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Introduction
Temps de lecture : 6 minutes
Nous vivons en ce moment une période étrange et angoissante, où la réalité semble rejoindre la fiction. Pour beaucoup confiné.e.s, menacé.e.s par l’invisible mais enfin disponibles aux nombreux livres, films et séries qui composent nos to do lists, nous tentons de nous réapproprier ce temps libre tant désiré. Au milieu des actualités anxiogènes et des conseils pour faire face en toute sérénité, de nombreuses filmographies spécial confinement fleurissent sur la Toile, feel-good movies versus films d’épidémie. Sans doute une manière de recréer l’expérience collective propre au cinéma, signe d’une volonté de partage et de lien en ces temps d’isolement.
Sûrement un peu maso, nous, en ce moment, on a une préférence pour les histoires d’épidémie, en particulier quand la maladie vous transforme en monstre cannibale… C’est là le signe d’une attirance paradoxale pour un cinéma provoquant “épouvante” et “horreur”, dans une tentative pour échapper à ces mêmes émotions. Pourquoi ce désir de nous plonger dans les genres de l’épouvante, de l’anticipation ou de la catastrophe alors même que nous sommes en train de vivre une crise angoissante ? Ne risque-t-on pas d’en sortir encore plus mal ?
Pour comprendre cela, il faut d’abord définir ce qu’on appelle la peur et la distinguer de l’angoisse. Selon Alex Lefevbre, chercheur en psychopathologie interrogé par Guillaume Istace dans son documentaire radiophonique “Radioscopie de la peur – Une histoire du film d’horreur”, alors que l’angoisse est sans objet, un malaise interne, flou, la peur est toujours de quelque chose. Face à la situation actuelle, nous pouvons ressentir ces émotions, parfois les deux à la fois : peur de la maladie, de la mort, de la pénurie ; angoisse face à un futur incertain. En offrant quelques représentations de la situation et, surtout, de ses évolutions possibles, le film de genre pourrait permettre de réduire l’angoisse et de la transformer en peur. Or, la peur peut être motrice. L’objet étant identifié, nous pouvons maintenant agir, tout comme les héroïnes et les héros de ces films. Le philosophe François Roustang, auteur de La fin de la plainte, insiste sur l’intérêt de la peur, qui “réveille notre vigilance” et nous “incit[e] à rester en éveil”. Selon lui, si nous cessons de lutter contre et que nous l’accueillons toute entière, nous pouvons alors prendre des mesures raisonnées et proportionnelles à la menace. En outre, s’il est aisé de se laisser submerger par l’angoisse, lorsqu’on est au chaud chez soi et en pleine santé, il peut être aussi quelque peu difficile de bien saisir toute l’urgence de la situation. Face à ce penchant contraire, une petite soirée films catastrophes peut nous permettre d’entretenir la peur et, ainsi, de rester vigilant.e.s.
Si cette confrontation au cinéma d’anticipation peut accroître notre vigilance, on peut également y voir une manière de se rassurer. Toujours selon Alex Lefevbre, la peur, chez l’enfant, a un rôle structurant : elle permet de construire la différence entre le monde intérieur, les rêves, les fantasmes et les histoires, et l’extérieur, la réalité. Face à ces histoires effrayantes mais tout à fait fictionnelles puisqu’il s’agit de cinéma, le spectateur peut se rappeler cette distinction et se rassurer : ouf, ce n’est pas à lui que cela arrive. La prise de recul est permise par la fiction, tout aussi visionnaire soit-elle, d’autant plus que, confortablement installé dans son fauteuil (peut-être même son lit), le spectateur peut tout arrêter s’il a trop peur. Véritable catharsis, le film de genre devient même un doudou pour les amateurs, dont le film fétiche visionné pour la énième fois donne un sentiment de maîtrise.
Malheureusement, cela ne fonctionne pas pour tout le monde et nous le comprenons très bien. Si vous êtes plutôt feel good movie et que vous vacillez à la simple mention du mot zombie, nous vous conseillons d’arrêter cette lecture et d’aller plutôt lire nos articles sur Little Miss Sunshine (Jonathan Dayton, Valerie Faris, 2006), Un jour sans fin (Groundhog Day, Harold Ramis, 1993), Le Diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada, David Frankel, 2006) les courts métrages de Charlie Chaplin ou encore sur les films d’animation (et notamment de Ghibli). Côté séries, un dossier tout frais et très adapté à la situation devrait faire des heureux : Nos séries préférées 2019/2020. Il ne fait pas partie de notre sélection mais nous vous recommandons aussi chaudement la série britannique Fleabag. Toutefois, si vous êtes peureux.ses mais curieux.ses, rien ne vous empêche de continuer la lecture de ce dossier.
Davantage que de lister un maximum de films d’épidémie ou de faire un top des meilleurs navets, il nous semble pertinent d’analyser ce que ces films disent de nos angoisses, de nos obsessions et de nos fantasmes. Comme toujours, le cinéma permet une lecture, consciente ou inconsciente, du réel et de la société. En particulier le cinéma de genre et la science-fiction – dont l’anticipation (qui compose une majorité des films de notre corpus) est un sous-genre -, dont le chercheur Yannick Rumpala décrivait les enjeux au micro de Nicolas Martin (La Méthode Scientifique, France Culture) en février 2019 : “La SF représente une façon de ressaisir le vaste enjeu du changement (…), et derrière lui celui de ses conséquences et de leur éventuelle maîtrise. (…) Elle constitue une voie par laquelle le changement (…) se trouve réengagé dans une appréhension réflexive”. Parabole du présent, le récit d’anticipation est un véritable contrepoint à l’instantanéité des images médiatiques, qui nous étourdissent aujourd’hui, en boucle à la télévision et sur internet, ainsi que des récits officiels, dans une société déjà préalablement anxiogène. Ce trop-plein génère une fatigue qui sature nos émotions et brouille notre perception de la réalité – quant à savoir si les informations données sont vraies ou déformées – nous plongeant progressivement soit dans le déni et le doute, soit dans la peur et la paranoïa, voire dans une forme d’indifférence. Le besoin d’un divertissement, quand bien même il ferait écho à la réalité, nous permet de sortir de cette hypnose générée par l’information à la fois insuffisante et trop présente.
Toujours dans une volonté de comprendre ce qui se joue dans ces films, nous continuons notre série avec un dossier axé sur les films de zombie. L’univers dépeint est post-apocalyptique : quand l’épidémie n’est pas un événement du passé, elle est sans espoir. Les scénarios se concentrent davantage sur la survie en territoire hostile et en groupe restreint que sur la recherche d’un remède. Pourquoi le zombie est-il si effrayant ? Non seulement il évoque la peur de l’Autre et de la contamination mais il entretient également un lien entre corps et moralité. Le corps déformé et la laideur extérieure renvoient dans l’imaginaire collectif une défaillance morale (pensez à L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde de Robert Louis Stevenson). L’invasion des zombies serait alors signe de la décadence de la société. C’est d’ailleurs le propos des premiers films du genre : La Nuit des morts vivants de George A. Romero, sorti en 1968, évoque la peur des émeutes qui planait à cette période de revendications civiques, Le Mort-Vivant (Dead of Night / Deathdream) de Bob Clark, sorti en 1974, la guerre du Vietnam et Zombie (Dawn of the dead), toujours de Romero, sorti en 1978, qui se déroule entièrement dans un supermarché, fait le parallèle entre zombification et société de consommation. En outre, les canons du genre du film d’épouvante – comme certains épisodes des textes fondateurs des religions monothéistes – veulent que tombent les pécheurs. Comme dans Halloween (John Carpenter, 1978) ou Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980), dans Le Jour des morts (Day of the Dead, Steve Miner, 2008), les adolescents décérébrés et libidineux sont ainsi symboliquement punis par le scénario : ce sont les premières victimes de l’invasion. Cette épidémie, signe de la défaillance de l’humanité, serait une sorte de courroux divin ou du moins de punition involontairement autogénérée par cette société qui a été trop loin.
Dans des sociétés patriarcales telles que les nôtres, il n’est donc pas étonnant de voir la figure du père se détacher des autres. Il y incarne, ainsi que l’écrit Ivan Jablonka dans Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, “à la fois le supérieur et l’universel” [1]. Dans nos sociétés fondées sur l’autorité des hommes, il est garant de la stabilité et de la sécurité, que ce soit de la famille ou de l’État. Comme le prône le patriarcat, le père doit subvenir aux besoins de sa famille (argent, protection), quelle que soit la situation. La famille se construit autour de lui : s’il défaille, la cellule familiale s’écroule. À l’échelle sociétale, on parle de Père de la Nation ou, pour les Américains, de Pères Fondateurs : le chef doit, lui aussi, subvenir aux besoins de son peuple. En plus d’une charge symbolique forte, le père est porteur d’une charge affective : il n’est pas seulement un père, il est un Papa, figure protectrice et modèle pour les enfants. Du fait de la menace extérieure, dans les films de zombies, la relation à l’Autre est mise en avant, avec des pères affectueux ou tentant de l’être, qui créent ou entretiennent de véritables relations avec leur.s enfant.s.
Après avoir visionné des perles comme des navets, malmené notre corps face à l’écran, maintenant fourbues, pâles, les yeux picotant de fatigue, nous vous partageons le fruit de nos recherches intenses : l’analyse de la représentation des Papas dans les films de zombies, suivie d’une sélection de nos films de zombies – avec Papas – préférés. Pour celles et ceux qui voudraient écourter la lecture pour se tourner directement vers le visionnement, vous pouvez vous rendre à la fin de l’article.
/!\ Cet article peut contenir des spoilers. /!\
Table des matières
I – Être un père exemplaire : la paternité comme motivation
- Père viril : être fort, être parfait
- Père dévoué : la famille, c’est tout pour lui
- Père sacrifié : sauver l’Autre au péril de sa vie
- Quand la menace zombie vient de la famille
- Le père défaillant
- L’échec du père, symbole de l’échec d’un pays ?
III – Pères de substitution et réhabilitation
- Remplacer le père
- Changer le père : l’invasion zombie, une occasion de se racheter
- L’importance de la nouvelle génération
/!\ Cet article peut contenir des spoilers. /!\
Temps de lecture : 30 minutes
I – Être un père exemplaire : la paternité comme motivation
1. Père viril : être fort, être parfait
D’un film de zombies à l’autre, des caractéristiques similaires émergent pour définir le Père. En premier lieu, être un père, c’est avant tout être un homme selon les critères de la masculinité traditionnelle. Revenant à leurs origines, Olivia Gazalé explique dans Le Mythe de la virilité – un piège pour les deux sexes : « À Athènes, un homme doit afficher fièrement les marqueurs de la virilité : force, vigueur, combativité, courage et maîtrise, à l’image d’Héraclès (Hercule), considéré comme le plus digne représentant de l’andreia [courage] pour sa puissance physique et son audace, mais également pour ses qualités morales d’opiniâtreté face à l’adversité » [2]. Demi-dieu mais aussi ennemi involontaire d’Héra qui le met à l’épreuve avec les Douze Travaux – dont il sort vainqueur -, le héros mythologique Héraclès établit les codes de cette masculinité depuis l’Antiquité. Il est un modèle pour les hommes à travers les récits et la statuaire grecque. C’est de cette figure qu’hérite l’Homme et par là, le Père. Ainsi, dans la majeure partie des cas, les figures paternelles répondent aux injonctions viriles par leur physique et leur comportement. En faisant preuve de force morale et physique face à la crise, ces pères deviennent des héros, ce qui fait sens étant donné l’étymologie du terme vir (d’où vient viril), dérivé du sanskrit virâ : le mâle ou le héros. Ils sont d’autant plus des figures de puissance que cette maîtrise n’est jamais remise en cause : ce sont des protecteurs-nés, personnages positifs du début à la fin du film.
Ces pères ont un physique qui en impose et cela passe par le choix des acteurs : Will Smith pour Je suis une légende (Francis Lawrence, 2007), Brad Pitt pour World War Z (Marc Forster, 2013) et Arnold Schwarzenegger pour Maggie (Henri Hobson, 2015). Ils sont tous grands, musclés, plutôt athlétiques et charismatiques. Comme le rappelle Olivia Gazalé en évoquant les raisons du culte du corps par les Grecs : “Le corps est le reflet de l’âme”. Avec leur physionomie de sportif, ils ne peuvent qu’être moralement bons. Habitués des films d’action, ils sont convaincants car leur valeur est prouvée par leurs rôles précédents, souvent en tête d’affiche. Connu pour ses rôles comiques, Will Smith est agent secret dans Men in Black (Barry Sonnenfeld, 1997), super-héros dans Hancock (Peter Berg, 2008) et rien moins que le célèbre boxeur Mohamed Ali dans Ali (Michael Mann, 2001). Leader né, Brad Pitt est le valeureux guerrier Achille dans Troie (Wolfgang Petersen, 2004) et le chef des Basterds, Aldo Raine, dans Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009). Même dans Fight Club (David Fincher, 1999), il prouve qu’il est physiquement fort par la violence des combats du fight club de Tyler Durden. Et qui d’autre que le culturiste Schwarzenegger pour incarner le cliché du mâle viril musclé – à part peut-être Jean-Claude Van Damme ou Sylvester Stallone ?. Hercule à New York (Arthur Allan Seidelman, 1969), Conan le barbare (John Milius, 1982), Terminator (James Cameron, 1984), les titres de sa filmographie en disent long. Un peu différent de ces modèles, dans 28 jours plus tard (Danny Boyle, 2002), Frank (Brendan Gleeson) a aussi une carrure impressionnante, en particulier lors de sa première apparition dans la cage d’escalier en tenue de CRS-exterminateur de zombies, incarnant à merveille le défenseur, même s’il n’est pas aussi herculéen que les pères précédents.
28 jours plus tard, Maggie, World War Z : des pères qui en imposent
En sus de sa force physique, compétent et intelligent, le Père sait faire face à la crise. C’est un homme d’action qui ne panique pas devant la situation du fait de sa force mentale mais aussi de ses compétences : il sait utiliser des armes voire en fabriquer et prend les bonnes décisions pour protéger les siens. Robert Neville (Will Smith) est habile au tir, tout comme Wade Vogel (Arnold Schwarzenegger) et Gerry Lane (Brad Pitt). Leur passé de militaire, supposé ou avéré, n’y est pas étranger. Dans World War Z, à peine l’épidémie commence-t-elle que Gerry prend la situation en main, guide sa famille jusqu’à un camping-car avant de quitter la ville pour finalement se réfugier dans un immeuble. Accueillis par une famille latino-américaine elle-même réfugiée, Gerry les conseille : “le mouvement, c’est la vie”. Il ne faut pas se terrer comme des proies effrayées mais se donner les moyens de (sur)vivre. Mais ses interlocuteurs, effrayés, rejettent sa parole. Organisant leur sortie salvatrice, il se fabrique une arme improvisée à l’aide d’un bâton et d’un couteau puis mène la fuite vers le toit. Dernier obstacle avant l’évacuation en hélicoptère, le sympathique père de famille qui les avait accueillis dans l’appartement, les attaque, zombifié. Les dires de Gerry se sont vérifiés, sa parole est validée : il faut agir. Plus tard, faisant une nouvelle fois preuve de sang-froid, il coupe la main d’une militaire mordue, sans la moindre hésitation. Et, même grièvement blessé, c’est lui qui guidera cette même jeune femme jusqu’aux bureaux de l’OMS afin de poursuivre son but : endiguer l’épidémie. Conscient de ses qualités et confiant, dans Je suis une légende, Robert Neville affirme également ses caractéristiques de “super papa” : à sa femme, il affirme “je ne laisserai pas ça arriver”, à sa fille “Papa va chasser tous les monstres” et à qui pourrait l’entendre à la radio “j’ai de la nourriture, j’ai un abris, je peux vous protéger”.
En sus de sa force physique, compétent et intelligent, le Père sait faire face à la crise. C’est un homme d’action qui ne panique pas devant la situation du fait de sa force mentale mais aussi de ses compétences : il sait utiliser des armes voire en fabriquer et prend les bonnes décisions pour protéger les siens. Robert Neville (Will Smith) est habile au tir, tout comme Wade Vogel (Arnold Schwarzenegger) et Gerry Lane (Brad Pitt). Leur passé de militaire, supposé ou avéré, n’y est pas étranger. Dans World War Z, à peine l’épidémie commence-t-elle que Gerry prend la situation en main, guide sa famille jusqu’à un camping-car avant de quitter la ville pour finalement se réfugier dans un immeuble. Accueillis par une famille latino-américaine elle-même réfugiée, Gerry les conseille : “le mouvement, c’est la vie”. Il ne faut pas se terrer comme des proies effrayées mais se donner les moyens de (sur)vivre. Mais ses interlocuteurs, effrayés, rejettent sa parole. Organisant leur sortie salvatrice, il se fabrique une arme improvisée à l’aide d’un bâton et d’un couteau puis mène la fuite vers le toit. Dernier obstacle avant l’évacuation en hélicoptère, le sympathique père de famille qui les avait accueillis dans l’appartement, les attaque, zombifié. Les dires de Gerry se sont vérifiés, sa parole est validée : il faut agir. Plus tard, faisant une nouvelle fois preuve de sang-froid, il coupe la main d’une militaire mordue, sans la moindre hésitation. Et, même grièvement blessé, c’est lui qui guidera cette même jeune femme jusqu’aux bureaux de l’OMS afin de poursuivre son but : endiguer l’épidémie. Conscient de ses qualités et confiant, dans Je suis une légende, Robert Neville affirme également ses caractéristiques de “super papa” : à sa femme, il affirme “je ne laisserai pas ça arriver”, à sa fille “Papa va chasser tous les monstres” et à qui pourrait l’entendre à la radio “j’ai de la nourriture, j’ai un abris, je peux vous protéger”.
World War Z : Gerry, père à tout faire, il répare les humains et fabrique des armes
Par ailleurs, chacun de ces pères entretient des rapports privilégiés avec le pouvoir. Ils ont tous travaillés à des postes à responsabilité. Dans Je suis une légende, Robert Neville fut docteur et colonel, à la fois médecin et militaire. Maggie suggère que Wade Vogel a été policier, ce qui lui permet, grâce à ses contacts, de récupérer sa fille auprès du centre hospitalier quand bien même celle-ci devrait partir en quarantaine ou, les huit semaines de sursis écoulées, de se voir accorder un nouveau délai par un ami policier. World War Z est l’exemple le plus marquant de ce lien du Père avec les autorités : Gerry Lane est un ancien militaire de l’ONU. À peine l’épidémie est-elle déclarée qu’un certain Thierry, secrétaire général de l’ONU, le contacte : “J’ai besoin que tu reviennes” (“I need you back”). Peu de temps après, les forces armées viennent le chercher avec sa famille en hélicoptère pour les amener sur le navire militaire de la croisière Dream, dernier lieu sûr – du moins sur le territoire américain. Alors que cet endroit n’est destiné qu’aux personnes essentielles – les militaires et scientifiques -, Thierry accepte d’y garder femme et filles Lane pour que Gerry reprenne du service : il est le seul à pouvoir mener à bien cette mission. Là encore, le spectateur obtient une preuve de la compétence et de la force du personnage.
2. Père dévoué : la famille, c’est tout pour lui
Dès les premières images, le père-héros a une famille épanouie qui le rend heureux. Après un générique exposant images du monde et discours médiatique, World War Z s’ouvre sur Gerry Lane, sa merveilleuse femme, Karin, et ses adorables petites filles, Connie et Rachel. Dans leur superbe maison entourée de nature, c’est une matinée habituelle pour la petite famille : les deux enfants sautent joyeusement sur le lit conjugal, riant aux éclats avec leurs parents, baignés dans la lumière dorée du soleil. S’ensuit une discussion très sérieuse, autour de pancakes confectionnés par Papa, sur les cadeaux de Noël à venir : un chiot devient nécessaire pour compléter le tableau de la perfection.
World War Z : La famille heureuse dans toute sa splendeur
Dans Maggie, pour Wade, la seule personne à réellement compter, c’est sa fille (le titre éponyme le prouve), et sa femme décédée, la mère de cette dernière. Elles représentent la véritable famille face à la famille recomposée – Wade s’est remarié et a eu deux enfants. Les quelques flashbacks liés à son souvenir sont toujours filmés en gros plans fugaces et très lumineux, à l’inverse du reste de la photographie, particulièrement sombre. Ce sont des images qui, du fait de la mort et de la pureté qu’elles évoquent, semblent presque divines. Avec de telles images, le paradis familial – même passé – est suffisamment beau et convaincant pour être sauvé – et donc justifier la motivation du héros.
Maggie : sublimation lumineuse du passé, réalité sombre au présent
C’est toujours la figure paternelle qui comprend l’importance de la famille pour survivre à l’Apocalypse et le danger qu’elle encourt. Dans Cargo, Rosie n’est qu’un bébé que Vic, un fou de la gâchette énervé de voir ses plans échouer, utilise sans sourciller pour forcer son père à participer à ses sombres trafics : “Faut seulement t’inquiéter pour ta gamine.” Dans World War Z, la famille, bien que centrale dans l’action du héros, est toujours en retrait. Les filles de Gerry sont à la fois menacées par les zombies mais aussi par l’ONU qui ne les garde en lieu sûr que du fait de l’investissement de leur père. À deux reprises, Gerry voit sa benjamine effrayée et réagit au quart de tour. C’est d’ailleurs son seul cauchemar visible à l’écran : une séquence de gros plans sur un zombie haletant suivi de la fillette hurlant depuis le caddie dans lequel elle est assise. La peur de Gerry, c’est la menace qui plane sur les siens. Lorsque la tension monte entre Gerry et les médecins de l’OMS, il apprend que sa famille a été renvoyée sur le continent, sans aucune protection, du fait de sa disparition. Furieux contre l’ONU qui a failli à sa promesse, il retourne sa colère et sa peur contre l’un des docteurs : “Vous ne pouvez pas comprendre, vous n’avez pas de famille”. Traduction : sans ce bien précieux, l’homme n’est rien et ne peut comprendre ce que ressent un père en deuil. La réponse du médecin le surprend : “J’ai perdu ma femme et mon fils à Rome. Vous, vous avez encore de l’espoir.” Dans Je suis une légende (Francis Lawrence, 2007), la famille est essentielle à la survie du héros davantage qu’il n’est essentiel à leur survie. Le Dr. Robert Neville se raccroche à sa famille, qu’il a évacuée de New York lorsque Manhattan a été mis en quarantaine, à travers ses souvenirs présentés sous forme de flashbacks, le domicile familial qu’il n’a pas quitté ainsi que son chien, Samantha. L’animal est le relai de l’enfant perdue : femelle, comme les deux êtres aimés, laissée à son père par la petite fille au moment des adieux, elle n’était alors qu’un chiot. Le personnage l’a donc vu grandir à la place de sa fille. En plus de porter un prénom humain, la chienne est aussi l’interlocutrice de conversations habituellement réservées aux membres de la famille, telle l’argumentation sur l’assiette de légumes (la gamelle) boudée : “tu mangeras tes légumes même si on doit y passer la nuit”, “Te plains pas, t’avais qu’à manger tes légumes”, “on fait un marché, tu auras double ration de légumes demain”. Dans 28 jours plus tard, c’est Frank, en accueillant Selena et Jim dans son quotidien, qui prouve à la jeune femme, désabusée et individualiste, ce qu’est une famille. Son héritage est tel que, une fois celui-ci décédé, c’est Selena qui deviendra la figure parentale de Hannah. À l’origine de cet éveil de Selena, il y a une scène anodine durant laquelle les héros, lors d’une brève accalmie, observent un groupe de chevaux galoper librement dans un pré. Outre la liberté véhiculée par cette apparition sublimée par une musique aux sonorités célestes, Frank souligne leur vision par ces mots : “On dirait une famille” puis leur lance un baiser. La famille, pour lui, c’est l’union, l’espoir et la liberté, qu’elle soit biologique ou non.
28 jours plus tard : « On dirait une famille »
Le coeur de cette famille, c’est l’enfant. Il se trouve que dans chacun des cas précédemment exposés, les plus jeunes sont d’autant plus en situation de faiblesse que leur sort dépend de l’adulte. Ce sont presque toujours des relations père-fille qui sont illustrées dans les films de zombies. Les pères sont particulièrement affectueux : ils ont toujours un petit mot gentil, un surnom mignon ou un geste rassurant pour leurs filles. L’absence de la mère presque récurrente permet aussi ce recentrement sur la relation filiale. Bien qu’elle soit toujours en vie, la femme du héros est beaucoup moins mise en avant que ses filles dans World War Z. Alors qu’il embrasse sa femme pour un dernier au revoir avant son départ en mission, Gerry prend le temps de parler à son aînée : “mon bébé, Papa doit aller travailler”, “je ne suis pas un bébé”, “d’accord, ma grande et belle petite adulte”. Cet échange, bien que bref, souligne une relation de proximité entre le père et sa fille. De même, lors de leur retrouvailles finales, ses filles lui sautent dans les bras. Et, alors que sa femme peine à calmer Connie qui fait une crise d’asthme lors de la fuite de New York, Gerry prend la relève pour la soutenir et la rassurer. Bien que cela ne soit jamais littéralement dit, le film véhicule l’idée que ses enfants l’adorent et l’admirent. Dans Maggie, c’est Wade que sa fille contacte pour venir la secourir alors qu’elle a été infectée. Et quand bien même elle a fugué – c’est d’ailleurs cette brève rupture avec la cellule familiale qui est la cause de sa perte – et qu’une animosité pourrait exister, leurs retrouvailles à l’hôpital sont particulièrement émouvantes. Le film clame en permanence l’idée que Wade et Maggie ont un lien spécial. Après la mort de sa femme, Wade s’est remarié et a eu une fille, Molly, et un garçon, Bobby. Mais alors que tous les trois sont blonds, Maggie et son père sont bruns. Ils ne cessent d’ailleurs de s’éloigner des autres en s’isolant ou en invoquant le souvenir de la mère – “tu tiens énormément de ta mère” déclare Wade. À eux deux, ils sont un îlot. Nul besoin des autres tant qu’ils sont ensemble. Après le retour de Maggie à la maison, sa belle-mère, son frère et sa soeur sont à ses côtés, bien qu’un peu fuyants. Mais bientôt, les enfants sont envoyés en lieu sûr. Et la femme suivra après une dispute avec son mari due à l’imminence de la transformation. Le père fait le vide autour de lui : seule Maggie compte. Les jugements extérieurs n’ont aucune prise qu’ils viennent de la famille, des amis ou des autorités. Wade va jusqu’à se battre à main nue avec un policier voulant emmener Maggie en quarantaine pour rester dans le déni. Son combat n’est pas de sauver un enfant menacé par un zombie ou d’éliminer le virus : il veut rester aux côtés de sa fille et la maintenir en vie, quand bien même elle aurait perdu toute humanité. Il l’atteste par ces mots : “reste avec moi”. Alors que tous peuvent partir, elle doit rester. C’est sa vie sociale et son éthique qu’il sacrifie pour elle. Une autre relation père-fille est formée par Frank et Hannah dans 28 jours plus tard. Depuis combien de temps sont-ils un duo ? Rien ne nous le dit. À croire qu’ils ont toujours été ainsi. Frank est prêt à tout pour sauver sa fille et ce n’est d’ailleurs que pour cette raison qu’il décide d’affronter le monde extérieur dans l’espoir d’une salvation.
Cargo, 28 jours plus tard, Maggie, World War Z :
Des pères aimants et proches de leurs filles
En période de crise, l’adoption devient récurrente et la famille s’agrandit. C’est un nouveau moyen de recréer une stabilité. Dans World War Z, Wade et sa femme adoptent le jeune garçon latino-américain dont les parents ont été zombifiés peu de temps après le début de l’épidémie. De même, dans Cargo, suivant le leitmotiv édicté par sa femme “nous devons penser à Rosie” (“we have to think about Rosie”), Andy adopte la jeune aborigène alors même que sa propre situation est désespérée. Pourtant, c’est en faisant ce choix avisé qu’il trouve une famille de substitution pour le bébé. Thoomi est d’emblée son double inversé : alors que lui protège sa fille, elle protège son père zombifié. Progressivement, les deux figures paternelles se rapprochent à mesure que le mal atteint Andy mais aussi qu’il se rapproche et protège la jeune fille. Après l’ultime attaque de Vic, elle est blessée et, même à bout de force, Andy la motive en lui demandant de lui apprendre les noms de la famille en langue aborigène : “apprends moi comment dire papa, fille, ami.” Même à travers les mots et malgré la mort, il persiste à recréer la famille. Le Père trouve du sens dans le monde détruit grâce à la famille.
Pendant l’épidémie, la famille s’agrandit dans World War Z et Cargo
Dans Je suis une légende, le Dr. Neville n’a pu sauver ni sa famille ni New York et il ne pourra pas sauver son chien. Sans ce dernier lien, le héros ne peut plus exister et prépare une opération kamikaze. Il ne survit qu’en trouvant une nouvelle famille. Celle-ci apparaît en sauveuse providentielle : Anna, la jeune femme qui a rejoint New York après avoir entendu son appel radio, apparaît auréolée de lumière au moment d’extraire le héros prêt à mourir de sa voiture (et assurera avoir été envoyée par des signes divins). C’est ensuite l’enfant qui le fait sortir de ses retranchements : alors que celui-ci regarde le dessin animé Shrek, Will Smith récite le dialogue de l’ogre et de l’Âne, en même temps que ceux-ci le prononcent à l’écran. L’échange entre les deux personnages permet au héros d’annoncer de manière indirecte, grâce à l’enfant, qu’il accepte cette nouvelle famille :
SHREK : Dis-moi, pourquoi t’irais pas célébrer ta liberté avec des amis à toi ?
L’ÂNE : Mais… moi, j’ai pas d’amis. Et j’vais pas aller tout seul risquer ma peau d’âne ! Hé, attends une minute, j’ai une super idée : je reste avec toi !
Le Dr. Neville peut alors reprendre sa place de papa compétent, admirable et admiré. Le petit Ethan endormi, c’est lui qui le prend dans ses bras pour le coucher dans le lit de sa fille. On découvre alors dans la bouche d’Anna qu’il n’est pas n’importe qui, mais “LE Robert Neville” (quelle que soit la raison qui fait de lui quelqu’un de célèbre). Lorsqu’une horde de zombies pénètre dans la maison, c’est à son tour de sauver la mère et l’enfant, coincés dans la chambre à coucher. C’est également la famille qui sauve les zombies : grâce à un souvenir de sa fille, le héros comprend qu’ils ne sont pas venus l’attaquer par plaisir mais pour récupérer une des leurs (femme ou fille de leur chef) qu’il avait capturée pour ses expérimentations. Il n’a alors plus de raison de rester seul à New York : comme son idole Bob Marley, qu’il cite plus tôt dans le film, le remède (à la zombification, à la solitude, au deuil), c’est “d’injecter de (…) l’amour dans la vie des gens (…) [pour] éclairer les ténèbres”.
Tous ces personnages sont des pères aimants, présents et proches de leurs enfants qui, même s’ils répondent aux injonctions du modèle viril traditionnel, soulignent un croisement entre le pater familias fort, insensible et distant et le papa attentionné, doux et présent. L’enfant est le dernier lien à l’humanité et à soi pour le Père. Sans lui, il n’y aurait plus que la mort face à cette survie rendue impossible. Même si le monde change, la famille reste et doit rester car c’est le dernier espoir. Pour cette raison, le Père tente de conserver le modèle familial en pleine apocalypse, même si cela doit lui coûter la vie.
3. Père sacrifié : sauver l’Autre au péril de sa vie
Le Père se bat sans hésiter pour sa famille, preuve de sa positivité et de son mérite. Comme le dit Olivia Gazalé, “rien n’est plus authentiquement mâle que de se battre (voire de commander une armée), de vaincre l’ennemi, de pénétrer et soumettre son territoire, le summum de la virilité étant la “belle mort” : la mort au combat” [3]. Elle rappelle aussi deux preuves du virilisme des jeunes Romains, et donc de virilité : le courage martial et l’esprit de sacrifice [4]. Ainsi, l’Homme, et par là le Père, ne craint pas la mort du moment qu’elle s’inscrit dans une lutte – même désespérée – et un but. Il faut sauver son héritage, sa lignée, son nom. Cette lutte peut être à la fois physique – combattre l’ennemi – et mentale – s’opposer à soi et à ses instincts pour penser à l’autre.
Dans cette lutte contre la fatalité, le temps est précieux car il est compté. L’épidémie avance rapidement mais surtout des contraintes supplémentaires sont imposées au héros. Dans Cargo, Andy est condamné : sa femme zombifiée l’a mordu et il a 48 heures avant de se transformer à son tour et de devenir une menace pour sa fille. La montre autour de son poignet est là en rappel de cette sentence. Dans Maggie, c’est la jeune femme qui n’a que huit semaines avant que le virus ne l’atteigne complètement. Et Gerry, dans World War Z, doit accomplir sa mission au plus vite car la survie de sa famille – momentanément protégée par l’ONU – dépend de sa réussite.
Afin d’offrir à leurs enfants un peu de joie dans un monde détruit, les pères vont jusqu’à faire du quotidien un simulacre festif. Dans Cargo, Andy interpelle une famille sur la rive – un papa, une maman et leurs deux enfants blonds. Ils organisent un goûter d’anniversaire à grand renfort de nappes, gâteaux et chapeaux pointus. La scène semble hors du temps étant donné l’épidémie en cours – pas encore visuellement confirmée. Plus tard, le spectateur comprend qu’il s’agit d’une simple mise en scène des parents pour épargner la réalité à leurs enfants et leur accorder un dernier instant de bonheur avant le suicide collectif. Par le jeu et l’altération de la réalité, le père protège ici ses enfants. Moins tragiquement, dans 28 jours plus tard, Jim et Selena découvrent que l’appartement dans lequel se cachent Frank et Hannah est joyeusement décoré, guirlandes lumineuses multicolores à l’appui. En recréant un univers festif et anodin, le père maintient l’illusion de normalité en pleine apocalypse.
Simulacres festifs dans 28 jours plus tard et Cargo
Même lorsque la situation semble désespérée, le Père n’abandonne pas. Dès le début de Cargo, Andy est le seul adulte et donc le seul décisionnaire. Observant sa montre égrener les dernières minutes de son humanité, il met en place un stratagème pour assurer la survie de Rosie après la disparition de sa conscience. Aveuglé par le virus, il fabrique un appât (une charogne au bout d’un bâton) qu’il fixe devant lui puis se menotte et bloque ses dents avec un appareil. Ainsi rendu inoffensif, il devient le porteur de Rosie et Thoomi tel une mule derrière sa carotte. De cette manière, il réussit inconsciemment à ramener les deux enfants auprès de la famille de Thoomi qui adoptera Rosie. Même après sa mort spirituelle, il poursuit son but. Même privé de son humanité, il reste père. Son but accompli, il peut enfin mourir, abattu par le Grand Sage.
Le père-zombie et les deux enfants dans Cargo
Dans Dernier train pour Busan (부산행, Yeon Sang Ho, 2016), les deux pères, le futur père, Sang Hwa, et le héros, Seok Woo, sont des figures sacrificielles : c’est dans un sacrifice protecteur que tous deux meurent pour sauver les autres passagers et, surtout, leur famille. Leur motivation est soulignée par les flashbacks qui accompagnent la zombification du héros : c’est souriant qu’il pense à la naissance de sa fille, qu’il vient de protéger. Même mort, il continue d’être une figure protectrice : Soo An et la femme enceinte qui l’accompagne sont sauvées de la mort par la chanson destinée au père, que la petite fille entonne dans un tunnel et qui permet aux militaires qui les tiennent en joue de les distinguer des zombies.
Dernier train pour Busan : C’est souriant, repensant à la naissance de sa fille, que Seok Woo accueille le sacrifice
Gerry, dans World War Z, se met également en danger pour sa famille – et pour le monde. Seule solution pour affronter les zombies : s’injecter un virus – différent de celui à l’origine de l’épidémie. Le zombie ne mange pas de viande malade. Du moins, c’est une hypothèse. Au péril de sa vie, il n’hésite pas à s’injecter un pathogène pour vérifier sa théorie. Il trouve ainsi un vaccin qui sert de camouflage face aux morts, désormais totalement désintéressés des humains. Par son sacrifice – qui ne le condamne pas -, il sauve l’humanité qui peut à présent prendre les armes. La dernière image de World War Z fait aussi écho à sa scène d’ouverture : Gerry retrouve enfin sa famille et serre dans ses bras sa femme et ses désormais trois enfants, la voix du père résonnant en voix off : “Notre guerre ne fait que commencer”. Bien que la guerre contre les zombies ne soit pas finie, la boucle est bouclée car la famille est enfin réunie. Le film ayant atteint son but narratif, il peut enfin se finir. Être un bon père, c’est tout faire pour sauver l’être aimé et pour cela il faut parfois sauver le monde.
Les hommes prennent les armes et Gerry retrouve les siens dans World War Z
II – L’échec du père
1. Quand la menace zombie vient de la famille
Pourtant, dans certains films de zombies, la menace vient en premier lieu de la famille, y compris du père. Dans Le Jour des morts (Day of the Dead, Steve Miner, 2008), les premières victimes sont attaquées par leur fils (l’ami du héros) et par leur père (sa petite-amie). L’invasion met ainsi en scène la peur du prochain, qui devient Autre en trahissant la confiance qui a été placée en lui. Lorsque la mère-zombie est attirée par la voix de son fils, retransmise à la radio en un message de détresse, la fille l’abat : ce n’était plus leur mère. C’est également un fils méconnaissable qui réapparaît zombifié dans Le Mort-Vivant de Bob Clark (Dead of Night / Deathdream, 1974). Là encore, l’existence du zombie ne serait rien sans la famille. C’est invoqué par les pleurs de sa mère, qui refuse d’accepter son décès, qu’il revient d’entre les morts. Son retour fait voler en éclat la famille idyllique, stéréotypique et traditionnelle, avec son patriarche en bout de table, une mère surprotectrice qui doit être raisonnée et deux enfants – un garçon et une fille – appréciés de leurs pairs. La rupture entre les générations est annoncée visuellement dès les retrouvailles, à la faveur d’un plan d’extérieur, la famille divisée par les surcadrages des fenêtres, Anton et sa soeur d’un côté, le père et la mère de l’autre. Les parents auparavant unis (le père protégeant sa femme, la cajolant), se disputent et s’opposent à ce retour.
Le Mort-Vivant : la famille, séparée par le surcadrage
En 2007, dans 28 semaines plus tard (28 Weeks Later) de Juan Carlos Fresnadillo, le père n’est plus le héros mais l’antagoniste de ses enfants et de leurs protecteurs. Le film présente un père défaillant, Don, qui abandonne sa femme aux zombies pour sauver sa peau et ment à ses enfants. L’oeuvre insiste sur le caractère négatif de ses choix en les redoublant : non seulement le père abandonne sa femme mais aussi son ami, qui l’attendait dans son bateau à moteur. Après qu’il a raconté son histoire, le fils lui demande confirmation : “T’as rien pu faire du tout ?”. Il répond, affirmatif, en utilisant la même formulation : “J’ai rien pu faire du tout”. Comme une punition, un signe de sa décadence morale, c’est par lui qu’arrive l’invasion. Après qu’une première vague de zombies a été éradiquée, la mère est retrouvée vivante, contaminée mais non transformée (elle est immunisée). Au moment des retrouvailles entre mari et femme, elle mord le père qui l’embrasse, le transformant ainsi en zombie, propageant de nouveau l’épidémie. Si la mère initie ce geste destructeur, le père est désigné comme premier responsable par un contrechamp sur le regard de la mère, qui renvoie à un autre plan – d’ailleurs rappelé en flash-back, pour bien insister – lors de la fuite de Don. Un contrechamp qui semble accusateur au regard que le spectateur a des circonstances de la transformation. La mère est alors dévorée par son mari : le couple père-mère est devenu un couple auto-destructeur. À travers l’épidémie de zombies, c’est bien des défaillances de la famille que le film traite, en particulier celles du père, dont le contre-modèle est confirmé par l’infection. Dans son ouvrage Le Mythe de la virilité – un piège pour les deux sexes, Olivia Gazalé explique en effet que “le véritable contre-modèle de l’homme viril” est “le “sauvage”, cette créature brutale et sale, mi-animale, mi-démoniaque, qui ne connaît ni Dieu, ni loi, ni honneur, ni civilité.”[5] La zombification du père est hautement symbolique et vient signifier ses péchés, tout comme le motif de l’oeil et du regard mis en exergue par le film. Le plan du regard de la mère, au moment de son abandon, revient à plusieurs reprises et semble hanter le père qui, une fois transformé, en plus de la mordre, crève les yeux de sa femme. Ce geste et ces flashbacks semblent signifier que, davantage que la lâcheté, c’est la culpabilité – dont la mère est témoin – qui ronge le père et la cellule familiale. Ainsi, l’anthropophagie en serait une métaphore, parfaitement illustrée par cette expression française, “rongé par la culpabilité”, mais également par son équivalent anglais, “eaten up with guilt” (le verbe “to eat” signifiant “manger”, “eaten up” “dévoré”).
28 semaines plus tard : Hanté par le regard de sa femme, Don lui crève les yeux
2. Le père défaillant
Même quand il est encore humain, le père brille parfois par son absence. Dans The Odd Family : Zombie on sale (Lee Min-Jae, 2019), le père de famille, Man Deok, qui a découvert le pouvoir de la morsure de zombie – sorte de potion de jeunesse -, s’enfuit à Hawaï dès que son petit commerce florissant a suffisamment renfloué les caisses. Il laisse ainsi sans prévenir – une simple carte – ses deux fils, sa fille et sa belle-fille enceinte. Bien que l’invasion n’ait pas commencé, son acte fait de lui un père absent et inutile – jusqu’à son retour providentiel. Le héros de Dernier train pour Busan, gestionnaire de fonds en bourse, divorcé, passe davantage de temps au travail qu’avec sa fille, qu’il ne connaît pas vraiment. Ainsi, après avoir manqué une audition de chant à l’école, il lui offre un cadeau d’anniversaire “populaire chez les enfants”, suggéré par un collègue et qu’elle a déjà. Les traits moraux du personnage sont esquissés à travers les dialogues et quelques gestes : son inspection de sa voiture rutilante alors qu’il est au téléphone indique son manque d’écoute et son attachement aux biens matériels (tout comme le cadeau d’anniversaire, une console de jeu vidéo, alors que la petite fille préfèrerait qu’il l’accompagne à Busan, où réside sa mère) et le dialogue avec un subordonné qui souligne les risques liés à un investissement, son amoralité. Sa fille comme son ex-femme insistent sur ses parjures (son excuse ? le travail) : “tu as déjà rompu tes promesses”, “je ne te crois plus”, “tu ne tiens jamais tes promesses”, “tiens tes promesses pour une fois”. Ses principes sont exposés par lui-même sous forme de leçons à sa fille : “quand tu commences quelque chose, il faut toujours aller jusqu’au bout” et “tu n’avais pas à faire ça, être gentille. Dans un moment pareil, ne t’occupe que de toi”. La précarité du lien filial est soulignée par des contrechamp sur le visage de Soo Ann, impassible (boudeuse ?) quand il lui souhaite joyeux anniversaire, lançant un regard caméra – qui semble accusateur – dans la vidéo de l’audition que le père a manqué et qu’il regarde après coup. La relation esquissée avec la mère est tout autre : dans les deux premières scènes avec son père, Soo An est d’abord au téléphone avec sa mère, à qui elle se confie, avant de raccrocher pour écouter son père, davantage que lui parler.
Dernier train pour Busan : réaction de Soo An à la réception de son cadeau d’anniversaire
Dernier train pour Busan : regard caméra de Soo An
Dernier train pour Busan : communications (téléphoniques) avec la mère
À ce papa déficient, le film propose, en miroir, le personnage du businessman, dirigeant d’une compagnie de transports terrestres, et qui présente les défaillances du personnage principal, exacerbées. Une image de ce que celui-ci pourrait devenir s’il les embrassait tout entières. Lorsque le père, Seok Woo, ferme la porte du wagon à Sang Hwa et sa femme enceinte poursuivis par des zombies (ce qui lui vaudra une altercation et des reproches tout au long du film), c’est après que le businessman se soit écrié “Fermez la porte !”, coupant court à ses hésitations. C’est d’ailleurs inspiré par cet homme, qui appelle une de ses connaissances pour obtenir des renseignements, que le père apprend la mise en quarantaine qui les attend, information qu’il ne partage pas avec les autres passagers, ce qui lui obtiendra de se faire traiter d’égoïste par sa fille. Tout au long du film, le businessman adopte des comportements individualistes, montant les passagers les uns contre les autres, risquant leur vie pour se protéger, les livrant même aux zombies dans ce but. Il est clairement le personnage négatif du film : alors qu’il dit agir en parfaite raison pour protéger les passagers – en réalité lui-même -, c’est toujours ses actions qui entraînent de nouvelles morts. C’est parce qu’il refuse d’ouvrir aux personnages principaux que Sang Hwa doit retenir les zombies, se faisant mordre au passage : il est désigné responsable – par le père de Soo An et par le scénario – de la mort de ce personnage. Lorsqu’il sacrifie le contrôleur du train pour se sauver, laissant la porte ouverte, il permet à tous les zombies de s’échapper. C’est également lui – transformé en zombie – qui contamine Seok Woo et provoque sa mort. C’est lui la menace, à qui le père annonce “vous êtes contaminé”.
Dernier train pour Busan : « Fermez la porte ! »
Par ailleurs, dès que le Père baisse les bras, il se met en danger. Toute marque de faiblesse, qu’il s’agisse d’abandon de la lutte ou de déni total, est synonyme de mort. C’est pour cette raison que leur comportement est souvent irréprochable : la moindre erreur peut entraîner la mort. Dans Cargo, en refusant d’assumer sa responsabilité et de tuer l’être aimé pour le bien de Rosie – la mère est devenue un danger pour elle -, Andy se condamne – il se fait mordre – et condamne ainsi son enfant. Parallèle assez évident dans Maggie, Wade se met en danger en niant l’état de sa fille. Alors que sa transformation est parachevée, le père reste seul avec elle et fait semblant de dormir dans sa chaise. Bien que fusil à la main, il n’est toujours pas résolu à passer à l’acte. Sa posture assise et figée évoque déjà la mort. La nouvelle zombie s’approche et le renifle comme un prédateur. La mise en scène souligne la menace qu’elle représente par des gros plans sur sa peau veinée, une musique stridente et une insistance sur son souffle haletant. Elle finit par l’embrasser sur le front, l’épargnant avant de perdre toute humanité, puis disparaît, se sacrifiant elle-même car son père est incapable de le faire. Cette fois-ci, le danger n’était pas tout à fait réel mais la négligence du père aurait pu le tuer. D’autant qu’avec la mort de Maggie, il reste seul. Prêt à mourir dévoré par sa fille, c’est finalement la disparition de cette dernière qui est la triste récompense de Wade.
Dans 28 jours plus tard, la petite troupe arrive enfin au camp militaire d’où a été émis l’appel qui promettait accueil et protection face à la menace zombie. Les lieux sont déserts. Désespéré, Frank, le père, s’énerve – “Faut foutre le camp ? Foutre le camp, où ça ?” – puis s’isole dans un hangar et laisse libre cours à son désespoir. La rupture et la détresse ressenties sont symbolisées par de nombreux surcadrages du personnage et un décor dense et oppressant : Frank est littéralement enfermé et divisé. Apercevant un corbeau moqueur perché sur un cadavre empalé, il frappe sur la tôle pour l’effrayer. Son geste provoque la chute d’une goutte de sang qui atterrit directement dans son oeil. En ne maîtrisant plus ses émotions, le Père est condamné à mort. Peu de temps après, il dit adieu à Hannah, contraint de la rejeter – “ne t’approche pas de moi !”. Il est à présent un danger et est abattu par les militaires. Cette mort a un arrière-goût âcre car c’est par son meurtre que les supposés sauveurs se révèlent. Quelques minutes de contrôle supplémentaires auraient sûrement suffi à sauver toute la famille – pour un temps. Finalement, c’est la perte d’espoir qui mène à la pire des punitions.
28 jours plus tard : la mort de Frank précipitée par sa colère
Il est aussi intéressant de noter que, dans Cargo, lors des moments de faiblesse du père-héros, un adjuvant surgit toujours pour lui redonner espoir et l’empêcher d’en finir. Lors de sa première tentative de suicide, il est interrompu par Lorraine, la femme kidnappée par Vic, qui lui rappelle qu’elle et Rosie ont besoin de son aide. La seconde fois, alors qu’il vient d’être témoin du suicide de la joyeuse famille en pleine fête d’anniversaire, les babillements de Rosie et l’arrivée de Thoomi l’interrompent : “Tu as besoin de nous ?”. “Oui, je suis trop faible pour y arriver.” Andy ne peut pas abandonner aussi facilement car il a des responsabilités : la famille le rappelle à l’ordre. Après la transformation de la mère et lors des tentatives de suicide d’Andy, les plans répétés sur Rosie, seule, attendant par terre, accentuent la nécessité que le père reste en vie. Par ailleurs, alors qu’il est un père présent dès le début du film – il lui lit des comptines, lui fait des bisous -, le premier et seul mot de Rosie est “Maman”. Ce n’est qu’après l’avoir protégée de mille dangers qu’elle le désigne de “Papa”, telle une validation de son nouveau statut, complément et remplaçant de l’être manquant : la mère.
Cargo : deux tentatives de suicide interrompues
3. L’échec du père, symbole de l’échec d’un pays ?
À travers des personnages construits en miroir, parfois inversé, Dernier train pour Busan propose un discours sur la paternité et la citoyenneté, qu’il lie étroitement. Être un mauvais père c’est d’abord être indifférent et égoïste, défauts qui n’impactent pas seulement la relation filiale mais aussi le comportement envers le groupe. La mort du père peut donc revêtir une dimension symbolique. C’est le cas dans Le Mort-Vivant, où le genre est prétexte à la métaphore : à travers cette histoire de revenant, Bob Clark évoque la guerre du Vietnam et le bouleversement qu’elle a créé. Le comportement étrange du fils (mutique, se balançant sans arrêt sur son fauteuil à bascule, soudainement violent) fait écho au syndrome de stress post-traumatique dont de nombreux vétérans furent victimes. Les parents se tiennent mutuellement responsables des traumatismes de leur fils : le père, ancien soldat, l’a incité à prendre son exemple, la mère, surprotectrice, l’a poussé à fuir le domicile familial. Face au comportement inhabituel du jeune homme, le père est le seul lucide : il est le premier agacé et le premier suspicieux. Si sa femme l’accuse d’être insensible, sa relation avec son chien – qu’il câline, dont il pleure ensuite la mort – est là pour prouver le contraire. Le père sert de miroir au fils : lui aussi est sensible, lui aussi a fait la guerre, mais celle-ci ne l’a pas autant changé, remarque-t-il. Et pourtant, tout a basculé. Le père, c’est l’Amérique d’avant, le patriarche protecteur et sûr de lui. Le fils, c’est l’Amérique de la Guerre du Vietnam, dont le suicide du père vient entériner les illusions perdues.
III – Pères de substitution et réhabilitation
1. Remplacer le père
À ces pères déficients, les films de zombies offrent toutefois des contre-modèles, archétypes de substitution. Aux deux parents de 28 semaines plus tard, le film propose en contrepoint les deux militaires qui prennent en charge les enfants, Scarlet et Doyle. La caporale est visuellement rapprochée de la mère par un plan d’extérieur, dans lequel elles se tiennent derrière une vitre (fenêtre contre laquelle frappait la mère lors de la première invasion, vitre du terminal de l’aéroport par lequel les enfants arrivent et où attend Scarlet). En outre, sa réaction face aux enfants, qu’elle prend sous son aile et protège au prix de sa vie, est en miroir de celle de la mère qui, au début du film, avait recueilli un enfant malgré la méfiance de son mari. Doyle offre une figure traditionnelle de père, en se posant immédiatement comme modèle rassurant. Lorsqu’ils doivent traverser les rues infestées de zombies et mitraillées par l’Armée, il dit aux deux enfants : “vous allez faire tout ce que je fais, ne regardez que moi”. En outre, en venant recouvrir l’image du père dans le cadre – vision succincte du fils -, il est visuellement placé comme un nouveau père pour les enfants. Plus tard, son sacrifice apparaît comme une image inversée de la lâcheté du père biologique.
28 semaines plus tard : la mère et Scarlett visuellement rapprochées par la mise en scène
28 semaines plus tard : Doyle recouvre – remplace – le père à l’écran
Dans Dernier train pour Busan, le second personnage-miroir est le personnage du futur père, Sang Hwa : bientôt parent, complice de sa femme enceinte, un peu bourru, pendant coréen du Frank de 28 jours plus tard, il est l’image du bon père. Lorsque Seok Woo prend un chemin de traverse sans informer les autres passagers et que les zombies déferlent, c’est Sang Hwa qui sauve Soo An, son père – symboliquement – trop loin pour arriver à temps. C’est également lui qui réussit à joindre la petite fille au téléphone alors que le père biologique n’y parvient pas. Altruiste et courageux, en opposition avec le héros au début de l’invasion, il tient la porte ouverte à ce dernier alors qu’il est poursuivi par les zombies. En outre, il est musclé, “fort”, caractéristique stéréotypique de la virilité et de la figure du père héroïque. Lorsqu’il s’apprête à traverser plusieurs wagons de zombies, il est en tête du trio composé de lui-même, du joueur de baseball et du père de Soo An, arborant un tee-shirt moulant qui met en valeur sa carrure. C’est à mains nues, à coups de poing, qu’il retient les zombies, même une fois sa transformation entamée.
Dernier train pour Busan : Sang Hwa, parangon de la force brute, même zombifié
Dernier train pour Busan : Sang Hwa sauve Soo An
Dernier train pour Busan : Sang Hwa attend que tous les passagers encore vivants le rejoignent avant de fermer la porte
Dans Retour à Zombieland (Ruben Fleischer, 2019), le personnage de Tallahassee, incarné par Woody Harrelson, s’affirme comme figure paternelle quand bien même il n’entretient aucun lien biologique avec l’adolescente Little Rock (Abigail Breslin) ni avec leurs deux autres comparses, Wichita (Emma Stone) et Columbus (Jesse Eisenberg). Il fait écho aux pères parfaits : courageux, musclé, tête brûlée, il sait manier les armes et survivre dans ce monde post-apocalyptique. Il incarne le cliché du Texan, avide de grosses voitures – gag récurrent dans le second opus – et de sensations fortes. Dans l’espoir de remettre un peu de magie dans le quotidien de Little Rock, il organise une fête de Noël, lui-même déguisé en Père Noël, mais elle rejette son idée, déçue d’avoir un énième pistolet en cadeau.
Bienvenue à Zombieland / Retour à Zombieland : Tallahassee, père bad ass, père Noël
En sus de ces qualités nécessaires aux pères dans les films de zombies, l’inscription de Tallahassee dans ce rôle n’est pas un hasard – et la voix off de Columbus ne cesse de répéter qu’il est le père. Dans Bienvenue à Zombieland, c’était lui l’élément le plus fort et le plus âgé du groupe et surtout, la perte de son fils Buck, évoquée à deux reprises dans une vision fantasmée et lumineuse similaire de celles de l’ouverture de World War Z, le pousse à vouloir un “nouveau chez-soi” (“For me home was a puppy named Buck”, “I’m looking for a new home”), à recréer la cellule familiale. L’évocation de ce souvenir douloureux au manoir de Bill Murray est d’ailleurs son seul moment d’émotion lorsqu’il déclare, les yeux embués : “J’ai perdu la tête quand il est né. C’était mon portrait craché. Il avait ma personnalité, mon rire, mon appétit”. Tallahassee est un papa dans l’âme.
Bienvenue à Zombieland : Tallahassee, père en deuil
Retour à Zombieland se concentre sur la relation père/fille entre Tallahassee et Little Rock et surtout sur la situation particulière de la crise d’adolescence. Dans Bienvenue à Zombieland, une complicité évidente s’est créée entre eux par de longues discussions sur la route. Elle est la fierté de son père de substitution quand, lors de son premier cours de tir à ses côtés, elle réussit l’exercice à la perfection. Mais dans le second opus, le duo est brisé par le départ de Little Rock pour un camp hippie en compagnie de la parfaite antithèse de Tallahassee : un musicien pacifiste de Berkeley. Le choc de cette rupture est tel qu’il réagit très violemment, confirmant le cliché du père inquiet condamnant le choix de compagnon de sa fille : “elle sort avec un musicien ?!”. Après avoir refusé les propositions de chasse aux zombies faites par Tallahassee les semaines précédentes, Little Rock marque le rejet définitif du père et la destruction du modèle familial par cet acte – Tallahassee quitte le groupe quand il réalise que la jeune fille a trouvé sa place parmi les hippies. Ce n’est qu’après l’affrontement final opposant une nouvelle fois les héros aux anthropophages que la réconciliation a lieu : Little Rock les sauve en utilisant le pistolet offert par Tallahassee à Noël (elle l’avait gardé malgré l’interdiction des armes chez les hippies). La cellule familiale est recréée et les héros sont enfin chez eux, ensemble.
2. Changer le père : l’invasion zombie, une occasion de se racheter
En réalité, pour devenir à son tour un “super papa”, Seok Woo, dans Dernier train pour Busan, ne doit pas devenir l’image archétypale de la virilité. Sang Hwa représente la force brute, la complicité un peu bourrue et même le passé – ne sachant se servir de son portable. Le père gestionnaire de fonds apporte la modernité et l’intellect à leur duo. C’est l’alliance de ces deux personnages, de ces deux aspects du père et de la société coréenne, qui fait leur force. Elle est mise en avant dans plusieurs scènes et leurs permet de survivre. Alors que le futur père tente de verrouiller la porte du wagon, c’est le père de Soo An qui remarque que les zombies ne savent pas actionner le mécanisme d’ouverture. Alors que le premier a l’idée de prendre gourdin et bouclier, le second calcule le temps de répit que leur offrent les tunnels (car les zombies ne peuvent voir dans le noir) et suggère de traverser un wagon en utilisant les portes-bagages. Dans la gare envahie de zombies, Seok Woo permet à son compagnon d’infortune de monter dans le train en marche, lui tendant la main alors que celui-ci court vers lui, et est à son tour protégé, Sang Hwa abattant un zombie qui s’apprêtait à l’attaquer.
Dernier train pour Busan : alliance des deux pères
Dans Dernier train pour Busan, la scène de la mort de Sang Hwa est une scène de bascule pour Seok Woo. Celui-ci s’excuse enfin, alors qu’il avait auparavant refusé de le faire, et adopte la réaction de son alter ego, face au businessman : il le frappe et s’écrie “On aurait pu les sauver ! Pourquoi ?”. La rupture avec ce personnage est consommée et soulignée par les champ-contrechamps sur le visage en pleurs de Soo An et celui du businessman. Le père en devenir a également fourni un modèle de sacrifice : le père ne se sacrifie pas pour sa famille en travaillant sans cesse sans jamais jouer avec son enfant, comme il le suggère avec ironie plus tôt, mais pour protéger sa famille. Plus tard, face à une autre horde de zombies, le héros laissera passer les autres personnages avant lui, au contraire de son nouvel antagoniste, le businessman. C’est également dans un sacrifice protecteur qu’il meurt – un sacrifice nécessaire pour se racheter. La morsure par le businessman, ce miroir devenu repoussoir, rappelle un passé qui ne peut être entièrement lavé que par la mort de Seok Woo. La chanson que Soo An entonne à la toute fin du film achève de réhabiliter le père, enfin “présent” : alors qu’elle n’avait pu la terminer lors de son audition, parce qu’elle ne le voyait pas, explique-t-elle, maintenant qu’il s’est distingué dans un sacrifice qu’elle peut comprendre, elle en est capable.
Dernier train pour Busan : le visage en pleurs de Soo An, alors que le businessman maintient la porte fermée, souligne la rupture avec le personnage ainsi que son insensibilité
Dernier train pour Busan : bascule de Seok Woo entre la première scène de la porte fermée (il avait fermé la porte à Sang Hwa et sa femme enceinte) et la deuxième (Seok Woo était du côté des pourchassés, le businessman refusait de leur ouvrir la porte)
3. L’importance de la nouvelle génération
Tout comme dans Pandémie, que nous avons étudié dans notre dossier précédent, si le lien parental est moteur de l’action, c’est que l’enfant est le seul espoir de l’humanité. Il représente la possibilité d’un monde préservé des zombies et, puisque ceux-ci ont une portée symbolique, des défaillances de ceux qui les ont précédés. Un nouveau départ. Dans Dernier train pour Busan, le père n’aurait pu être positivement influencé par son alter ego sans sa fille : c’est après qu’elle déclare “je la connais” (en parlant de la femme enceinte, qu’elle a croisé aux toilettes) que son père ouvre la porte aux deux personnages pourchassés par les zombies. La petite fille est posée comme le lien qui ramène le personnage du père à un comportement altruiste. Elle est celle qui voit et comprend ses dérèglements, qui en a pleinement conscience, comme le révèle une conversation avec le futur père : quand celui-ci apprend que le héros est gestionnaire de fonds, il déclare : “Ce sont des sangsues. Ils lessivent les gens.” Il ne lui apprend rien, la petite fille répond calmement : “C’est bon, tout le monde le pense”. La petite fille est la première à comprendre ce qu’il se passe – premier témoin de l’attaque des zombies sur les quais, qu’elle voit à travers la fenêtre -, première et seule à formuler les choses : “je crois qu’il y a des zombies qui se cachent ici”. Imperméables à sa sensibilité, le père dort quand elle se retourne vers lui et le businessman lui répond “il n’y a pas de zombies de nos jours”. C’est également elle qui rappelle à son père ses liens familiaux, en dressant un parallèle entre sa grand-mère et la femme âgée à qui elle a cédé sa place, lorsque son père lui en fait le reproche.
Dernier train pour Busan : « Je la connais ! »
Dernier train pour Busan : Soo An, première témoin de l’invasion
Tout comme leur mère avant eux, les enfants de 28 semaines plus tard sont témoins des défaillances paternelles (la violence du zombie). La fête foraine abandonnée dans laquelle ils se réfugient un temps est le signe de leur innocence perdue. Tout comme sa mère, et au contraire des créatures, le fils possède des yeux vairons qui semblent l’immuniser contre le virus. Son immunité ainsi que ses yeux injectés de sang mais toujours humains, preuves de sa contamination, symboliseraient alors la “survie” des enfants à ce dont ils ont été témoin : les défaillances et violences paternelles. Lorsque leurs parents de substitution finissent par mourir à leur tour, les enfants se retrouvent seuls. Également présentés en miroir du couple père-mère, le frère et la soeur se font le serment suivant : “Maintenant, on ne doit plus se quitter, on restera ensemble quoiqu’il arrive”. Le courage du fils est souligné par le scénario, lors d’une scène où, alors que Doyle tente de rassurer et convaincre un homme de traverser la rue infestée et menacée par les tirs, l’enfant s’élance. C’est alors qu’il voit son père, qui disparaît au plan suivant : cet acte l’a symboliquement placé en miroir inversé de la figure paternelle. Au moment de la dernière attaque du père (fin du film), le montage fusionne la mère et la fille : à un plan où cette dernière s’écrie “Don !” succède un plan de la mère criant de même dans la première scène. Mais contrairement à la mère, la fille est capable de tuer le père. Geste symbolique s’il en est.
28 semaines plus tard : le courage de Andy s’oppose à la lâcheté du père
28 semaines plus tard : parallèle entre la mère et la fille, par le montage
Au final, si Scarlet et Doyle sont de véritables parangons de parents et si la mère est réhabilitée par le gène protecteur qu’elle transmet à son fils, 28 semaines plus tard signe la rupture entre parents et enfants. Les enfants sont seuls – “il n’y a que nous”, annonce la soeur au pilote d’hélicoptère qui les attend au stade -, seuls à pouvoir se sauver, seuls à pouvoir être sauvés. Tout au long du film, ils sont visuellement et symboliquement séparés des adultes par des surfaces vitrées, non seulement des deux figures féminines mais également du père (dans le laboratoire) et de Doyle (vu par le pare-brise arrière avant de mourir). Ils rejouent l’histoire parentale (le frère infecté) pour la modifier (la fille parvient à tuer le père, ils ne se séparent pas). Le film place ses espoirs et met en valeur la génération suivante davantage que les figures parentales pour racheter l’humanité. Dans une certaine mesure, Cargo fait de même. Tous les adultes précédemment croisés sont soit morts, soit infectés. En sauvant ses filles Rosie et Thoomi, Andy redonne de la force à la lutte contre l’invasion zombie que mènent les aborigènes. Les deux enfants sont les seuls jeunes de la nouvelle famille et donc figures d’espoir. Le film se clôt sur des images heureuses de communion, rappelant les plans de familles heureuses précédemment évoqués.
28 semaines plus tard : les enfants sont visuellement séparés des adultes, à la faveur de surcadrages et de surfaces vitrées
Cargo : une nouvelle famille pour Rosie
IV – Les films de Papas en pleine Apocalypse zombie qui valent vraiment la peine (par ordre alphabétique)
Temps de lecture : 2 minutes
28 jours plus tard – Danny Boyle (2002) – disponible sur Youtube et Google Play
Jim se réveille après un long coma dans un Londres désert. Un virus a infecté le pays : les hommes, transformés, sont désormais des créatures anthropophages. Dans ce monde en déclin, le jeune homme tente de survivre avec ses compagnons de fortune.
Classique du film de zombies contemporain, 28 jours plus tard vaut toujours le détour. Les infectés sont particulièrement convaincants. Malgré l’urgence, il prend le temps de faire un beau portrait de famille en pleine Apocalypse. Et il y a aussi de l’action ! Attendez donc de voir ce qui arrive aux héros…
28 semaines plus tard – Juan Carlos Fresnadillo (2007) – disponible sur Youtube et Google Play
En pleine invasion, Don abandonne sa femme aux zombies. Lorsque la menace et contenue et qu’il retrouve ses enfants, il leur cache les circonstances de la mort de leur mère. Mais celle-ci, immunisée, est toujours en vie. Au moment des retrouvailles, elle mord Don, déclenchant ainsi une deuxième vague.
Malgré son titre aguicheur, 28 semaines plus tard se démarque de l’intimiste 28 jours plus tard. Plus proche des standards hollywoodiens, parfois quasi-épileptique, il déplaiera à celles et ceux qui chercheront en lui la patte de Danny Boyle. Davantage que la lutte contre les infectés, c’est la parabole de la culpabilité du père et l’exploration de la relation parentale qui fait l’intérêt de ce nouvel opus.
Bienvenue à Zombieland – Ruben Fleischer (2009) – disponible sur Netflix
La majorité des Américains sont désormais des zombies. Sur ce territoire où il ne fait pas forcément bon vivre, Columbus, jeune homme un peu froussard, fait en sorte de survivre. Dans sa recherche d’un nouveau chez-soi, il va rencontrer un énergumène Texan qui va mettre du piment dans sa vie.
Sous des abords de blockbuster pas forcément très fin, Bienvenue à Zombieland détrompe son spectateur en lui offrant une comédie énergique, joyeuse et drôle. La voix off et les règles de survie de Columbus donnent beaucoup de charme et d’humour à la recette. Mais ce qui fait tout, ce sont ses personnages hauts en couleurs, attachants et intéressants ! Un vrai feel-good movie avec des zombies.
Dernier train pour Busan – Yeon Sang-ho (2016) – disponible sur Netflix
Coincés à bord d’un train en direction de Busan, les passagers tentent de trouver une gare épargnée et de survivre.
Porté par un rythme maîtrisé, un huis clos bien trop familier pour laisser indifférent et une invasion mettant en exergue les travers humains, malgré quelques moments téléphonés, Dernier train pour Busan est l’un des meilleurs films de la décennie 2010 et sans conteste l’un des meilleurs films de zombies.
Le Mort-Vivant – Bob Clark (1974) – disponible sur FilmoTV
Pourtant déclaré mort au combat, le soldat Anton rejoint le domicile familial. Le bonheur des retrouvailles est de courte durée : son comportement est trop étrange pour être ignoré. Serait-il lié à un meurtre qui a eu lieu non loin de là ?
Davantage que la réalisation, vieillotte malgré quelques moments de grâce (jeux d’ombres et son grinçant du fauteuil à bascule), c’est le scénario du Mort-Vivant qui marque. Métaphore des séquelles laissées par la guerre du Vietnam, il évoque non seulement le syndrome de stress post-traumatique mais également le deuil – de la personne que le fils fut, de la famille parfaite, de l’être aimé mort au combat. La scène finale, troublante et bouleversante, parachève cette oeuvre trop souvent oubliée.
Johanna Benoist et Manon Koken
28 jours plus tard (28 days later)
Réalisé par Danny Boyle
Avec Cillian Murphy, Naomie Harris, Megan Burns, Brendan Gleeson
Science-fiction, Horreur, Grande-Bretagne, 1h52, 2002
28 semaines plus tard (28 weeks later)
Réalisé par Juan Carlos Fresnadillo
Avec Robert Carlyle, Rose Byrne, Harold Perrineau
Science-fiction, Horreur, Grande-Bretagne, Espagne, 1h31, 2007
Bienvenue à Zombieland (Zombieland)
Réalisé par Ruben Fleischer
Avec Woody Harrelson, Jesse Eisenberg, Emma Stone, Abigail Breslin
Comédie, Horreur, Etats-Unis, 1h28, 2009
Cargo
Réalisé par Ben Howling et Yolanda Ramke
Avec Martin Freeman, Anthony Hayes, Caren Pistorius
Horreur, Australie, 1h45, 2018
Dernier train pour Busan (Busanhaeng)
Réalisé par Yeon Sang-ho
Avec Gong Yoo, Yumi Jung, Ma Dong-seok
Horreur, Corée du Sud, 1h58, 2016
Je suis une légende (I Am Legend)
Réalisé par Francis Lawrence
Avec Will Smith, Alice Braga, Charlie Tahan
Science-fiction, Etats-Unis, 1h40, 2007
Le Jour des Morts (Day of the Dead)
Réalisé par Steve Miner
Avec Mena Suvari, Nick Cannon, Michael Welch
Horreur, Etats-Unis, 1h26, 2012
Maggie
Réalisé par Henry Hobson
Avec Arnold Schwarzenegger, Abigail Breslin, Joely Richardson
Horreur, Drame, Italie, France, 1h37, 2015
Le Mort-vivant (Dead of Night)
Réalisé par Bob Clark
Avec John Marley, Lynn Carlin, Richard Backus
Horreur, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, 1h28, 1974
The Odd Family : Zombie on Sale (Gimyohan Gajok)
Réalisé par Lee Min-Jae
Avec Jung Jae-young, Kim Nam-Gil, Uhm Ji-Won
Horreur, Comédie, Corée du Sud, 1h52, 2019
Retour à Zombieland (Zombieland : Double Tap)
Réalisé par Ruben Fleischer
Avec Woody Harrelson, Jesse Eisenberg, Emma Stone, Abigail Breslin
Comédie, Horreur, Etats-Unis, 1h39, 2019
World War Z
Réalisé par Marc Forster
Avec Brad Pitt, Mireille Enos, Elyes Gabel
Science-fiction, Horreur, Etats-Unis, 1h56, 2013
Sources
[1] Ivan Jablonka, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Ed. Seuil, 2019, p. 98
[2] Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité – Un piège pour les deux sexes, Paris, Robert Laffont, 2017, p.250
[3] Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité – Un piège pour les deux sexes, Paris, Robert Laffont, 2017, p.274
[4] Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité – Un piège pour les deux sexes, Paris, Robert Laffont, 2017, p.260
[5] Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité – Un piège pour les deux sexes, Paris, Robert Laffont, 2017, p.300
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