[CONSEILS DU VENDREDI] #67

Cette semaine dans les Conseils : Les Misérables, In Fabric, Les Eblouis,
Pat et Mat en hiver et L’incinérateur de cadavres.

Les Misérables : Stéphane Ruiz vient d’être muté à la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, banlieue à haute tension de la région parisienne. Il est immédiatement embarqué dans une mission qui tourne au vinaigre. L’équipe est vite débordée et un drone filme la scène. Entre bavure et respect de la loi, la frontière s’effrite.

En 2005, suite à la mort de deux adolescents voulant échapper à un contrôle de police, un mouvement s’élève afin de dénoncer les violences policières. De nombreuses émeutes éclatent dans le département de la Seine-Saint-Denis avec comme feu de départ Clichy-soys-Bois et Montfermeil. C’est en référence à cette période houleuse que Les Misérables relance une situation tendue et on ne peut plus actuelle. Ladj Ly est issu du documentaire. Il a participé en 2005 à la captation de ces événements et à la dénonciation des abus de pouvoir de la police. Environ 10 ans plus tard sort le court-métrage Les Misérables. Véritable succès public et critique, le film fait le tour des festivals. Le long-métrage reprend la même trame que le court, les mêmes acteurs également.
Le cinéaste nous plonge rapidement dans une guerre civile, un rapport de force électrisant instauré entre les habitants et les forces de l’ordre. L’intrigue sous entend une situation installée depuis déjà un moment. Ladj Ly livre un témoignage à fleur de peau de la violence qui règne. Les personnages, bien que fictifs, sont écrits et interprétés avec vraisemblance. Leur colère motivant leurs paroles, leurs actes est naturellement perceptible, redoublant d’intensité et de vérité. Rien n’est surjoué, ou en dehors du propos initial. Les situations conflictuelles s’enchaînent et en tant que spectateur nous ne pouvons qu’en absorber l’énergie et nous en imprégner. Le film assume son origine documentaire et s’attaque à un sujet brûlant, dans tous les sens du terme. Les flammes qui consumaient les carcasses de voitures autrefois calcinent aujourd’hui les esprits des jeunes de la cité. Policiers et citoyens montent au créneau en cascade et se livrent à un jeu de pouvoir fondée sur la peur. Un écho, sauvage mais véridique, aux actes des manifestants d’hier et de demain face à leurs opposants en France.
Merci à Ladj Ly de nous avoir ouvert une porte vers cette banlieue, de nous permettre de poser le regard sur cette ville qui parmi tant d’autres n’est plus considérée. Un espace où les droits sont bafoués et où le régime de la peur est maître. Jamais dans le pathos, toujours les mots justes, Les Misérables est un film essentiel où la colère de ceux à qui ont a ôté la parole ose résonner. Un hymne à la révolte et au respect des droits fondamentaux de l’homme. C.L.L

In Fabric : Sheila, mère de famille divorcée et employée d’une compagnie d’assurance, décide de s’acheter une belle robe qui lui redonnera confiance en elle pour son rencard du soir. Elle trouve son bonheur dans l’étrange boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s au personnel si apprêté, figé et gothique. Sa soirée ne va pas se dérouler comme elle le pensait…

Comment faire un film d’horreur avec une simple robe rouge ? Avec une mère de famille, une boutique surprenante, une esthétique très travaillée et du clavecin. Voilà. C’est fait. Mais non, c’est pas aussi simple ! Peter Strickland, réalisateur britannique de The Duke of Burgundy et Berberian Sound Studio, continue de mettre ses obsessions sur grand écran. Comme dans BSS, le son est particulièrement soigné, l’esthétique rétro, les couleurs intenses, l’atmosphère gothique aussi. Chez lui, on travaille beaucoup l’image et le son, le point faible reste le scénario. Les acteurs sont bons (Gwendoline Christie est méconnaissable) et l’atmosphère d’étrangeté incompréhensible qui se dégage du film fonctionne bien (notamment les entretiens figés et répétitifs qui reviennent régulièrement). Reflets dans les miroirs, couleurs magnifiques, crimes sanglants, In Fabric rappelle fortement les films de Dario Argento, tout particulièrement Suspiria, ainsi que Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg. Le sexe et la pulsion sont d’ailleurs aussi très présents et participent à la construction de l’étrangeté. Cronenberg et ses spots télévisés semblent aussi avoir fait une apparition dans la cinéphilie de Strickland, et cela fonctionne bien. Très léger hic, de légers moments un peu ridicules par leur invraisemblance mais est-ce si étonnant quand on sait que A24, la maison de production de In Fabric, a aussi produit Swiss Army Man (le cadavre de Daniel Radcliffe se déplace en pétant) ? Ce sont des délires permis par le rêve, non ? Visuellement très beau (tout comme son affiche), In Fabric vaut la peine d’être vu sur grand écran malgré sa lenteur parfois un peu trop marquée. Et puis on aime aussi l’accent british. Étrange que le film ne sorte que dans une salle en France. Peur de la malédiction ? M.K.

Les Eblouis : Camille, 12 ans, vit pleinement sa passion pour le cirque, soutenue par ses parents et ses trois frères et soeurs. Tous les six sont proches et aiment passer du temps en famille. Un jour, ils sont invités à un repas partagé organisé par la communauté catholique de la Colombe. Ils découvrent alors un univers qui les séduit énormément mais qui va prendre de plus en plus de place dans leur vie. 

Pour son tout premier long métrage, la comédienne Sarah Suco a décidé d’écrire une histoire vraie, la sienne. Elle témoigne à rebours sur ce qu’elle et ses frères et soeurs ont subi au sein d’une communauté catholique intégrée par ses parents et en dénonce les dérives sectaires. Le film a pour point fort de très bien décrire les mécanismes de manipulation, de domination et d’intégration développés et de montrer le lent hypnose qui s’opère sur les esprits. Toujours à hauteur d’enfant (une bonne idée !), celle de Camille, le spectateur est tantôt stupéfait et horrifié de la violence des traitements subis par les membres de la communauté, et notamment les enfants, tantôt excédé par ce qu’observe la jeune protagoniste. Mais cela s’arrête là. Artistiquement, l’oeuvre ne suit pas. Camille Cottin joue une mère éblouie et quasiment possédée, elle le fait bien, mais on y croit moyennement – peut être la faute à notre habitude de la voir dans des rôles très éloignés de celui là. Céleste Brunnquell, pressentie aux Révélations des Césars 2020 pour son rôle de Camille, est assez inégale dans son jeu – et dans plusieurs scènes cela saute aux yeux. Progressivement, malgré l’intérêt du témoignage romancé, Les Éblouis (joli titre) devient grotesque, non pas en allant trop loin mais en tombant dans la surenchère. Le scénario devient prévisible et les ficelles grossières jusqu’à la scène dont on se doutait tant et qui confirme notre jugement. Longuet et parfois un peu niais (les dialogues entre les enfants, l’amourette avec le jeune circassien), le film ne convainc pas vraiment. M.K.

Pat et Mat en hiver : Le célèbre duo d’amis bricoleurs tchèques, Pat et Mat, sont de retour pour de nouvelles aventures. Et cette fois-ci, ça se passe au coeur de l’hiver !

A travers ce programme de cinq courts métrages, Cinema Public Films offre une quatrième sortie au cinéma aux bricolos maladroits que sont Pat et Mat (après Pat et Mat, Les nouvelles aventures de Pat et Mat et Pat et Mat déménagent). Toujours réalisés par Marek Benes, les gags perpétrés par les marionnettes (bien contre leur gré) sont toujours drôles, burlesques et sans paroles, pour faire rire les plus jeunes (et les plus vieux aussi). Des cadeaux, un sapin, beaucoup de neige, un sauna et même un igloo, ça promet pour cet hiver ! M.K.

L’incinérateur de cadavres : Monsieur Kopfrkingl, directeur d’un crématorium, croise par hasard un ancien compagnon d’armes devenu sympathisant nazi. Celui-ci lui suggère qu’il pourrait avoir du sang allemand dans les veines, une nouvelle qui va changer sa vie assez radicalement. L’incinérateur de cadavres, interdit peu après sa sortie en 1968 en Tchécoslovaquie, décrit la montée du nazisme à travers la folie meurtrière d’un homme. L.D

« Rien n’est sûr dans la vie que la mort », telle est la maxime de Monsieur Kopfrkingl, directeur d’un crématorium. La cinquantaine, un embonpoint bien avancé, il a tout d’un homme normal. Mais il suffit d’une idée fixe pour que tout bascule… Persuadé que les membres de sa famille seraient « un quart juifs », Monsieur Koprfrkingl sombre dans la folie et la décime méthodiquement. Si L’incinérateur de cadavres est un peu bavard et inégal dans son rythme, il propose un univers de l’excès dans lequel l’humour noir est le catalyseur d’une période sombre de l’Histoire. Porté par un personnage principal haut en couleur (et ce malgré le noir et blanc du long métrage) incarné par Rudolf Hrusinsky, le film nous plonge dans un petit musée des horreurs absurde et comique dont l’un des ressorts est constitué par les effets de montage rapides. Ceux-ci donnent lieu à de sublimes séquences comme l’introduction, qui repose sur un jeu de regard entre un léopard et les deux protagonistes lors de leur première rencontre. Défiance, séduction et animalité sont autant d’élans qui habitent le personnage principal, qui use de sa bonhomie pour piéger ses proies. Le médecin juif qui vit dans le même immeuble que Monsieur Kopfrkingl constituera un rempart au totalitarisme croissant, en rappelant à ce dernier que, de la même façon que les cendres auxquelles sont réduits les cadavres, le sang qui coule dans les veines de chaque homme est le même, quelles que soient ses croyances. Mais il est déjà trop tard.
Ce troisième long métrage de Juraj Herz censuré de la même façon que Les petites marguerites de Vera Chytilova (1966) ou Au feu les pompiers ! de Milos Forman (1967), atteste de la vitalité, de l’humour et de la créativité du cinéma tchécoslovaque de la fin des années 60.

Lucie Dachary, Clémence Letort-Lipszyc et Manon Koken

Les Misérables
Réalisé par Ladj Ly
Avec  Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga
Policier, Drame, France, 1h42
20 novembre 2019
Le Pacte

In Fabric
Réalisé par Peter Strickland
Avec Marianne Jean-Baptiste, Gwendoline Christie, Fatma Mohamed
Horreur, Grande-Bretagne, 1h58
20 novembre 2019
Tamasa Distribution

Les Eblouis
Réalisé par Sarah Suco
Avec Camille Cottin, Jean-Pierre Darroussin, Eric Caravaca
Drame, France, 1h39
20 novembre 2019
Pyramide Distribution

Pat et Mat en hiver
Programme de courts métrages d’animation réalisé par Marek Benes
Comédie, République tchèque, 40 minutes, à partir de 3 ans
20 novembre 2019
Cinema Public Films

L’Incinérateur de cadavres
Réalisé par Juraj Herz
Avec Rudolf Hrusinsky, Vlasta Chramostová, Jana Stehnova
Drame, epouvante, thriller, Tchécoslovaquie, 1h36
20 novembre 2019 (ressortie)
Malavida

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

2 commentaires sur « [CONSEILS DU VENDREDI] #67 »

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