’un peuple nouveau et Le voyage dans la Lune.


J’ai perdu mon corps : Une main est violemment coupée de son corps. Suivons ce membre solitaire à la recherche de son être, à travers ses souvenirs et le périple d’une vie.

Grand Prix de la Semaine de la Critique, le tant attendu J’ai perdu mon corps arrive enfin en salles. C’est un récit à trois têtes (et encore plus de mains) qui se dessine en deux dimensions sous nos yeux : celui de l’enfant, celui du jeune adulte et celui… d’une main ! Ici, on parle de lutte, de volonté, de désir de se (re)trouver. Le désir d’un pas de côté, d’un éloignement de son destin est aussi très présent et fait un clin d’oeil involontaire aux héroïnes de Papicha et des Hirondelles de Kaboul, aussi en compétition au Festival de Cannes cette année. Au coeur de la jungle urbaine, le héros recherche les espaces vides avec un rêve poétique d’Antarctique, et ce, peut-être pour oublier, se pardonner, surmonter le trauma secret.
Là où une histoire d’amour se noue, là n’est pas le coeur du récit, car ce qui nous happe réellement c’est la main, c’est là qu’est le fascinant. On pourrait s’attendre à verser dans le fantastique (elle ressemble quand même beaucoup à la Chose de La Famille Addams cette main, non ?) et pourtant tout semble logique et réaliste. Une main qui se promène, après tout, pourquoi pas ?
La grande réussite de ce film se concentre sûrement dans trois éléments. De un, le brillant tour de passe-passe de Jérémy Clapin pour nous faire comprendre (et ressentir) les émotions d’une main, d’un petit bout d’être (oui, oui, on pense aussi au Rubber de Quentin Dupieux, on n’oublie pas le pneu). De deux, une intense et touchante conversation à l’interphone d’un immeuble entre deux inconnus.  Et de trois, la violence de certaines scène dont on ressort le coeur battant, tétanisés par l’imprévu.
Si un reproche devait être fait à J’ai perdu mon corps, on s’appesantirait sûrement sur le son. Bien que la fascination du personnage principal pour l’enregistrement sonore de son environnement soit tout à fait justifiée – révélateur d’un passé caché -, la BO est parfois un peu surchargée (et le volume élevé). Il n’empêche que le thème principal sait animer les coeurs et éveiller les spectateurs. On voudrait se laisser porter par ce rythme entraînant.
Nous n’en dirons pas plus sur le détail des pérégrinations respectives des protagonistes sinon que c’est par là que commence une histoire sensorielle forte dont les spectateurs mettront sûrement un certain temps à se remettre. Et nous souhaitons évidemment un beau parcours à cette main ! M.K.

Furie : Chloé et Paul Diallo partent en vacances en prêtant leur maison à la nounou de leur fils, Sabrina, et à son compagnon. À leur retour ils découvrent que le couple s’est approprié leur domicile et déclare être chez eux. Pour Paul, c’est le début d’un long combat.

Si Furie est un film fait avec des moyens assez modeste (petit distributeur, casting pratiquement inconnu en dehors de la présence de Paul Hamy, dernièrement aperçu dans Jessica Forever…), il n’en montre rien. Il ainsi rare, et à vrai dire fort agréable, de voir chez nous un long-métrage qui affiche aussi clairement ses envies de mise en scène. Olivier Abbou, visiblement inspiré par le film de genre, met ainsi l’esthétique de son métrage au service de l’atmosphère avec une cinématographique et une bande-son particulièrement soignées qui viennent nourrir l’ambiance suffocante de ce thriller.
Toutefois, s’il est particulièrement réussi sur la forme, c’est par le fond que Furie pèche. Il est tout à l’honneur d’Olivier Abbou d’avoir voulu ici se servir de différentes dynamiques de domination (la fracture sociale, le racisme ordinaire, la masculinité toxique…) pour construire son récit. Explorer de telles problématiques vient alimenter et élever de manière crédible ce qui autrement aurait pu ressembler à n’importe quel home invasion.
Néanmoins, Abbou semble souffrir de ce syndrome bien connu des scénaristes français : la sur-écriture. Conséquemment, certains dialogues sonnent faux tandis que les personnages secondaires tombent dans la caricature ou à l’inverse dans l’opacité… Plus encore, à trop vouloir ajouter de couches interprétatives, Abbou finit par se perdre et aboutit à un contresens total qui vient trahir la morale de son histoire et ce qu’elle avait choisi de dénoncer jusque-là. Ultimement Paul – homme caractérisé par un pacifisme à tout épreuve, souvent confondu pour de la lâcheté – sera ainsi récompensé (par du sexe car, si vous ne le saviez pas déjà, le personnage féminin au cinéma n’est là que pour venir gratifier l’exploit du héros) pour avoir enfin accepté de jouer au bonhomme qui s’bat pour prouver que c’est pas un faible wesh. Un sabotage final pour un film pourtant aussi ambitieux, c’est ce qu’on appelle du gâchis. M.P

La Belle Époque : Victor est marié depuis longtemps à Marianne et ils ne se reconnaissent pas. Un ami d’enfance de son fils propose à Victor de recréer une période de son choix. Il décide de replonger 40 ans avant, quand il était jeune et qu’il a rencontré la femme qui a changé sa vie.

Le problème des films de Nicolas Bedos est qu’il s’aime et que son ego inonde les récits. Ici, il n’incarne aucun personnage en chair et en os — heureusement. Mais Antoine, interprété par Guillaume Canet, est son alter ego : prétentieux, toxique, minable, mais talentueux — donc on lui pardonne tout. C’est l’histoire d’un homme, Victor — Daniel Auteuil, parfait — qui retourne 40 ans en arrière pour revivre la rencontre avec sa femme est très belle. L’idée est touchante, vibrante et fonctionne. Ce couple de Daniel Auteuil et Fanny Ardant est beau, même dans sa déchéance. Marianne est une femme qui ne veut pas vieillir dans un monde qui n’accepte pas les vieilles dames, mais Victor a lui perdu toute raison de rester jeune. Malgré tout cela reste très schématique, surtout dans la rédemption de Marianne. Mais la relation qui se joue en parallèle entre Margot — Doria Tillier, magnifique — et Antoine est profondément perverse. Le long-métrage est brouillon, il offre une profusion de personnages et d’histoires qui donne l’impression d’un fourre-tout. Comme si le cinéaste n’avait pas réussi à choisir tout ce qu’il voulait dire et raconter. Il clame un amour pour le fantasme et se perd dans les labyrinthes d’une lumière brune des années 1970. Tel un film à rallonge, La Belle Époque veut tout nous dire et Bedos le fait savoir avec supériorité. Il dépasse par moment les limites en devenant misogyne dans ses/les déclarations qu’Antoine fait à Margot. Et quand bien même elle se rebelle, elle n’a jamais vraiment le dessus. Ainsi, le spectateur ne sait où donner de la tête entre Victor, Marianne, Margot, Antoine et tous les personnages satellitaires qui brouillent le récit pourtant intéressant et original d’une reconstitution historique d’un instant parfait. Brouillon, toxique, malpropre avec des moments de grandes beautés, le nouveau Bedos est à la hauteur de son cinéaste : d’une arrogance rare. M.M

Et puis nous danserons : Merab est élève au conservatoire national de danse de Tbilissi. Quand une place se libère dans la troue du ballet, il va s’entraîner nuit et jour l’obtenir. C’est sans compter sur Irakli, dont l’arrivée va chambouler les habitudes et les sentiments du jeune danseur.

Et puis nous danserons est une variation de l’histoire d’un premier amour, celui que l’on attendait pas, celui qui sème le doute dans nos envies et nos convictions, celui qui nous ensorcelle. Merab est un jeune homme consciencieux, qui répète assidûment ses pas de danse le soir après son petit boulot étudiant et au petit matin avant l’arrivée de son professeur. Quand le mystérieux Irakli intègre la classe de danse, Merab sent une fureur de vivre l’envahir. D’abord motivée par l’envie de contrer ce nouveau rival dans la course à l’intégration du ballet national, toute son attention va se porter sur cette nouvelle rencontre. Le binôme rappelle les relations des protagonistes de Call me by your name ou La vie d’Adèle. Sous les traits d’un mentor, l’aîné du duo guide son cadet vers l’exploration et l’assouvissement du désir sexuel. Si l’homosexualité n’a pas sa place en Géorgie, le film prend le parti de la tendresse et de la bienveillance entre ses deux jeunes hommes. Cette expérience est fondatrice dans la construction du personnage, et à l’instar des héros de Kechiche et Guadagnino, celui de Akin, le jeune Merab, va ressentir les différentes strates de cette relation. La timidité des sentiments, l’exaltation, l’épanouissement mais aussi la douleur psychique qui est dans Et puis nous danserons indissociable de la douleur physique. Chacune de ses émotions transparaît dans la danse : tantôt transporté et conquérant, tantôt dévasté et chancelant, les pas de Merab rythme l’histoire. L’ivresse du jeune homme est contagieuse et son expression dans les mouvements du corps est une orchestration réussie. C.L.L.

Paï : L’élue d’un peuple nouveau : Paï porte le nom du premier homme maori de son village. À douze ans, elle essaye de comprendre sa place d’unique héritière du chef Koro. Son grand-père, pourtant, refuse de voir en elle la descendante d’une grande tradition qui n’a jamais été incarnée que par des hommes.

La cinéaste Niki Caro, en adaptant le roman Whale Rider de Witi Ihimaera, parle du gouffre qui se crée dans la Nouvelle-Zélande entre l’ancien et la nouvelle génération. Ce film de 2004 qui ressort pour la troisième fois en France n’a rien perdu de sa pertinence et de sa force. La division qui se crée au sein de la famille du chef Koro entre la petite fille et le grand-père n’est pas manichéenne, mais bien complexe. Ils s’aiment, mais les coutumes les séparent et va presque jusqu’à briser l’amour qui les unissait. Le film montre comment la confrontation entre la tradition — maori — et la modernité peut faire des ravages. La jeune Paï en voulant devenir l’héritière de son grand-père va à la fois à l’encontre des coutumes et les embrasse totalement. Profondément féministe, cette histoire est importante et montre que les petites filles peuvent être l’égale des petits garçons. Que les choses changent. Tout au long du récit pour mieux capter les émotions et les contradictions qui habitent les personnages, Niki Caro va les filmer de manière très proche. Les visages qui habitent l’écran sont marqués et extraordinaires. L’actrice, Keisha Castle Hughes, qui joue Paï est par ailleurs magnifique et nous fait vibrer au rythme de son histoire. De plus viennent s’ajouter les paysages magnifiques de la Nouvelle-Zélande et une musique — bien que des fois trop présentes – magnifiques. Une histoire complexe et pourtant si universelle qui ravira et touchera les grands comme les enfants. M.M

Le voyage dans la Lune : Ni une, ni deux, quand les médias annoncent que la loi interdisant de posséder l’astre lunaire est caduque, Solan et ses amis décident d’être les premiers à y poser le pied. La Lune sera norvégienne et rien ne pourra empêcher cela !

Retrouvons les courageux héros de La Grande course au fromage, Solan, Ludvig et Féodor pour de nouvelles aventures (la troisième pour être exacte). La conquête spatiale a aujourd’hui cinquante ans et le sujet est donc d’actualité. Rasmus A. Sivertsen y a pensé et s’est demandé : que se passerait-il si la Lune était norvégienne ? Le principe est le même que la dernière fois : une compétition acharnée pour une leçon de solidarité. Et l’humour est toujours au coeur de l’histoire avec les maladresses du hérisson Ludvig. L’animation ne plaira sûrement pas à tout le monde (stop motion et travail numérique) mais elle fait ses preuves. On pensait avoir déjà tout vu mais Le Voyage dans la Lune nous en apprend beaucoup sur la conquête spatiale et permet une fine critique de la décadence de nos sociétés occidentales. Politique, environnement, médias, tous les sujets forts y passent. Heureusement le discours reste accessible aux plus jeunes. Par ailleurs, les clins d’oeil à d’autres films se passant dans l’espace permettent de passer une séance ludique et sympathique. M.K.

Clémence Letort-Lipszyc, Manon Koken, Marine Moutot et Marine Pallec

J’ai perdu mon corps
Réalisé par Jérémy Clapin
Film d’animation avec les voix de Hakim Faris, Victoire Du Bois, Patrick d’Assumçao
Drame, France, 1h21
6 novembre 2019
Rezo Films

Furie
Réalisé par Olivier Abbou
Avec Adama Niane, Stéphane Gaillard, Paul Hamy
Thriller, France, 1h37
6 novembre 2019
New Story

La Belle Époque
Réalisé par Nicolas Bedos
Avec Daniel Auteuil, Guillaume Canet, Doria Tillier
Comédie, Drame, France, 1h55
6 novembre 2019
Pathé / Orange Studio

Et puis nous danserons
Réalisé par Levan Akin
Avec Levan Gelbakhiani, Bachi Valishvili, Ana Javakishvili
Romance, Drame, Suède, Géorgie, France, 1h50
6 novembre 2019
ARP Sélection

Paï : l’élue d’un peuple nouveau
Réalisé par Niki Caro
Avec Keisha Castle-Hughes, Rawin Paratene, Vicky Haughton
Drame, Comédie, Nouvelle-Zélande, Allemagne, 1h23, à partir de 8-9 ans
2013 – ressortie le 6 novembre 2019
Splendor Films

Le voyage dans la Lune
Réalisé par Rasmus A.Sivertsen
Film d’animation avec les voix de Philippe Allard, Michel Hinderyckx, Pascal Racan
Comédie, Norvège, 1h20, à partir de 5 ans
Sortie le 6 novembre 2019
KMBO

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

3 commentaires sur « [CONSEILS DU VENDREDI] #65 »

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