Alors que certaines années (2014 et 2016 particulièrement) auront été exceptionnelles tant en terme de belles découvertes que de films de réalisateur.trice.s reconnu.e.s, la décennie qui vient de se terminer aura été mi-figue mi-raisin. Elle aura aussi été une période de remise en question du cinéma et de la salle. La SVOD est arrivée en masse sur la fin et il faudra dorénavant la prendre (ou non) en compte.
Les années 2010 auront aussi été les années de révélation et de consécration de nouveaux cinéastes. Denis Villeneuve (qui fait partie de chacun de nos tops) a été révélé en 2010 avec le sublime Incendies. La décennie aura également été celle de Xavier Dolan, consacré à Cannes en 2014 pour son film Mommy, qui y aura réalisé ses meilleurs films (Les Amours Imaginaires, Laurence Anyways) et ses pires (Ma Vie avec John F. Donovan, 2019). Parmi les réalisateurs qui auront compté, nous pouvons également citer : David Fincher, Nicolas Winding Refn, Bong Joon-ho, Jeff Nichols, Jim Jarmusch, Yórgos Lánthimos, Christopher Nolan, Hirokazu Kore-Eda, Terrence Malick… Des réalisatrices sont également arrivées sur le devant de la scène : Maren Ade et son Toni Erdman qui a secoué Cannes 2014, mais également Justine Triet (La bataille de Solférino, 2013), Céline Sciamma (Tomboy, 2011, Portrait de la jeune fille en feu, 2019), Deniz Gamze Ergüven (Mustang, 2015) et Maïwenn (Polisse, 2011)…
Retour sur une décennie qui fut riche en cinéma avec les tops de nos rédactrices.
Par Marine Moutot, Manon Koken, J. Benoist, Clémence Letort-Lipszyc et Marine Pallec.
Marine Moutot
- Leto – Kirill Serebrennikov (2018)
Un style visuel très rock avec une inventivité à chaque scène : écrire directement sur la pellicule, un noir et blanc léché, de la musique qui flotte dans l’air (il faut le voir pour comprendre). Kirill Serebrennikov (Le Disciple, 2016) réalise un film abouti qui ne ressemble à aucun biopic — car oui, il est basé sur une histoire vraie. En parlant de ces artistes qui tentent de créer un rock russe dans les années 1980, le cinéaste aborde des sujets contemporains à son pays : la guerre, l’asservissement de la jeunesse à un idéal qui ne leur correspond plus. Entre musiques russes et grands classiques du rock et de la pop chantés par des parfaits inconnus, Leto m’aura marqué profondément.
- Premier Contact – Denis Villeneuve (2016)
Adapté de la nouvelle de Ted Chiang, qu’il suit fidèlement, ce film est une véritable réflexion sur l’autre. Plutôt que de jouer avec de gros effets spéciaux et une machinerie lourde, comme aurait pu le faire n’importe quel autre film hollywoodien, Denis Villeneuve prend le temps de développer ses personnages et leur relation. Avec une image magnifique et d’excellents acteurs et actrices (Amy Adams, Jeremy Renner), ce long-métrage est brillant tant en termes de réalisation que de scénario. Un film intelligent et sensible. Denis Villeneuve n’aura pas marqué les années 2010 pour rien !
- American Honey – Andrea Arnold (2016)
Pour son premier film américain, la cinéaste anglaise (Fish Tank, 2009) suit le parcours de Star. Jeune femme de 17 ans qui fuit un père violent, elle rejoint un groupe qui vit de vente en porte à porte et traverse les États-Unis dans un van. Road trip sur un pays en décomposition, la performance de Sasha Lane (son premier rôle), ainsi qu’une image magnifique font de ce prix du Jury au Festival de Cannes en 2016 un chef d’œuvre.
- Call me by your name – Luca Guadagnino (2018)
Je ne suis pas toujours convaincue par les films de Luca Guadagnino mais il réussit avec Call me by your name à rendre universelle une magnifique histoire d’amour. Il permet aussi au grand public de découvrir Timothée Chalamet dans le rôle du jeune Elio. L’ambiance est à la nostalgie d’une époque qui n’a sans doute jamais existé, cet été étant en suspens dans le temps. Si l’Eden devait ressembler à un lieu sur terre, ce serait cette maison sous le soleil italien. Un film profond sur la naissance des premiers sentiments.
- The Ghost Writer – Roman Polanski (2010)
Le cinéaste franco-polonais a fini son film par le plus beau plan de la décennie. Adaptée du roman de Robert Harris, l’intrigue suit un nègre littéraire (joué par Ewan McGregor, un des meilleurs acteurs de sa génération) qui doit écrire les mémoires d’un ancien premier ministre anglais. Une mise en scène méticuleuse, une musique parfaite, des paysages froids mais magnifiques, tout dans ce long-métrage est parfait et maîtrisé. C’est l’œuvre qui m’a fait entrer dans la nouvelle décennie avec confiance dans l’avenir du cinéma. Le réalisateur aura également su nous surprendre avec son film suivant : La Vénus à la fourrure (2014), huis clos dans un théâtre avec Mathieu Amalric (également un des plus grands acteurs) et Emmanuelle Seigner.
- Les Combattants – Thomas Cailley (2014)
Sensation à la Quinzaine des Réalisateurs en 2014 où il a remporté 3 prix, Les Combattants est un premier film audacieux et maîtrisé. Kevin Azaïs et Adèle Haenel se partagent l’affiche de cette comédie dramatique aux allures de fin du monde. Le cinéaste aborde des thèmes qui me sont chers : le surpassement de soi, l’écologie avec un brin d’amour et de fanatisme. J’attends avec impatience son prochain film, car son passage par la télévision (une série pour Arte, Ad Vitam) n’était pas forcément à la hauteur de son long-métrage.
- Mad Max : Fury Road – George Miller (2016)
Le film se résume en deux mots : une course-poursuite. 30 ans après Mad Max 3, le réalisateur australien George Miller retrouve l’univers dystopique pour ce long-métrage aux airs de western impétueux. L’Imperator Furiosa (interprétée par l’excellente Charlize Theron) a enlevé les femmes de l’Immortan Joe (qui lui servent d’esclaves et ventres à enfant) pour les amener dans une terre où elles seront libres. Si le scénario semble plus fin qu’une feuille de papier, il est pourtant très riche avec des thématiques qui sont toujours actuelles : fin du monde, guerre, l’éternelle possession du corps de la femme par les hommes… Un second film est prévu très prochainement. J’ai hâte !
- Toni Erdmann – Maren Ade (2016)
Toni Erdmann est une pépite cinématographique d’humour et de tendresse. Inès est une jeune femme froide qui s’est éloignée de sa famille et surtout de son père. Elle travaille dans une grosse entreprise à l’étranger et doit conclure une affaire très importante quand son père arrive sans la prévenir. Il invente alors le personnage de Toni Erdmann pour l’accompagner et découvrir son univers. Le film parle à la fois de la dureté du monde du travail en tant que femme, de l’image qu’elle renvoie en permanence et de la sécheresse que cela crée dans ses relations. Un portrait tantôt amer, tantôt tragi-comique.
- Take Shelter – Jeff Nichols (2011)
Jeff Nichols (dont Mud, 2014 est également magnifique) filme méticuleusement cet homme (joué par Michael Shannon, comme toujours excellent) qui perd progressivement la tête. Autour de lui son entourage n’arrive pas à croire à ce qu’il pense être vrai (comment croire en la fin du monde ?) Les hallucinations toujours de plus en plus fortes ont quelques choses de sublimes dans cette mise en scène aux couleurs grises et bleues. Un long-métrage écologique qui ne conviendra pas aux climatosceptiques.
- Victoria – Justine Triet (2016)
Ce portrait de femme est fait avec beaucoup d’humour. Interprétée par Virginie Efira, parfaite, Victoria est une avocate au bout du rouleau. Obsédée, dépressive, donneuse de leçon, ce personnage a toutes les qualités pour une comédie. La cinéaste française montre enfin une femme qui désire – ou plutôt ne désire plus -, qui ne sait pas où elle va et qui échoue à beaucoup de choses. Une femme entière quoique avec ses défauts et ses qualités. À cela rajoutez Vincent Lacoste en jeune homme amoureux et l’alchimie est parfaite.
Manon Koken
- Parasite (기생충) – Bong Joon-ho (2019)
Film coup de coeur de l’année (qui nous contredira ?), Parasite a permis une découverte du réalisateur coréen Bong Joon-ho à ceux qui ne le connaissaient pas encore. Et c’est tant mieux ! Intense, surprenant, exaltant, un peu gore et extrêmement bien écrit et filmé, on n’a pas grand chose à redire à part 1°) foncez voir ses autres films, 2°) attendez impatiemment les suivants (comme nous).
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3 Billboards, les panneaux de la vengeance – Martin McDonagh (2018)
Tout part d’un fait divers : une jeune femme violée et tuée dans la petite ville d’Ebbing dans le Missouri. Frances McDormand est la mère avide de vengeance, Woody Harrelson, le chef de la police malade. Et en plus, on retrouve avec joie Martin McDonagh à la réalisation. Humour noir et héroïne coenienne sont au rendez-vous. On est en haleine, on attend, on se questionne : tout ceci est-il moral ? Autour de ce personnage féminin (fort) bien écrit se cristallise toute l’intrigue policière au scénario haletant. A voir aussi : Bons baisers de Bruges et Sept psychopathes (et puis un petit passage par Fargo pour bien commencer l’année). -
Toni Erdmann – Maren Ade (2016)
Toni Erdmann est un film inattendu. Le spectateur y va pensant voir une comédie dramatique sur une femme totalement accro à son travail qu’elle ne supporte plus, tout comme un père fantasque et absent. Pourtant, c’est tellement plus que cela. Drôle, touchant, révoltant, il se dégage tant d’émotion de cette oeuvre qu’on n’y est pas forcément prêt. Alors, comme cet homme gênant et incontrôlable qui débarque n’importe quand dans la vie de sa fille, il faut accueillir ce film, s’immerger dedans et en ressortir chamboulé par tant de vie, de réalisme, d’absurdité et de justesse. Tout ça à la fois. - Prisoners – Denis Villeneuve (2013)
Denis Villeneuve est aujourd’hui un réalisateur dont le talent est plus que reconnu (voir les attentes 2020 de la rédaction), il semble donc tout à fait logique de penser à lui en réfléchissant aux oeuvres cinématographiques des dix dernières années. Incendies (2010), Prisoners (2013), Enemy (2013), Sicario (2015), Premier Contact (2016), Blade Runner 2049 (2017) et maintenant une adaptation de Dune en réalisation pour 2020. En plus d’être particulièrement productif, Denis Villeneuve excelle dans tous les genres. Faire un bon thriller ce n’est pas évident mais dans Prisoners c’est très réussi. Le film est à la fois classique (disparition d’enfants, père vengeur) et intense grâce à l’atmosphère créée par Villeneuve et ses techniciens. Il faut du temps pour s’en remettre.
- Aquarius – Kleber Mendonça Filho (2016)
Aquarius est une ode à la liberté, à la révolte et à la femme. C’est pour cela qu’il brosse le très beau portrait de Clara, la soixantaine, femme forte, puissante et séduisante. Le film alterne entre deux temps. D’un côté, son quotidien où elle résiste, avec la rage intense du désespoir, à une compagnie immobilière voulant racheter son appartement comme elle l’a fait avec les autres biens des locataires du vieil immeuble. Mais cet immeuble, elle y tient, elle y a vécu tant de choses. Le laisser, ce serait s’avouer vaincue. De l’autre, sa jeunesse et tous les moments qui l’ont construite. Loin d’être larmoyant ou ennuyeux, le film donne la voix à celle que l’on n’attendait pas et, quand les lumières se rallument, on se sent éveillée par une énergie nouvelle qui pourrait abattre tous les obstacles. - Le Chant de la mer – Tomm Moore (2014)
Il y a tant de poésie, de magie et de contrées champêtres dans les films de Tomm Moore (Brendan et le secret de Kells, 2009) qu’il est impossible de ne pas être séduits, petits comme grands. Avec son talent incontestable, il crée une osmose magnifique entre un contenu historique (ou mythologique) fort et l’onirisme qui se dégage de la vie. Ici, c’est la légende de la selkie, mi-femme, mi-phoque, qui berce notre voyage aux côtés de Ben et Maïna. C’est une histoire de famille ancrée dans la dualité du quotidien, entre réalité et magie. Et après tout, pourquoi ces deux univers n’en formeraient-ils pas qu’un ? Le Chant de la mer est un petit bout d’Irlande qui donne envie d’en découvrir tellement plus (à voir en version originale gaélique, si possible). - Only lovers left alive – Jim Jarmusch (2013)
Jim Jarmusch a bien déçu en cette année 2019 avec The Dead don’t die. Il n’empêche que le réalisateur a tout à fait sa place dans les films marquants des années 2010. Avec Only lovers left alive il réussit à donner un attrait artistique à la figure des vampires (même pour ceux qui ne les aiment vraiment pas). Êtres en transhumance, supérieurs mais un peu paumés, musiciens et dépressifs, ils sont des drogués magnifiques que l’on n’envie pourtant pour rien au monde. L’atmosphère jazzy et lente au possible est superbe, tout comme les décors, et avec Tilda Swinton et Tom Hiddleston, on y croit vraiment.
- Ma Vie de Courgette – Claude Barras (2016)
Comment aborder des sujets particulièrement ardus auprès des plus jeunes (et pas que, d’ailleurs) ? Demandez donc à Claude Barras et sa scénariste, Céline Sciamma, leur recette. Ils ont parfaitement réussi à le faire grâce à des figurines en pâte à modeler animées en stop motion. Et ça, ce n’est pas rien ! Dans un orphelinat où chaque enfant traîne de sacrées casseroles derrière lui, la vie n’est pas toujours facile mais on se serre souvent les coudes. C’est une belle leçon d’amitié et de solidarité !
- Gone Girl – David Fincher (2014)
Seven, Zodiac, Fight Club, Millénium… David Fincher est le spécialiste des thrillers réussis aux psychopathes et intrigues particulièrement tordus. Et à chaque fois, on en redemande. Gone Girl ne déroge pas à la règle. Troublant, intrigant, inextricable, le spectateur est baladé, comme le personnage principal joué par Ben Affleck, d’un rebondissement à l’autre, ne sachant plus que croire. L’atmosphère est lourde et, même si parfois Fincher en fait peut-être un peu trop, on plonge tête baissée dans cette manipulation.
- Manchester by the Sea – Kenneth Lonergan (2016)
Encore une histoire de famille bien compliquée. Après le décès de son frère, Lee (Casey Affleck) devient le tuteur de son neveu Patrick. Cette soudaine prise de responsabilité contrainte le pousse à se remémorer son passé douloureux. Là où on aurait pu avoir un film dramatique tire-larme, il y a beaucoup de justesse et d’émotions. Les acteurs incarnent à merveille leurs personnages, tant et si bien qu’on oublie qui ils sont. L’écriture des relations et du passé de Lee est particulièrement fine et fait sens. Encore une fois, le spectateur ressort chamboulé par cette histoire à la fois atypique et si réaliste.
Johanna Benoist
- Poesía sin fin – Alejandro Jodorowski (2016)
Après vingt ans d’absence, Alejandro Jodorowski nous a offert le diptyque La danza de la realidad (2013) et Poesía sin fin (2016), ses deux oeuvres les plus accessibles. Autofiction et récit d’apprentissage d’un jeune poète, Poesía sin fin empreinte au théâtre (accessoires et décors stylisés, changements de décors à vue du public) et au symbolisme pour créer des images percutantes. Adan Jodorowski, l’acteur principal, magnifie le héros, aspirant-poète, tour à tour artiste épris de sa muse, adepte de la poésie-performance et clown mélancolique. Une oeuvre poignante mais aussi un feel-good movie, ode à la liberté, l’amitié et la création.
- Blade Runner 2049 – Denis Villeneuve (2016)
À l’image de Blade Runner (Ridley Scott, 1982), dont il est la suite, Blade Runner 2049 est une sorte d’anti-blockbuster : lent et contemplatif, il déjoue les attentes du spectateur en mal d’action et lui offre plutôt le souvenir d’un spleen de fin du monde, d’un flottement doux-amer né de l’alliance hypnotique des mouvements de caméra, du son synthwave de Benjamin Wallfisch, des paysages brumeux nimbés de gris, bleu, orange et du flegmatique Ryan Gosling dans la peau de l’agent K. Le film réussit le tour de force de trouver l’équilibre entre suite-hommage et oeuvre singulière et surpasse même le premier opus en parvenant à mener de bout en bout une intrigue claire sans se perdre dans ses prétentions métaphysiques. Les maladresses scénaristiques sont occultées par la réalisation de Denis Villeneuve, qui porte le film et met ses thématiques en exergues. Résultat : un trip qui invite de multiples lectures, à regarder en boucle.
- Interstellar – Christopher Nolan (2014)
Science-fiction et philosophie font décidément bon ménage. Cependant, aborder les grandes questions existentielles à travers le voyage dans l’espace reste un exercice périlleux. Preuve en est Gravity de Alfonso Cuarón (2013) et Ad Astra de James Gray (2019), qui, malgré une réalisation maîtrisée, n’ont finalement pas grand’ chose à dire. Interstellar, au contraire, en plus de proposer des séquences clairement destinées à être sublimées sur grand écran, est assez dense (liant questionnements sur le deuil, la science, la responsabilité, l’amour, …) pour survivre à plusieurs visionnages. En outre, le prétexte narratif (la recherche de planètes à coloniser) est assez classique pour fédérer différents publics. Le meilleur film de Christopher Nolan à ce jour. - Only God Forgives – Nicolas Winding Refn (2013)
La proposition la plus marquante de Nicolas Winding Refn. Bien que moins grand public que Drive (2011), Only God Forgives ne tombe pas dans l’excès de symbolisme de The Neon Demon (2016). L’intrigue, mince, n’est qu’un support pour les images, qui explorent la psychologie des personnages. Only God Forgives ne crée pas l’angoisse, le malaise, il transpire l’angoisse et le mal-être de son personnage principal. Un travelling sur un long couloir vide nimbé de couleur rouge, un trou béant au bout (une simple porte), suffit. C’est fascinant. - Laurence Anyways – Xavier Dolan (2012)
Laurence Anyways n’a pas le charme et la fraîcheur des Amours Imaginaires (2011), le cinéma de Dolan ayant malheureusement perdu de sa fougue au fil des réalisations. Pourtant, c’est indéniablement le film le plus parfait du jeune cinéaste québécois, maîtrisé de bout en bout, un point d’équilibre entre ses premières expérimentations formelles, parfois brouillonnes malgré leur attrait (J’ai tué ma mère, Les Amours Imaginaires, Tom à la Ferme), et un cinéma narratif moins inventifs (à partir de Mommy). - Your Name (君の名は) – Makoto Shinkai (2016)
Le cinéma d’animation japonais a encore de beaux jours devant lui. Après la famille Miyazaki (dont on regrette déjà le fils, dont la dernière réalisation remonte à 2011), les nouveaux grands s’appellent Mamoru Hosoda (Le garçon et la bête) et Makoto Shinkai. Son film Your name, sous ses airs de bluette, en abordant les thèmes de la mémoire et de la catastrophe, résonne profondément avec l’histoire du japon et ne laisse pas indifférent.e. - Dernier train pour Busan (부산행) – Yeon Song-Ho (2016)
Les films de zombie sont nombreux mais, comme souvent avec les films de genre, difficile de trouver des oeuvres qui ne soient des redites ou ses séries Z. Alors quel ravissement en découvrant Dernier train pour Busan en 2016, qu’on allait voir en fan du genre, sans grandes attentes. Ce film coréen se révèle être un des meilleurs films de zombie, si ce n’est le meilleur (les premières oeuvres de Romero ayant malheureusement quelque peu vieilli). Alors, certes, il nous parle encore de masculinité (une histoire de papas qui doivent sauver une famille symboliquement recréée par la situation) mais, à travers ses différents personnages, il porte également un regard critique sur les comportements humains. La suite, intitulée Peninsula, sortirait en 2020. En attendant, vous pouvez également regarder Seoul Station (2016), film d’animation prequel, plus mordant que Dernier train pour Busan mais à l’animation passable. - Prince of Texas (Prince Avalanche) – David Gordon Green (2013)
Ce qu’on aime chez certaines productions indépendantes, c’est qu’elles apportent un vent de fraîcheur au cinéma, souvent trop calibré ou boursouflé. Comédie sans prétention, simple au premier abord, Prince of Texas parvient à mettre en scène – et en dialogues – la puérilité de ses deux personnages sans pour autant virer au vulgaire ou au pathétique. On sourit des caprices de Lance (Emile Hirsch, qu’on voudrait voir plus souvent), des envolées romantiques de Alvin (Paul Rudd) et des disputes qui se transforment en batailles d’indiens, sans doute parce qu’on s’y reconnaît un peu. En plus, l’oeuvre, plus riche qu’elle n’y paraît, survit aux revisionages. On veut un autre film de ce calibre !
- Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la Luz) – Patricio Guzmán (2016)
Formant un triptyque avec Le bouton de nacre (2015) et La cordillère des songes (2019), le documentaire de Patricio Guzmán est comme le sujet qu’il évoque : au fur et à mesure du récit et de ses interrogations, différentes couches se dévoilent pour former un tout absolument bouleversant. Une réflexion sur le temps, le deuil et la mémoire. Vous n’en sortirez pas indemne.s.
- Tel père, tel fils (そして父になる) – Hirokazu Kore-Eda (2013)
Avant de remporter la Palme d’Or pour Une Affaire de famille en 2018, le japonais Kore-Eda avait réalisé d’autres pépites, dont ce très beau portrait de la relation parent-enfant, qui questionne liens et transmission. Deux enfants ont été échangés à la naissance, l’hôpital propose aux familles – l’une aisée, l’autre populaire – de les rééchanger : on connaît les dangers d’une telle prémisse (si vous avez oublié, revisionnez La vie est un long fleuve tranquille). Cependant, c’est un film tout en subtilité et douceur que nous livre là Kore-Eda.
Clémence Letort-Lipszyc
- The Tree of Life – Terrence Malick (2011)
Le film semble être une transition de plusieurs années de réalisation aux schémas narratifs classiques (Le Nouveau Monde, Les Moissons du ciel) vers des œuvres davantage dans la recherche plastique (Knights of Cup). À la croisée de ce parcours, la Palme d’Or de 2011 est une déclaration d’amour au cinéma et à la vie. Avec le style qu’on lui connaît, Malick touche par sa grâce un drame profond dans la vie d’une famille américaine moyenne. Chaque seconde brûle de sens et d’émotion et le film nous hante encore bien des années après l’avoir découvert lors de sa sortie en salle. - Only Lovers Left Alive – Jim Jarmusch (2013)
Sur des airs de mandolines et de jazz, Tilda Swinton et Tom Hiddlestion sont des vampires en errance constante dans un monde où ils ne trouvent plus leur place. Le film se réapproprie avec finesse les enjeux du monde contemporain à travers le regard d’êtres vivants aux plusieurs centaines d’années. Les héros romantiques à l’état pur naviguent dans un univers qui les dépassent mais dans lequel ils tentent de se fondre. Des idées bien trouvées à chaque instant et exécutée avec la classe habituelle du réalisateur. - Premier Contact – Denis Villeneuve (2016)
Grand gagnant de notre rédaction, Denis Villeneuve a su convaincre par l’intelligence de son travail au fil des années et la successions de personnages complexes et audacieux. Premier Contact est une réflexion sur le langage, dans un monde où le manque de communication, ou bien son refus, sont l’un des principaux enjeux. Souligné par la musique ténébreuse de Johann Johannsson, cette science-fiction nous prend par la main pendant deux heures pour un voyage qui ne finira probablement jamais. Car Premier Contact colle à la peau et continue de questionner et d’émerveiller un peu plus à chaque redécouverte. - Mustang – Deniz Gamze Ergüven (2015)
Quand une jeune fille se dresse contre les traditions familiales d’une Turquie conservatrice, c’est la voix de toute une sororité qui s’élève. Puissant et poétiquement engagé, ce combat contre l’archaïsme du patriarcat est une œuvre inspirante et exemplaire sur la revendication des libertés pour et par les femmes. C’est dans sa nature profondément tragique que l’histoire puise sa force et que les héroïnes se battent continuellement pour générer une lueur d’espoir. Paradoxalement pessimiste et revigorant, Mustang est une réflexion sociétale et révolutionnaire. - Macbeth – Justin Kurzel (2015)
Une mise en scène à en couper le souffle. Macbeth est une œuvre aux frontières de l’expérimental. Le rouge tonitruant rappelle constamment le danger et la mort. Tout n’est que poussière, le vent retourne la terre sans fin et le brouillard évoque un avenir funeste pour ces âmes qui errent à travers l’écran. Horrifiquement belle, cette adaptation est hypnotisante. Justin Kurzel a fait appel à son frère Jed pour la bande originale : en jouant avec les cordes sur une partition angoissante, le compositeur alimente l’atmosphère suffocante pour ses protagonistes et enivrante pour ses spectateurs. - Portrait de la jeune fille en feu– Céline Sciamma (2019)
Portrait de la jeune fille en feu brise les chaînes d’un regard sur le désir lesbien trop longtemps formaté. Sciamma réalise ici son film le plus intelligent et le plus juste. Une histoire d’amour aux couleurs chaudes d’une soirée au coin du feu et aux héroïnes hypnotiques. Une plongée dans les vertiges de l’amour portée avec finesse par le duo d’actrices Adèle Haenel et Noémie Merlant.
- Mise à mort du cerf sacré – Yorgos Lanthimos (2017)
Les films de Yorgos Lanthimos auront toujours une place dans les œuvres qui auront su me charmer. Il a le don pour introduire des personnages aux comportements les plus odieux, les plus pervers, les plus déviants. Le sadisme de ce conte sordide n’est jamais abordé en demi-teinte. Lanthimos a le courage d’aller au bout de ses idées et c’est ce qui nous plonge systématiquement dans les expériences jouissives. Mise à mort du cerf sacré est la recette parfaite de la catharsis : les personnages se manipulent et s’exècrent pour notre plus grand bonheur. - Perfect Sense – David McKenzie (2011)
David McKenzie fait éclore une histoire d’amour et la regarde prendre vie dans un monde ravagé par une épidémie invisible en proie à l’extinction. De cette idée infiniment triste, émane une ode à la vie sans pareille. L’urgence de profiter de l’existence résonne dans chaque scène. C’est avec délicatesse que la perte des sens est brossée à travers un couple malade dont l’amour est soumis à l’injustice d’un monde à la dérive. - Shame – Steve McQueen (2011)
Deuxième film du britannique Steve McQueen, Shame dépeint brutalement la honte grandissante chez un « sex addict » et sa quête de nouveaux repères. La personnalité de ce trentenaire isolé est très bien approfondie. Michael Fassbender livre une performance dans la retenue mais d’une sincérité certaine. C’est certainement dans ce travail méticuleux sur la caractérisation de son héros que le film excelle. McQueen dissèque le handicap de l’addiction dans le développement des relations amicales, familiales et amoureuses. Dans ce New York pluvieux, la mélancolie envahit les plans et nous plonge dans une spirale infernale où l’issue demeure incertaine.
- Le souffle – Alexander Kott (2014)
Ce film rayonne par sa mise en scène et son jeu d’acteur dénué de parole mais rempli de subtilité et de pudeur. Sans mots c’est par le corps que les intentions et les émotions se manifestent. C’est un exercice périlleux qui peut se révéler fatal pour le spectateur. Dans le cas du film de Kott, la splendeur des plaines kazakhes, la maladresse des jeunes amoureux, la tendresse que le réalisateur porte sur eux et le contexte historique sont un cocktail bien dosé et nous enchantent du début à la fin.
Marine Pallec
- Premier contact – Denis Villeneuve (2016)
Pendant dix ans, de Sicario à Blade Runner 2049 en passant par Ennemis et Incendies, Denis Villeneuve n’aura pondu que des chefs d’œuvre. A la croisée des chemins, entre ses films intimistes et ses derniers millésimes à la carrure de plus en plus monumentale, on trouvera Premier contact. Dans ce grand film de s.f contemporain, le québécois prend les codes du genre à contre-courant en mettant de côté le spectaculaire au profit de l’intime et de l’humain. Au détour d’un conflit qui repose moins sur la lutte armée que sur la faculté de se faire comprendre d’autrui, le roi de cette décennie cinématographique en profite pour livrer une œuvre magistrale, aussi profonde que bouleversante.
- Les amours imaginaires – Xavier Dolan (2010)
Xavier Dolan est un des cinéastes qui aura marqué pour le meilleur et pour le pire les années 2010. Avant d’être contaminé par une folie des grandeurs qui le conduisit vers des films de plus en plus boursouflés, le jeune québécois livrait encore en ce début de décennie des petits bijoux tout à fait réussis. Dans Les amours imaginaires les dialogues sont cinglants comme il faut, la b.o excellente – mais raisonnablement utilisée – tandis que le réalisateur navigue avec aisance entre fantasme et réalité. Délicieux tango entre amour et amitié, ce récit parfois cruel mais décidément truculent offre à voir ce que Dolan pouvait faire avant la gloire et donc à son meilleur.
- Polisse – Maïwenn (2011)
Personnalité parfois mal aimée, il faut toutefois reconnaître à Maïwenn son grand talent. Avec sa faculté à diriger ses acteurs comme personne et d’appliquer à n’importe quel sujet le ton du cinéma vérité, la cinéaste obtient un degré de justesse que des centaines d’autres échoueront à égaler. En racontant le quotidien d’une section de la Brigade de Protection des Mineurs, Maïwenn tire d’un sujet sensible une œuvre d’une grande intelligence, portée par un casting extraordinaire. Un des films les plus poignants de ces dernières années.
- Drive – Nicolas Winding Refn (2011)
« There’s something inside you, it’s hard to explain. ». Dix ans après comment oublier cet entêtant refrain, chantonné sur un air de synthwave, qui encore aujourd’hui incarne notre fascination intacte à l’égard de l’œuvre de Winding Refn? Était-ce l’atmosphère? L’interprétation de Ryan Gosling en anti-héros anonyme et mystérieux? La bande originale électrique ? Qui sait. Mais hot damn ça marchait et ça marche encore. Testament de l’entrée du cinéaste suédois dans le game hollywoodien, Drive offre avec son ton épuré un contre-pied au symbolisme tantôt surfait et impénétrable qui est parfois venu entacher par la suite la carrière du réalisateur. Un film brut et culte à découvrir ou à redécouvrir.
- Parasite – Bong Joon-ho (2019)
Une Palme d’or (la première pour la Corée du sud !) grandement méritée au dernier Festival de Cannes. Dans un mix savamment dosé de comédie et de thriller, le réalisateur de The Host et Memories of Murder se révèle toujours aussi à l’aise dans le mélange des genres et livre une excellente satire sociale. En faisant preuve d’une réalisation impeccablement maîtrisée, le cinéaste offre au travers de sa critique acerbe et féroce de la lutte des classes un spectacle véritablement jouissif.
- A Single Man – Tom Ford (2010)
Le premier film du célébrissime couturier Tom Ford aurait pu s’apparenter à un bel écrin vide, dépourvu de substance. C’était néanmoins sans compter sur sa grande maîtrise de la mise en scène. Son goût prononcé pour l’art du cadre soigneusement millimétré se mélange ici avec une interprétation aux petits oignons et une b.o sublime qui donnent naissance à un film d’une grande élégance. Avec cette trajectoire d’un professeur endeuillé (Colin Firth, tout en retenue et en mélancolie), Tom Ford filme comme personne les divagations des âmes esseulées dans un récit magnifique, sommet de tristesse et de beauté.
- Burning – Lee Chong Dang (2018)
Le dernier film de Lee Chang Dong est un grand moment de cinéma. Entre le thriller et la critique sociale, le réalisateur de Poetry livre une nouvelle fois ici une œuvre d’une grande maitrise, dotée d’une tonalité aussi mélancolique que brutale et portée par un trio d’acteur au sommet. Un chef-d’œuvre.
- The Lobster– Yorgos Lanthimos (2015)
Comédie, drame, thriller, satyre…le cinéaste grec a le chic pour mélanger les genres au service d’un univers bien à lui, inlassablement traversé par des personnages émotionnellement anesthésiés par les conventions sociales. Épaulé par un casting qui ferait rougir d’envie Wes Anderson, il met ici son goût de l’absurde au service d’une dissection aussi cynique que drolatique des dynamiques amoureuses. Avant de rencontrer un succès mondial avec The Favorite (2018), Lanthimos donnait ici naissance à ce qui reste à ce jour son meilleur film et une œuvre unique en son genre.
- Portrait de la jeune fille en feu – Céline Sciamma (2019)
Véritable œuvre d’amour et de passion Portrait de la jeune fille en feu est sans aucun doute le plus beau film de Céline Sciamma à ce jour. Pourtant simple, son récit s’épanouit dans l’élégance de sa mise en scène et de ses dialogues. C’est avec une fougue et une délicatesse que l’on croyait réservées à des romans d’un autre temps que la réalisatrice nous emporte dans les sentiments de ses héroïnes. A la fois beau, bouleversant et doublé d’un magnifique casting, Le portrait embrasera à coup sûr bien des coeurs qui ne seront pas près de s’éteindre.
- Under the Skin – Jonathan Glazer (2014)
Ovni total, Under the Skin s’inscrit sans mal parmi les expériences cinématographiques les plus déconcertantes de toute l’histoire du Septième art. C’est toujours captivé que l’on regarde encore des années après cet étrange objet qui montre Scarjo endosser le rôle d’une routière extra-terrestre au charme aussi hypnotisant que mortel. Parfois anxiogène, totalement déroutant mais résolument envoûtant, la vérité d’Under the skin est sans doute ailleurs mais c’est bien cela qui fait tout son originalité et son génie.
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