Hunter est une jeune femme dont la vie semble réussie. Elle habite une grande et belle maison avec son mari Richie Conrad, issu d’une famille aisée, et gère avec efficacité son quotidien. Pourtant, le jour où elle tombe enceinte, tout bascule.
Swallow est une œuvre hybride. Réalisé par Carlo Mirabella-Davis, ce premier film suit le parcours de Hunter, jeune femme au foyer, dont le mari, Richie, vient d’acquérir une nouvelle maison. Elle doit alors apprendre à jouer le rôle qui lui est dévolu : celui de poupée de cire (belle et souriante) ainsi que de mère porteuse de la future lignée des Conrad. Le cinéaste ne cache pas ses inspirations. Alors que Hunter est atteinte du syndrome de Pica (qui consiste à avaler des objets en tout genre : cela va de la bille au tournevis en passant par des petites figurines en porcelaine), il nous parle de sa grand-mère, femme au foyer dans les années 1950 qui était devenue maniaque pour tenter de mettre de l’ordre dans sa vie. Elle se lavait les mains plusieurs fois par jour allant jusqu’à utiliser douze bouteilles d’alcool ménager par semaine. Pour ces raisons, elle fut lobotomisée et perdit alors l’odorat et le goût. Mirabella-Davis est profondément marqué par cette histoire et souhaite, en 2019, parler de la détresse émotionnelle de ces femmes au foyer oppressées par l’ennui de leur quotidien, mais également par la culpabilité.
Tout au long du film, Hunter doit remercier à la fois son mari, mais aussi sa belle-mère pour l’honneur qu’ils lui font de l’accepter dans cette famille ; elle, vendeuse de moins que rien. Ainsi, pour elle, avaler des objets est une prise en main de sa vie. Elle est fière quand elle avale sa première bille, car elle a le contrôle. Puis les trophées (car ce sont des trophées) s’accumulent et son estime d’elle-même grandit. Elle est plus heureuse. Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte (c’est à ce moment-là que le syndrome se déclenche), elle a perdu son corps. Il ne lui appartient plus. Richie annonce au téléphone un « nous allons avoir un enfant » lourd de sens : il s’est entièrement approprié le corps de Hunter. Elle est devenue sa chose, le ventre qui héberge son futur enfant — pour lui et ses beaux-parents, pas pour elle. La question du choix et du désir ne se pose même pas. Pour Hunter c’est un véritable parcours du combattant qui s’engage pour regagner sa dignité et retrouver sa personnalité. Loin d’être une femme superficielle, Hunter a mille visages. Interprétée à la perfection par Haley Bennett (que nous allons suivre avec grande attention et qui est également productrice du film) qui réussit, avec très peu de paroles et de gestes à faire passer toutes les émotions et les sentiments contradictoires qui submergent Hunter. C’est une performance impressionnante de la détresse et de l’étouffement, si communicative.
Swallow est un film caméléon qui s’adapte totalement à son personnage principal. La mise en scène sert son sujet. Alors que Hunter essaye de se conformer à ce qu’on attend d’elle quand elle est en présence d’autres personnes, le film est froid, neutre, baigné par une couleur artificielle. Mais dès qu’elle essaye de prendre son envol, de faire des choix pour elle, la caméra s’agite, se meut avec son héroïne. C’est un magnifique portrait de femme qui ne va jamais dans la caricature et qui reste toujours très juste, au plus près de la jeune femme et de son ressenti. Point de mots, mais du mouvement et du jeu. L’évolution de Hunter n’est jamais brusque. Elle se fait délicatement au fur et à mesure qu’elle prend conscience de sa condition de femme, mais également de la prison dans laquelle elle évolue. Cette maison qu’elle a essayé de façonner et décorer à son image, tel un cocon qui la protégerait, est finalement extrêmement froide et inhumaine. C’est l’image de la perfection, sans la moindre aspérité et donc sans la moindre personnalité, qu’essaye de créer Hunter. Tout doit être lisse pour montrer à quel point elle répond aux injonctions imposées par la vie domestique et la famille. Cette maison ne lui appartient jamais vraiment : elle n’a ni amie ni confidente et les personnes qui viennent sont la famille ou les amis de Richie. Plongée dans un milieu social bourgeois auquel elle doit se conformer — bien loin de ses rêves de jeune femme —, le récit montre très bien la relation superficielle entre Richie et elle, ainsi que les abus anodins qu’elle subit au quotidien.
Pour son premier long-métrage, le jeune réalisateur américain s’est entouré d’une équipe technique composée autant de femmes que d’hommes. Notons surtout le travail magnifique de la directrice de la photographie, Katelin Arizmendi, qui réussit à rendre palpable la texture des objets qu’ingurgitent Hunter. De plus, la musique, composée par Nathan Halpern (The Rider), arrive également à retranscrire les émotions de Hunter. Swallow pose un regard profondément respectueux sur son personnage principal. Avec tendresse et beaucoup de finesse, Carlo Mirabella-Davis réalise un long-métrage féministe que parle de toutes les femmes. C’est un film intemporel par ses différents sujets toujours d’actualité, mais aussi par sa mise en scène. Les vêtements et décors semblent tout droit sortis des années 50 alors que les personnages arborent fièrement des portables dernier cri et que la maison est équipée de tout le matériel ménager moderne. C’est un discours à la fois actuel et universel.
Nous avons eu un véritable coup de cœur pour ce personnage de Hunter, touchant et innocent, qui, avec son manque d’amour et d’estime de soi, cherche désespérément sa place. Comme tout un chacun en somme.
Maintenant, à vous de découvrir son histoire.
Marine Moutot et Manon Koken
Swallow
Réalisé par Carlo Mirabella-Davis
Avec Haley Bennett, Austin Stowell, Denis O’Hare
Drame, États-Unis, France, 1h34
15 janvier 2020
UFO Distribution
2 commentaires sur « [CRITIQUE] Swallow »