Lors de leur premier rendez-vous, deux jeunes Afro-Américains sont arrêtés par un agent de police pour une infraction mineure. La situation dérape et tourne au drame. Les deux jeunes décident de partir en cavale.
Un contrôle arbitraire, un policier blanc, des passagers noirs et c’est le drame : cette scène on aurait l’impression de l’avoir vue mille fois, on pourrait même croire que c’est un cliché si elle n’était pas un fait récurrent des actualités. En se servant de ce tréteau brûlant, Melina Matsoukas et sa scénariste, Lena Waithe, ont essayé de donner naissance à un film éminemment politique et percutant sur les tensions raciales aux États-Unis. Toutefois, la sauce ne prend qu’à moitié, la faute à un scénario trop simpliste.
Il y a quelque chose de délicat dans le fait de parler d’un film comme Queen & Slim où le contexte sociopolitique et le statut du spectateur (sa classe, son genre, sa couleur de peau) interviennent forcément dans sa réception du film. Ces éléments peuvent avoir tendance à kidnapper la réflexion au profit de l’émotion et susciter la peur de provoquer la polémique en cas de critique. Néanmoins, reste que si Queen & Slim est un film intéressant avec une réalisation chiadée, quelques bonnes idées et un casting plus que parfait, ce n’est pas vraiment un film intelligent.
Dans son premier scénario de long-métrage, Lena Waithe propose en effet une vision simpliste de la société américaine. Les tensions sont réduites à des stéréotypes : tous les Blancs ou presque sont donc des préjugés sur pattes – soit racistes, soit stupides (et un peu racistes) – tandis que tous les Noirs vivent la peur au ventre avec une vague détestation des Blancs (mais là ça se justifie car eh, les Blancs sont racistes). Alors attention, il ne s’agit pas pour nous de tomber dans le « mais tous les Blancs ne sont pas racistes ». Là n’est pas tant le sujet et, en cherchant à mettre en avant des individualités dans une situation systémique, on ne ferait que dépolitiser le débat. Le souci c’est qu’on en arrive conséquemment au cœur du problème de Queen & Slim : le message politique du film est très vain puisque de débat, ici, il n’y en a point.
Il est ainsi primordial d’exposer et de dénoncer les problèmes de société mais il est également tout aussi important, afin de ne pas offrir de marge d’ambiguïté dans laquelle pourrait s’immiscer des discours haineux et contre-productifs, de les cadrer correctement et de les contextualiser. Or, à aucun moment le film ne cherche à analyser les dynamiques qui nourrissent les tensions communautaires. Le scénario ne fait que renforcer une conception extrêmement binaire de la société où tout n’est que haine et opposition sans que jamais aucun dialogue ne soit ouvert. La fin, extrêmement dramatique offre une conclusion en apparence forte et poignante mais qui s’avère dans les faits, et une fois l’émotion du moment dissipée, aussi nihiliste que stérile.
Néanmoins, il serait injuste de blâmer totalement Waithe et Matsoukas, déjà parce que leur film offre une réflexion intéressante sur la manière dont l’acte de nos deux protagonistes devient, malgré eux, instrumentalisé en objet de lutte. La trajectoire intime des deux compères, qui toute leur vie se seront tenus à carreau pour embrasser un semblant de liberté pendant leur cavale, est également un des points forts du film. Reste que s’emparer d’une problématique aussi brûlante était forcément extrêmement compliqué que le film aurait été autrement plus percutant et fort avec un scénario davantage travaillé. On ne saura en conclusion que conseiller aux spectateurs de se pencher sur des programmes qui, tels que la série Dear White People, offrent une réflexion beaucoup plus poussée et complexe sur les mêmes problématiques.
Marine Pallec
Queen & Slim
Réalisé par Melina Matsoukas
Avec Daniel Kaluuya, Jodie Turner-Smith, Bokeem Woodbine
Drame, Etats-Unis, 2h12
12 février 2020
Universal Pictures