Le Roi, adaptation de Shakespeare : Henri IV – Partie 1 et 2 et Henri V

Le Roi : Fin du XVe siècle, Angleterre, Hal, jeune prince de Galles refuse le pouvoir et préfère s’amuser dans les tavernes avec son ami Falstaff. Mais alors que son père, le roi Henri IV, est sur le point de mourir, il est rappelé à l’ordre. Il devient Henri V et se retrouve avec, entre les mains, un pouvoir et un royaume dont il ne voulait pas. Il doit faire face aux intrigues politiques qui mettent à rude épreuve ses ambitions pacifiques.

Henri IV (Partie 1 et 2) et Henri V font partie d’une tétralogie (trilogie théâtrale) commencée par William Shakespeare avec Richard II publié en 1597. Les pièces Henri IV et Henri V, publiées entre 1598 et 1600¹, sont des pièces historiques basées sur les récits de personnages puissants existants : les rois. Avant d’écrire sa seconde trilogie — la première étant Henri VI (Partie 1 et 2) et Richard III — Shakespeare était déjà connu pour ses pièces telles que Roméo et Juliette (représentation en 1594). Ces deux pièces — nous allons laisser de côté Richard II — ont souvent été adaptées au cinéma et à la télévision avant que le cinéaste australien David Michôd et l’acteur Joel Edgerton se penchent sur les textes pour les adapter pour la plateforme de VOD Netflix. Parmi ces adaptations, l’une des plus particulières est sans doute celle de Gus Van Sant dans My Own Private Idaho (1991) : Keanu Reeves y incarne Scott librement inspiré du Prince Hal. En effet, les cinéastes et showrunners ont rapidement mis en place un système de références shakespeariennes dans leurs oeuvres, plus que de réelles adaptations.

David Michôd sur le tournage avec Timothée Chalamet

Le Roi est montré en Hors-Compétition à La Mostra sous le nom de The King. David Michôd nous avait mis une claque avec son premier film, Animal Kingdom. Il quitte son Australie natale pour aller se poser en Angleterre au début du XVe siècle. Le cinéaste met en scène Timothée Chalamet dans le rôle de Hal, prince puis roi Henri V, Joel Edgerton en Falstaff, Ben Mendelsohn en roi Henri IV, Robert Pattinson en Dauphin et Lily Rose-Depp en Catherine, fille du roi de France. Alors que les pièces de Shakespeare possèdent une multitude d’intrigues et de personnages qui gravitent autour d’Henri IV et d’Henri V, valets, soldats, camarades, famille, ennemis, le film resserre la trame et réduit drastiquement le nombre de personnages. Cela entraîne forcément des changements profonds.

Infidélités à l’Histoire

Beaucoup ont dû reprocher à Shakespeare de prendre des raccourcis faciles, de modifier des détails importants de la vie des rois dont il contait l’histoire sur scène, pour qu’il ouvre sa pièce Henri IV — Partie 2 par le personnage de la Rumeur. Ce personnage déclare ainsi : 

“[…] Mes langues font circuler les calomnies sans fin
Dont je dis les paroles dans les divers idiomes,
Bourrant l’oreille des gens de faux renseignements. […] ”²

À la sortie de Rumeur arrive un messager qui apporte de fausses nouvelles à l’ennemi du roi Henri IV, lui faisant croire à une victoire de leur côté, alors qu’il n’en est rien. Ainsi, pendant toute la première scène de l’Acte I, deux discours sur ce qui s’est passé se disputent. Shakespeare s’est ainsi toujours défendu d’un devoir de fidélité totale à l’Histoire. Il avait conscience que son rôle n’était pas celui d’historien, mais bien de dramaturge. En mettant en garde son audience, il montre qu’il y a plusieurs manières de raconter une histoire. Il était par ailleurs plus intéressé par les messages sous-jacents de ses personnages que par la vérité exacte. De plus, il devait condenser en une représentation plusieurs années de la vie d’un roi. Ainsi, l’ensemble des trois pièces mises bout à bout doit retracer plus de 15 ou 20 ans de la vie d’Henri IV et d’Henri V. Mais il en est de même avec le film, qui ne met pas en garde son public. Le film prend des éléments importants d’Henri IV — Partie 1 : la trahison de Percy, la bataille où le prince Hal tue Percy, mais supprime des moments importants de Henri IV — Partie 2 où a lieu le rapprochement entre Henri IV et Hal, les affrontements contre le père de Percy, pour ne se préoccuper que du couronnement d’Hal en roi Henri V. Il éclipse ainsi plus de 5 ans de la vie d’Hal — personnage principal du film. Quand il est décrit ivrogne, le jeune prince n’a que 13 ans, il est couronné à l’âge de 18 ans, lui laissant le soin de participer à de nombreuses batailles auprès de son père pour se former à l’art de la guerre. Il est donc moins surprenant qu’il s’en sorte de manière si glorieuse sur les champs de bataille français. Dans le film, le récit éclipse totalement les années d’apprentissage d’Hal, mais il n’y a également pas de réconciliation entre le père et le fils, car David Michôd a décidé de se focaliser sur un axe qu’aborde très peu Shakespeare dans Henri IV — Partie 1 et 2 : la prise de pouvoir et la difficulté d’être roi.

La solitude d’être Roi

Shakespeare axe son récit dans Henri IV sur la relation père-fils conflictuelle entre Hal et le roi Henri IV. Dans le film, elle est éclipsée au profit de celle avec Falstaff qui gagne en importance et en noblesse. Par ailleurs, Le Roi développe le lien entre pouvoir et jeunesse, ce qui fait que cette approche, rare dans les films historiques, est extrêmement intéressante. Shakespeare l’avait également mise en avant dans Henri V, mais en accentuant plus sur la difficulté d’être roi que sur l’âge de son protagoniste.

Pouvoir et jeunesse

Si Shakespeare évoque plus la dureté de gouverner et la solitude engendrée que l’âge d’Hal, il s’agit sans doute une question d’époque. En effet, il semble étrange aujourd’hui qu’un jeune adolescent se retrouve avec autant de pouvoir entre les mains. Or, au moment où se déroule la pièce — et probablement au moment de l’écriture —, c’est un fait assez commun. L’une des caractéristiques d’Hal, mise en avant par le film, est son désir de paix. Il ne veut pas marcher sur les traces de son père, il veut unifier un pays qui a pendant trop longtemps été touché par des guerres fratricides. Henri V l’exprime à chaque provocation qu’il reçoit de la part de la France : lorsque le Dauphin lui offre une boîte avec une unique balle lors de son couronnement pour souligner son jeune âge — cette partie est également présente dans la pièce : la France envoie une boîte pleine de balles de jeu de paume pour se moquer de son passé — ou encore quand on lui envoie un assassin. C’est quand son cousin fomente de le supprimer du trône avec les Français qu’il se décide à partir en guerre.
Dans la pièce, rien de tout cela : l’archevêque fait mention de la loi salique qui lui donne le droit de revendiquer le trône de France et le voilà parti pour envahir son voisin. Dans le film, il est franchement ennuyé par cette remarque et exprime son souhait de ne pas marcher sur la France pour saccager et tuer inutilement. Le cinéaste met l’accent sur ce départ en guerre, il reste beaucoup plus longtemps sur les raisons qui poussent un pays entier à déclarer la guerre à un autre. Là où Shakespeare ne prenait que quelques répliques. Le fait qu’Hal soit si jeune, et qu’il ait derrière lui un passé d’ivrogne qui aime faire la fête, lui donne à douter de sa position et permet à son conseiller — qui n’existe pas dans les pièces de Shakespeare — de le pousser à réviser son jugement. Le doute qui accable Henri V, qui ne comprend pas qu’il pourrait passer pour un lâche auprès de son peuple, est très bien amené dans le film et est un argument ajouté par le cinéaste australien. Chez le dramaturge anglais, Hal est sûr de lui et de sa position. Il parle du fardeau de gouverner seul et non de la difficulté de prendre des décisions en accord avec ses convictions.
De plus, dans Henri V, Shakespeare développe dans l’acte IV, scène 1, une confrontation entre le Roi et quelques-uns de ses sujets. La bataille d’Azincourt est sur le point d’avoir lieu, Henri V se déguise en soldat et les interroge pour savoir ce qu’ils pensent. En le confrontant ainsi aux soldats, Shakespeare montre la dureté du pouvoir. Il veut faire passer le message qu’un roi est un homme comme les autres : il l’humanise. Dans le film, c’est auprès du personnage de Falstaff que se confie Hal et qu’il montre l’impossible tâche qu’il a devant lui. À plusieurs moments, David Michôd et Joel Edgerton ajoutent des scènes pour signifier que Hal est seul dans sa nouvelle position et qu’il doit se méfier. Les deux scénaristes, par exemple, lui ajoutent une sœur, reine du Danemark — qui n’était pas présente dans la pièce et qui n’existait, semble-t-il, pas dans la réalité. Sa sœur revient en Angleterre pour le couronnement d’Henri V et lui dit le lendemain que les hommes qui l’entouraient la veille avaient chacuns des désirs différents et pouvaient être dangereux. Cette scène rajoutée est utile pour deux raisons : la première est que la cour est un lieu de manigance et que le roi en est le centre. Le réalisateur prévient les spectateur.trice.s d’être vigilant.e.s de ce qui se trame autour d’Henri V. La deuxième raison est qu’elle montre à quel point Hal est isolé dans ce nouveau monde et qu’il n’a plus aucun ami. Cela renvoie inévitablement à Falstaff qui semblait prendre soin de lui au début du film.

The King

Père et Fils

Le thème central de la pièce Henri IV – Partie 1 et 2 est la relation père-fils entre Hal et le roi Henri IV. Alors qu’au début, le fils est une honte pour son père : il boit, joue, vole, couche avec des prostituées, il devient, à partir de l’acte IV, un modèle de réussite. Il part en guerre contre les ennemis de son père et vainc brillamment à ses côtés : il sauve le roi et tue Hotspur, chef de la rébellion, en combat singulier. Au moment de la mort d’Henri IV, il vient le pleurer et rester près de lui. À sa mort, Henri IV charge Hal de ramener la paix dans son pays et d’aller réaliser les rêves qu’il n’a pas pu accomplir : la France, puis Jérusalem, la Terre sainte. Dans le film, le cinéaste simplifie au maximum leur relation : Hal est indigne de l’amour de son père et le roi est un tyran que son fils méprise. De plus, Hal est renié et c’est seulement quand son unique frère — alors qu’il en a quatre dans les pièces — meurt sur le champ de bataille qu’il doit revenir au chevet de son père. À ce moment là, Hal blâme Henri IV du décès de son jeune frère. À la mort du roi, il annonce que son règne sera extrêmement différent de celui de son père. Il veut se démarquer et ne pas reproduire les erreurs du roi Henri IV qui a divisé, par de nombreuses guerres, l’Angleterre. Et pourtant, il en faut peu pour qu’Hal coupe sa première tête pour asseoir son pouvoir. La finesse d’écriture du film ressort dans ces moments-là, lorsque Henri V n’arrive pas à concilier conviction et action pour assurer sa couronne et son autorité. Il montre toute la complexité du pouvoir et d’autant plus dans les mains d’un jeune homme ayant à peine vécu. Ainsi la relation entre le fils et le père est éclipsée pour mettre en avant cet autre thème : le pouvoir et la jeunesse, mais également Falstaff.
Falstaff est un personnage particulier dans la pièce de Shakespeare et celui qui a été le plus modifié pour les besoins du film. Tout d’abord, il gagne en importance : dans la pièce, il a le rôle du joyeux luron, lâche qui se vante de ses exploits passés et est toujours avec Hal pour ses beuveries. Dans Henri IV — Partie 1, il est présent sous le nom d’Oldcastle, mais le nom étant d’une famille existante au moment de l’écriture de la pièce, Shakespeare crée Falstaff — rien ne lie Oldcastle et Falstaff entre les deux parties, si ce n’est par leur caractère similaire et leur physique imposant. Dans la deuxième partie, il a très peu de scènes avec Hal, mais il est souvent fait mention de lui de la bouche des juges comme étant son ami. Le personnage disparaît totalement dans Henri V et n’est mentionné que très peu de fois. Dans Le Roi, Falstaff — joué par un Joel Edgerton, excellent — est toujours un joyeux luron ivrogne qui accompagne Hal dans ses soirées, mais il devient plus calme et raisonnable quand celui-ci est couronné. Il est vraiment le père que n’a jamais eu Hal. Il le conseille et lui tient tête, bien que pendant une longue partie de l’invasion français, il est silencieux et en retrait. Il ne perd jamais de vue qui est réellement le jeune roi et ses aspirations. Il est en dehors du pouvoir et semble totalement désintéressé par les machinations. Il est entier. Cela fait de lui un personnage témoin, un garde-fou pour le tout jeune roi qui le respecte entièrement. Il est mis en opposition avec les autres conseillers du roi qui essaient soit de le manipuler, soit de le contraindre à agir.  

David Michôd dissèque le pouvoir du point de vue de la jeunesse et fournit une analyse fine des jeux et des trahisons qui pouvaient se passer à la cour anglaise. Le Roi est un donc un film profondément politique qui a su tirer des pièces de Shakespeare l’essentiel pour donner un récit condensé et riche. Pourtant, le nouveau long métrage Netflix manque de subtilité sur un point, là où Shakespeare en faisait déjà beaucoup : les Français.

The King

Quelles canailles ces Français

Ennemis de toujours des Anglais, les Français étaient, à l’époque élisabéthaine, une source constante de railleries et Shakespeare a su en jouer dans la pièce Henri V. Les personnages dépeints sont le Dauphin, le Roi Charles et la princesse Catherine, mais également des personnages secondaires qui n’apparaissent pas dans le film : le connétable de France — haut dignitaire français qui s’occupe de la cavalerie de guerre — les ducs d’Orléans, de Bourbon, du Berry… Si pour Shakespeare certains passages sont l’occasion de faire des jeux de mots avec les deux langues — les insultes n’étaient pas autorisées sur scène, ainsi, dans une scène, Catherine essaye d’apprendre un peu l’anglais et se trompe dans les prononciations — mais également pour se moquer de leur pédanterie et pleutrerie. Les Français sont très arrogants avant la bataille d’Azincourt qu’ils perdent alors qu’ils sont en surnombre. Cela redore le blason des Anglais. De plus, cette glorieuse bataille a lieu pendant la Guerre de Cent ans qui oppose les Français et les Anglais. Elle est un moment important de l’histoire anglaise qui a permis de conquérir la partie Nord de la France — cela n’est pas mentionné dans le texte. Mais le film va beaucoup plus loin. Parmi les trois personnages présents, le Dauphin est totalement absurde, le Roi paraît pathétique et seule Catherine sort de la romance un peu terne dans laquelle Shakespeare la mettait en scène pour acquérir un propos et un poids intéressant dans Le Roi.
Un des changements majeurs est le Dauphin. Après Falstaff, voici un autre personnage que le cinéaste a pris la liberté de modifier. Tout d’abord, le Dauphin est un bouffon cruel et stupide — certes, il n’a jamais été décrit comme intelligent, mais n’a pas non plus été tourné au ridicule. L’accent que l’acteur Robert Pattinson prend est tellement grossier et donne au personnage une suffisance insupportable. Ensuite, le Dauphin fait preuve d’une monstruosité qui n’est là que pour contrebalancer la vaillance d’Hal et sa générosité. Cela est très manichéen et dénote avec la subtilité du reste du récit. De plus, la rencontre entre les deux personnages est totalement inventée pour renforcer ce contraste. Enfin, la scène de mort du Dauphin dans la boue de la bataille d’Azincourt n’est là que pour faire rire et finir d’achever — dans tous les sens du terme — le personnage. Est-ce vraiment utile ? En contraste, son père semble être un dandy paresseux. La seule fois où il apparaît, il est allongé, pieds nus dans un cloître. Là, encore cela manque de subtilité et serait plus à ranger du côté de la farce. Shakespeare y allait sans problème dans ses pièces où il alternait entre scènes d’humour et scènes sérieuses, mais David Michôd ne les injecte que dans ces deux personnages. C’est finalement Catherine qui s’en sort le mieux. Non plus simple amoureuse, le réalisateur lui donne une partie plus conséquente qui vient conclure le film — et relever le niveau des autres Français présents.
En effet, elle questionne le prince Henri V sur les raisons qui l’ont poussé à partir faire la guerre en France. Alors qu’Hal essaye d’argumenter, elle déconstruit avec simplicité ses propos et expose comment il s’est laissé guider par des prétextes et de faux conseils. Il prend alors conscience de ses erreurs. Cet échange puissant et fort vient contrebalancer deux heures, uniquement occupées par des personnages masculins, par les premières paroles sages et sensées. 

Le Roi, comme beaucoup d’adaptations des textes shakespeariens si difficiles à adapter, tant par la profusion du texte que par les thèmes abordés, s’en sort brillamment en isolant un sujet qui résonne encore aujourd’hui par la force de son propos et la justesse de son combat : la paix et la sagesse avant tout, car nous ne sommes pas responsables des erreurs de nos ancêtres. L’avenir est dans la jeunesse.

Marine Moutot

Source :
1 – Premier Folio, 1623
2 – Traduction de Michel Grivelet, 1997


Henri IV – Partie 1 et 2, Henri V
Pièces de William Shakespeare, 1598, 1600

Le Roi
Réalisé par David Michôd
Avec Timothée Chalamet, Joel Edgerton, Robert Pattinson, Ben Mendelsohn, Sean Harris, Lilly-Rose Depp
Historique, Drame, Biopic, Angleterre, Hongrie, 2h20
1er novembre 2019 sur Netflix


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Publié par Phantasmagory

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