Cette semaine dans les Conseils : L’État sauvage, Lara Jenkins, Le Cas Richard Jewell et Tout peut changer : et si les femmes comptaient à Hollywood ?
L’Etat sauvage : 1861, en pleine guerre de Sécession, une famille française décide de fuir après l’arrivée de l’armée Nordiste. Edmond, Madeleine ainsi que leurs trois filles Justine Abbygaëlle et Esther s’en remettent aux mains d’un mercenaire, Victor, afin de traverser le pays et rejoindre le prochain bateau pour l’Europe. Le passé de cet homme mystérieux rejaillit et met en péril le périple.
David Perrault revisite une période houleuse de l’Amérique à travers un genre cinématographique emblématique. Filmé dans les grands espaces canadiens, L’état sauvage est une ouverture pour le cinéma français vers l’exploration d’un univers qui ne lui est pas inné. Dans ce décor intemporel dont les reliefs ont plusieurs millions d’années, les protagonistes entament une course contre la montre : fuir le plus vite possible une terre qui leur avait jadis ouvert les bras. La peur de l’armée nordiste est une épée de Damoclès et réapparaît ponctuellement. Elle est cependant évincée par de nombreux arcs narratifs, tous plutôt bien pensés mais qui dans l’accumulation s’essoufflent : la piété de la mère, le vaudou… C’est finalement un autre enjeu qui va prendre le pas. La famille est poursuivie par l’ancien amour du mercenaire Victor, jalouse de sa relation naissante avec la plus jeune des soeurs Esther. Sorte de spectre vengeur, elle gangrène l’esprit de Victor. Sa rivale Esther est à l’inverse porteuse d’espoir. Personnage phare de cette odyssée, sa force se veut dans sa prise de position face à ses parents. Comme une crise d’adolescence, elle défie constamment l’autorité et veut séduire l’homme qui les guident. Malheureusement, le film pâtit d’une mise en scène bien trop appuyée. Son aura déjà pétillante en devient agaçante. Toujours au centre de l’image, toujours au centre de l’attention, le personnage d’Esther aurait gagné à évoluer davantage au sein du groupe qu’en bande à part avec elle-même.
À ce niveau, le propos est clair, le western flirte avec le voyage initiatique. Le film met en lumière des conquérantes. Dans ce monde hostile où l’homme est le pilier de la cellule familiale et sociétale, il ne sera finalement pas toujours d’une grande aide. Chacune dans leur style, les femmes vont réussir à s’émanciper et gagner une confiance qui leur a été autrefois interdite d’envisager.
Si les acteurs, et les actrices sont indéniablement bons dans leur art, une note amère fait sombrer le film dans un procédé ostentatoire. David Perrault étale sans répit ses effets : ralentis, travelling… On assiste à l’exaltation d’un petit garçon dans un magasin de jouets. Le réalisateur détient les bons outils mais ne semble pas savoir s’en servir à bon escient. Comme l’accumulation des histoires, celle des artifices cinématographiques desservent le visionnage et mettent en relief quelques longueurs. à noter tout de même une bande originale intelligemment composée, un thème énigmatique qui renvoie tant aux expériences vaudous qui ponctuent le film qu’au questionnement par lequel passe notre héroïne.
L’état sauvage oscille entre maladresse et éclats envoûtants. David Perrault signe un western aux multiples promesses qui tire dans tous les sens mais ne réussit pas à viser notre coeur. C.L-L.
Lara Jenkins : Lara vient d’avoir 60 ans. Alors que Viktor, son fils, va jouer son premier concert, elle pense au suicide. Pourtant en 24 h sa vie va changer.
Le cinéaste allemand, Jan-Ole Gerster, revient sept ans après son précédent et excellent film : Oh boy (2013). Le récit se déroulait déjà sur 24 h et suivait les déambulations et déboires d’un jeune trentenaire (interprété par Tom Schilling, que l’on retrouve avec plaisir ici en Victor et qui avait été peintre dans L’Œuvre sans auteur en août dernier). Ici, nous suivons Lara, qui alors qu’elle va se suicider, est interrompu par la police qui doit faire une perquisition chez un voisin. Son fils va jouer, mais elle n’a pas reçu d’invitation. Elle qui a tout sacrifié pour son fils, la voici sur le banc des indésirables, même pire des nuisibles. L’histoire avance tranquillement et si le scénario semble un peu simpliste : la relation entre une mère tyrannique et un fils qui doute, il distille au fur et à mesure de la balade des indices, des chemins. Et sans prendre de raccourcis, nous raconte l’histoire de Lara, 60 ans qui a gâché sa vie parce qu’elle ne s’est pas écoutée et n’a pas eu confiance en elle. Ainsi toute sa vie, elle a fait payer les autres pour les manques qu’elle a connus. Avec une mise en scène sobre, avec très peu de musiques (alors que la musique est clairement au centre de la vie des protagonistes), Jan-Ole Gerster expose la solitude de la vie de son héroïne. Elle refuse la gentillesse, elle qui n’a jamais su en faire preuve. La première fois que le spectateur la voit, elle semble défaite, fatiguée, au bout du rouleau. Elle annonce qu’elle doit se préparer. Quelques instants plus tard, la voici parée, elle a ajusté le masque. Pourtant, derrière la façade, c’est l’humain entier qui doute et qui craquèle au fur et à mesure de la journée. Le fils et la mère sont si semblables. Le voisin de Lara, intrus plein de sympathie qui tente de se rapprocher d’elle par tous les moyens, permet de voir la gêne débordée du personnage. Elle ne sait que faire de cette personne qui ne lui veut que du bien. L’actrice Corinna Harfouch parvient à interpréter avec justesse et arrive à nous la rendre empathique. Ainsi sans artifice, avec simplicité, le réalisateur réussit à nous montrer toute la complexité de Lara Jenkins. Petit clin d’œil pour les Français, la chanson de France Gall Il jouait du piano debout va résonner encore longtemps, après le film, dans votre tête. M.M
Toujours en salles :
Le Cas Richard Jewell : Richard Jewell est agent de sécurité pendant les Jeux d’Atlanta. Un soir, il découvre un sac suspect sous un banc. Il entame la procédure avec efficacité sous le regard amusé de ses collègues et de la police. Mais alors qu’une bombe est trouvée, il s’échine à éloigner les gens le plus possible, sauvant ainsi de nombreuses vies. Pourtant, le FBI qui n’a pas de suspects sous la main en fait l’ennemi public numéro 1 avec l’aide des médias.
Richard Jewell rêve de réintégrer les forces de l’ordre, s’investit à fond dans son travail et respecte des autres, toujours avec une bonté et un sourire qui font chaud au cœur. Alors oui, il est un peu insistant, possède une multitude d’armes chez lui et vit encore chez sa mère. Toutes les tares qu’un homme pourrait avoir il les a. Selon le standard de la réussite américaine, il est plutôt du côté obscur : la description du mâle blanc frustré lui colle si bien à la peau. C’est cela que Clint Eastwood essaye de casser dans ce touchant portrait d’un homme qui voulait trop bien faire les choses. Le cinéaste montre comment la machine à broyer, que sont les médias, une fois mis en marche, est impossible à arrêter et peut briser, dans l’indifférence totale, la vie d’autrui. Richard Jewell est le citoyen lambda qui rêve plus que tout d’être un héros au quotidien. Le cas Richard Jewell est donc un bon film de Clint Eastwood qui questionne (peut-être un peu malgré lui) les fondements du système américain médiatique, mais également policier. Dans cette affaire, toute la grandeur du pays côtoie le plus avilissant. C’est avec un regard acerbe que le récit bien mené brise les stéréotypes que de trop nombreux films et les médias ont trop souvent donnés (dont Clint Eastwood). Quand bien même certains moments sont touchants (la conférence de presse que donne la mère est magnifique et Kathy Bates extrêmement juste), d’autres auraient mérité plus de retenues (cette même conférence de presse, la petite larme de la journaliste repentie, jouée par Olivia Wilde, n’était pas nécessaire). Ainsi Le cas Richard Jewell reste un grand film aussi par l’interprétation de Sam Rockwell (encore une fois excellent, après nous avoir enchanté dans Jojo Rabbit ou 3 Billboards) et de Paul Walter Hauser qui campe à la perfection un Richard affable. Grâce à un rythme soutenu, un casting parfait et un récit bien mené, Clint Eastwood nous prouve qu’il n’a pas perdu de son talent. M.M
Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ? : Objectifiées, invisibilisées, moins bien payées ou harcelées, être reconnue en tant que femme dans le milieu du cinéma reste aujourd’hui encore un combat. A travers de nombreux témoignages et un historique très bien documenté du cinéma hollywoodien, le réalisateur donne la parole à des femmes qui s’efforcent de lutter contre les stéréotypes de genre auxquels elles sont encore trop souvent soumises dans leur métier.
Avec ce documentaire, Tom Donahue redonne une visibilité aux femmes d’Hollywood, trop souvent cachées dans l’ombre de leurs collègues masculins acteurs, réalisateurs, scénaristes et producteurs. Être un objet sexuel, ou être invisible : tels sont encore trop souvent les deux seules alternatives pour une femme dans le cinéma. Au-delà de la difficulté de mener à bien sa carrière dans un environnement majoritairement masculin, le documentaire s’interroge également sur les conséquences de l’image de la femme dans le cinéma sur le public féminin. Hollywood a pendant trop longtemps véhiculé un seul modèle de femme, superficielle et accessoire, souvent présente pour mettre uniquement en valeur les héros masculins. Comment faire lorsqu’on ne nous propose qu’un seul modèle de femme ? Et au-delà des injonctions qui accompagnent cette objectivation de la femme, quelles sont les conséquences lorsque l’on ne se reconnaît dans aucun des modèles proposés par les médias ? Dés lors, comment sortir des paradoxes sur lesquels se construisent des milliers de jeunes femmes, à travers des films où les rares femmes qui sont présentes ont moins d’importance que les hommes, et ne font que trop rarement état d’une once de diversité ?
Tom Donahue dresse ici un compte rendu sans fard ni paillettes de la place des femmes dans le cinéma, et sur ce que cela dit encore sur la place des femmes dans notre société. Sans minimiser les victoires grapillées années après années pour que la parité soit une norme au cinéma, tant pour les acteurs/rices que pour les réalisateurs/rices, ce documentaire nous montre aussi tout le chemin qu’il reste à parcourir pour que les lignes continuent de bouger, lentement, mais sûrement. A.E
Marine Moutot, Clémence Letort-Lipszyc et Amandine Eliès.
L’État sauvage
Réalisé par David Perrault
Avec Alice Isaaz, Kevin Janssens, Déborah François
Western, Romance, France, 1h58
26 février 2020
Pyramide Distribution
Lara Jenkins
Réalisé par Jan-Ole Gerster
Avec Corinna Harfouch, Tom Schilling, André Jung
Drame, Allemagne, 1h38
26 février 2020
KMBO
Le Cas Richard Jewell
Réalisé par Clint Eastwood
Avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Kathy Bates
Drame, États-Unis, 2h09
19 février 2020
Warner Bros. France
Tout peut changer : et si les femmes comptaient à Hollywood ?
Réalisé par Tom Donahue
Avec Geena Davis, Meryl Streep, Chloe Grace Moretz
Documentaire, États-Unis, 1h35
19 février 2020
Alba Films