Cette semaine dans les Conseils : It must be heaven, Seules les bêtes,
Le meilleur reste à venir, Le Voyage du Prince et La Famille Addams.
It must be heaven : Nous suivons Elia Suleiman dans sa flânerie loin de Nazareth, entre Paris et New-York.
Mention spéciale du jury au dernier Festival de Cannes, le trop rare Elia Suleiman — il a réalisé quatre longs métrages de 1996 à 2019 (Chronique d’une disparition, Intervention divine, Le temps qu’il reste) — revient avec un film burlesque. Il joue le témoin silencieux de situations absurdes et inattendues en faisant le portrait de trois villes : Nazareth, Paris et New York. La Palestine est son chez-soi, il le répète dans sa mise en scène et dans ses uniques paroles (« Nazareth », « je suis palestinien »), mais il la quitte, partant à la recherche… De quoi ? Nous ne le savons pas. Nous prenons le temps de comprendre avec lui le but de cette promenade tranquille. Policiers français mesurant les dimensions d’une terrasse, Américains armés jusqu’aux dents, bande de mères couplant gym et poussette, les décalages comiques se multiplient dans le calme de la balade du cinéaste. Et c’est extrêmement drôle. La mise en scène symétrique, donnant une véritable centralité au personnage d’Elia Suleiman, crée aussi ce burlesque qui ressemble parfois tant à une chorégraphie. Sans jamais trop savoir si l’on est encore dans le rêve (ou le fantasme) de l’homme, nous contemplons à ses côtés. À travers ces trois villes, si différentes, le cinéaste dresse le portrait d’une société au bord de la crise de nerfs. Avec sa silhouette qui reste plantée dans le décor, en observateur mutique, il prend des instantanés, tels des cartes postales, pour capturer le ridicule de nos vies. It must be heaven est une belle découverte qu’il faut courir voir au cinéma.
PS : une guest-star très appréciée fait une brève, mais charmante apparition.
M.M et M.K.
Seules les bêtes : La voiture d’Evelyne Ducat est retrouvée sur le plateau de la Causse où la neige balaye et efface toutes les traces. Le film relate trois parcours qui sont liés malgré eux par le décès d’Evelyne.
Le réalisateur d’Un ami qui vous veut du bien revient en adaptant le livre de Colin Niel. Ce nouveau thriller a comme point de départ la disparition d’une femme que personne ne connaissait. Le début peut sembler classique. Un thriller dans la neige : vu et revu. Pourtant ici les thèmes abordés : l’argent, l’amour en ligne, les paysans isolés et les infidélités ; mais également les lieux où l’histoire a lieu à de quoi surprendre : la Causse et Abidjan, qui communiquent de manières intéressantes — nous ne voulons pas trop vous en dévoiler. Découpé en trois chapitres, Seules les bêtes suit des personnages tous différents et joués par des acteurs et actrices excellentes. Le film est composé d’un beau casting : Damien Bonnard — qui s’illustrait déjà quelques semaines plus tôt dans Les Misérables — interprète, Joseph, un paysan refermé sur lui qui entretient une relation avec Alice, jouée par Laure Calamy qui est magnifique et toute en retenue. Denis Ménochet est également parfait dans son rôle d’homme fou amoureux prêt à tout. Si les deux premières parties autour d’Alice, puis de Joseph sont les mieux amenées et les plus percutantes, toute la dernière partie à Abidjan est aussi intéressante. Le contraste entre le froid de la neige, cette blancheur virginale et les couleurs chaudes de la foule et de la chaleur rend la tension plus palpable. Dominik Moll réussit un film tendu et intelligent.
Bien mené et avec une mise en scène propre, Seules les bêtes parle de manière pertinente des mondes d’illusions que nous nous créons au quotidien pour avoir un semblant de vie meilleure.M.M
Le meilleur reste à venir : Amis de toujours Arthur et César sont à l’opposé l’un de l’autre. Un jour, Arthur apprend par erreur une terrible nouvelle concernant son ami mais n’ose lui avouer.
Mercredi midi, entre les murs fraîchement rénovés du MK2 Nation une douzaine de courageux ont bravé le froid pour assister à la séance du nouveau film des réalisateurs du Prénom. Un simple coup d’œil permet de constater qu’une bonne quarantaine d’années nous sépare des autres spectateurs ; un fait qui n’a rien d’étonnant au regard de l’affiche qui réunit ici Luchini et Bruel, soit un duo rêvé pour animer le registre de la comédie populaire pour baby boomer.
Exemple type du marivaudage moderne où le quid pro quo est le roi de la mise en situation, Le meilleur reste à venir s’appuie sur un registre confortable en jonglant tour à tour entre humour peu subversif et drame pas trop pathos. Bruel et Luchini (comme d’hab’ dans un rôle d’intello rigide mais néanmoins estampillé « Luchini Light », ce qui fait du bien une fois de temps en temps) forment un tandem sympathique qui permet de suivre avec une implication mesurée ce récit élaboré sans trop d’imagination. Non exempt de clichés mais néanmoins agréablement dépourvu de tout discours nauséabond, Le meilleur reste à venir a beau brasser tout un catalogue de situations vues et revues il n’en reste cependant pas moins une jolie célébration de l’amitié masculine. Si jamais vous avez envie de douceur et que vous ne vous sentez pas d’une humeur trop exigeante, ce film devrait donc pouvoir combler sans soucis un de vos après-midi d’hiver. M.P
Le Voyage du Prince : Un vieux prince échoue sur une plage bien loin de sa terre natale. Un jeune garçon, Tom, le recueille et le soigne. Le vieil homme découvre, à ses côtés, une civilisation bien différente de la sienne. Les habitants vivent au cœur d’une ville moderne et technologique où chacun voue sa journée au travail. Bien étrange quotidien…
Vingt ans après Le Château des Singes, Jean-François Laguionie revient avec une suite à son magnifique film (avec à ses côtés, sa femme, Annick Le Ray, et son co-réalisateur, Xavier Picard). Quelle joie de le(s) retrouver ! Évidemment, pendant ces deux décennies, il n’avait pas chômé : L’île de Black Mor, Le Tableau, Louise en hiver. Vous avez sûrement dû en entendre parler. Dans Le Voyage du Prince, on rencontre à nouveau le vieil homme si curieux qui retrouvait le goût de la vie et de l’émerveillement aux côtés de Kom dans Le Château des Singes. La réflexion philosophique sur la Nature et la Culture est toujours centrale. Après avoir donné des allures de Renaissance à son premier tableau, Laguionie crée ici une société tout droit sortie de la Belle Époque voire du mouvement Art déco. Pourtant cette société qu’il décrit parle de nous, de notre société, de notre quotidien au travail, de l’esclavage moderne, de la surconsommation, de l’aliénation, et de tant d’autres questionnements contemporains. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire serait de les survoler quelque peu, mais n’oublie pas qu’en 1 h 20, il est difficile de conclure une telle réflexion. Et quelles solutions propose-t-on à cette perte de repères actuelle ? Là encore, le réalisateur se positionne et cela ne manquera pas de faire réfléchir les plus jeunes tout comme les plus âgés. Bien que l’animation traditionnelle nous manque, il faut avouer que la beauté de la Nature donne vraiment envie de se plonger dans cette forêt infinie et source d’avenir. Prenez le temps de découvrir ce beau film et, si ce n’est déjà fait, de voir Le Château des Singes (ressorti la semaine dernière !). M.K.
La Famille Addams : Fatiguée de ne pas réussir à s’intégrer dans la société à cause de leur mode de vie bien particulier, la famille Addams finit par se réfugier en haut d’une colline, dissimulée à la vue de tous par un épais brouillard. Mais le jour où ce brouillard se lève, ils ne vont pas tarder à faire la connaissance de leurs voisins, pour le meilleur ou pour le pire.
Dans cette adaptation en version animée, Conrad Vernon et Greg Tieman retranscrivent avec succès l’univers aussi sombre que comique de la célèbre famille Addams. Remontant à la genèse de leur installation dans le manoir à l’abandon qui les caractérise si bien, les réalisateurs soulèvent leur histoire sous un nouvel angle. La famille Addams n’évite pas délibérément de se mêler au reste du monde, ils y sont contraints car ils sont rejetés par la société à cause de leur différence. Le point de vue est intéressant mais la morale qui en découle, bien que louable, aurait pu être amenée avec plus de subtilité. Toutefois on apprécie la réflexion autour de la conformité et de la difficulté de rester soi-même dans une société où l’image standardisée prédomine. On salue également le choix des réalisateurs dans la construction de leurs personnages : loufoques et attendrissants à la fois, avec un soupçon d’humour noir mais surtout un formidable affront à la banalité des usages et coutumes du quotidien qu’on ne questionne plus. On sort de la séance avec la satisfaction de retrouver de vieux amis d’enfance, qui n’ont pas changé malgré les années, et on s’en réjouit ! A.E
Manon Koken, Marine Moutot, Marine Pallec et Amandine Eliès
It must be heaven
Réalisé par Elia Suleiman
Avec Elia Suleiman, Gael García Bernal, Tarik Kopty
Comédie, Drame, France, Allemagne, Qatar, Canada, Turquie, Palestine, 1h42
4 décembre 2019
Le Pacte
Seules les bêtes
Réalisé par Dominik Moll
Avec Denis Ménochet, Laure Calamy, Damien Bonnard
Thriller, Policier, Drame, France, Allemagne, 1h57
4 décembre 2019
Haut et Court
Le meilleur reste à venir
Réalisé par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte
Avec Patrick Bruel, Fabrice Luchini, Pascale Arbillot
Comédie dramatique, France, 1h57
4 décembre 2019
Pathé
Le Voyage du Prince
Réalisé par Jean-François Laguionie et Xavier Picard
Film d’animation, France, Luxembourg, 1h16, à partir de 7 ans
4 décembre 2019
Gebeka Films
La Famille Addams
Réalisé par Conrad Vernon et Greg Tieman
Film d’animation, Etats-Unis, 1h27, à partir de 7 ans
4 décembre 2019
Universal Pictures International France