Cette semaine dans les Conseils : Scandale, Adoration et K contraire.
Scandale : 2016 : En pleine campagne présidentielle américaine, Gretchen Carlson – présentatrice sur Fox News – décide d’attaquer en justice Roger Ailes – président de la chaîne – pour harcèlement sexuel ; un scandale alors sans précédent qui va petit à petit en dévoiler d’autres.
Même s’il est probable que Scandale remporte quelques statuettes aux prochains Oscars, il ne serait pas étonnant que le film passe inaperçu chez nous. En effet, peu sans doute auront à l’époque entendu parler de cette affaire pré « Me Too » qui deux ans avant la chute d’Harvey Weinstein avait secoué la scène médiatique américaine et entraîné la destitution de Roger Ailes, autre grand magnat que l’on croyait alors trop puissant pour tomber.
À la manière d’Adam McKay qui dans The Big Short brisait allègrement le 4ème mur en mélangeant les temporalités et les métaphores pour expliciter la crise des subprimes, Jay Roach n’hésite pas ici à utiliser les mêmes outils narratifs pour exposer le climat sexiste et misogyne de Fox News. Mais pour mesurer le caractère particulier de ce scandale il faut avant tout bien comprendre l’architecture particulière de cette corporation : organe médiatique majeur de la scène politique américaine au ton ouvertement conservateur (c’est un euphémisme) et, soit dit en passant, chaîne préférée de Donald Trump.
Prendre comme protagoniste des personnages comme Megyn Kelly – journaliste ouvertement antiféministe et aux propos pas toujours super heureux – aurait pu s’avérer à ce titre hautement casse gueule. Néanmoins, Scandale s’en sort plutôt bien à cet égard. Certes, certains incidents sont mentionnés mais le film garde un regard neutre et au contraire se sert de cet argument pour démontrer l’évidence : ceci peut arriver à n’importe qui. Le réalisateur renforce ce propos en dressant par ailleurs un parallèle avec la campagne présidentielle de 2016 où il expose l’omniprésence des attaques et violences dirigées envers les femmes qui opèrent au sein des sphères médiatiques et politiques.
Toutefois, le réalisateur manque paradoxalement de vision lorsqu’il s’agit d’analyser en détails les mécanismes institutionnels ayant permis à Ailes (et à certains de ses confrères ici trop rapidement évoqués) de renforcer son emprise à l’égard de ses victimes. En effet, si Roach montre très bien comment le grand patron les manipule en faisant de ses actes des secrets partagés dont la divulgation viendrait à nuire aux deux partis, il échoue à démontrer comment des entreprises comme Fox News génère des engrenages impossibles pour les victimes tout en protégeant les prédateurs. Néanmoins, et même si cet aspect fait que Scandale est en définitive loin d’avoir la carrure de Spotlight ou de The Big Short, son visionnage ne pourra qu’être conseillé tant il reste à bien des égards pertinent au vu du climat et des débats actuels. M.P
Adoration : Paul est un jeune garçon qui vit à côté d’une clinique avec sa mère. Un jour, Gloria arrive et il a l’interdiction de s’approcher d’elle. Pourtant, il est attiré et, pour elle, il sera capable de tout.
Le nouveau film du belge Fabrice Du Welz parle de l’amour que porte un jeune garçon à une jeune fille. Il est innocent et candide. Son amour est donc le plus pur qui pourrait être. Il ne connait ni le mal ni le désir, seulement une attirance d’enfant pour elle. Paul, interprété par Thomas Gioria (excellent dans Jusqu’à la garde), ne cessera jamais de regarder le monde avec des yeux d’enfant. En essayant de capter les affres de cette relation bancale, le cinéaste décide de suivre ses protagonistes caméra à l’épaule. L’image possède un grain fort : le réalisateur a tourné en pellicule, qu’il trouve plus poétique et mystérieux que le numérique. Il ne date pas son récit qui pourrait avoir lieu hier, aujourd’hui, ou demain (mis à part deux téléphones que nous apercevons rapidement). Gloria, quant à elle, est l’archétype de la femme fatale (mais dans le corps d’une enfant) qui attire les gentils garçons et s’en sert. Quand bien même elle n’en a pas conscience, son personnage est profondément ancré dans une histoire cinématographique des films noirs hollywoodiens. Sa robe rouge sang la féminise encore plus que ses grands yeux bleus. Dans ses yeux se reflète l’horreur qu’elle a connue ou qu’elle imagine. Elle a peur, elle souffre et entraîne dans sa chute Paul. Adoration est l’incarnation parfaite de : « l’amour n’est pas aveugle, il rend aveugle ».
Pourtant, malgré les images magnifiques de la nature et les moments tendres, ce road trip comporte beaucoup d’ennui et est finalement assez vide. Et telle une roue, le film revient à son point de départ, sans aucune avancée dans l’histoire. Il y a même quelque chose de funeste dans ce dernier plan : si la roue tourne et ne s’arrête jamais, Gloria non plus ne sera pas sauvée par l’amour. M.M
K contraire : A sa sortie de prison, Ulysse doit trouver au plus vite une solution pour prendre soin de sa mère dépressive.
Sarah Marx signe avec K contraire son premier long métrage, et c’est très réussi. On y retrouve Sandor Funtek (Ulysse) qui confirme des débuts plus que prometteurs, et Alexis Manenti (David) qui après son rôle de policier véreux dans Les misérables, nous bluffe en petit délinquant.
L’intrigue est simple mais rondement bien menée, et on se laisse prendre au jeu sans difficultés. Ulysse a fait de mauvais choix et n’en est pas à sa première incarcération, mais motivation première reste de venir en aide à sa mère atteinte de dépression. Ses options sont plus que restreintes, il pourrait comme lui conseille son ami David, travailler tous les jours et mettre de côté. Mais Ulysse n’a pas le temps de faire les bons choix, il doit trouver une solution pour que sa mère soit prise en charge médicalement, et ne veut pas se contenter du peu qu’un travail “classique” a à lui offrir.
Dans ce film, la réalisatrice pose deux questionnements très justes : qu’a-t-on réellement à offrir à des jeunes en réinsertion, qui pour la plupart en sont arrivés là du fait même de l’incapacité de leur famille à survivre dans un système qui fait tout pour les marginaliser ? Et comment des jeunes sont-ils censés s’en sortir et construire des bases solides pour leur vie future quand ils doivent prendre en charge leurs parents avant même d’être véritablement stables dans leur vie d’adulte ?
Sarah Marx inscrit ce long métrage dans la continuité de son documentaire à la maison d’arrêt de Nanterre. Elle nous montre ici la triste réalité d’un système corrompu qui fait tout pour isoler et enfermer les plus démunis. Sans tomber dans le manichéen, elle parvient à nous montrer les différentes zones d’ombres qui entourent ses personnages, aussi entiers qu’attachants. On pourrait toutefois reprocher au film d’être trop court, mais même la fin, très soudaine, est lourde de signification. A.E
Marine Moutot, Amandine Eliès et Marine Pallec
Scandale
Réalisé par Jay Roach
Avec Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie
Drame, États-Unis, 1h49
22 janvier 2020
Lionsgate Films
Adoration
Réalisé par Fabrice Du Welz
Avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Benoît Poelvoorde
Thriller, Drame, France, Belgique, 1h38
22 janvier 2020
Les Bookmakers / The Jokers
K Contraire
Réalisé par Sarah Marx
Avec Sandor Funtek, Sandrine Bonnaire, Alexis Manenti
Drame, États-Unis, 1h23
22 janvier 2020
Les Valseurs