Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?
/!\ Cet article peut contenir des spoilers. /!\
Temps de lecture : 7 minutes
“J’ai toujours rêvé de dire ça !” est une phrase-motif chargée de références. Si l’on rêve de dire une phrase ou de faire une action c’est qu’elle a déjà eu lieu ailleurs. Ailleurs, ici, c’est l’image, les histoires, et tous leurs avatars : la phrase rêvée et enfin prononcée est ancrée dans la culture populaire et bien souvent cinéphile. Les répliques “Suivez cette voiture”, “Abracadabra” (Charmed), “Arrêtez ces hommes !” (The Mask, Chuck Russell, 1994) deviennent polysémiques : elles renvoient non seulement à leur sens littéral mais également au genre qui les contient (l’action, le fantastique ou le policier). Avec ce genre de citation, nous sommes tout à fait dans ce que Laurent Jullier identifie comme le style postmoderne au cinéma : des images renvoyant “à d’autres images, lesquelles souvent renvoient déjà à des images”, avec une “dimension ludique, dite du “recognize and enjoy”, évidente quand nous prenons plaisir à reconnaître les allusions, citations et pastiches qu’il intègre”, un clin d’oeil au spectateur leur confirmant qu’ils sont “capables de jouir d’une histoire « comme avant », avec des bons, des méchants, des dragons et des princesses à délivrer, sans pour autant tout gober au point d’oublier qu’ils sont devant des images”.* Les films de Quentin Tarantino sont par exemple indéniablement des films postmodernes. Ces dernières années, nombreux sont également les films de super-héros à multiplier les références et les citations : Kick-Ass (Matthew Vaughn, 2010), Deadpool (Tim Miller, 2016) et, de manière plus subtile, tout le MCU, Marvel Cinematic Universe.
C’est sans surprise que l’on retrouve ce motif dans les comédies. Barney l’utilise dans un épisode de How I met your mother (2005 – 2014) pour s’autociter. À ses conquêtes, il dit après l’amour : “you don’t have to come home, but you can’t stay here”. Une réplique qu’il prononce également quand il doit demander aux clients de quitter le Maclaren’s bar – le QG de sa troupe d’amis – pour des raisons de sécurité. Mais il provoque le rire en ajoutant le lieu – “I always wanted to say that in a bar” – et en renvoyant ainsi aux occurrences précédentes et à leur caractère répétitif. Si la phrase semblait a priori appropriée, elle devient tout d’un coup inadéquate. Dans Sphere (Barry Levinson, 1998), quand le Docteur Harry Adams crie “We come in peace” en entrant dans un vaisseau, il renvoie là à l’imagerie de l’invasion, du film de science-fiction, mais également de celui de l’aventurier. En ajoutant la phrase “J’ai toujours rêvé de dire cela”, il l’inscrit dans ces nombreux genres et fait appel aux souvenirs des spectateurs habitués. Comme le dit Laurent Jullier dans son article « Des nouvelles du style postmoderne », pour le spectateur c’est prendre “plaisir à reconnaître les allusions, citations et pastiches qu’il (aka le film) intègre”.*
La phrase tant rêvée n’est pas toujours une citation. Dans Harry Potter et les reliques de la mort : Partie 2 (David Yates, 2011), la professeure McGonagall invoque un sortilège puissant pour combattre Voldemort. La situation est désespérée et le danger grand, pourtant elle retrouve un visage d’enfant quand elle dit à Molly Weasley qu’elle a toujours rêvé d’utiliser ce sort. Ici, la phrase ne renvoie pas à un cliché du cinéma, mais à un désir de sorcière. C’est également un moyen scénaristique, la gradation rompue, qui permet d’atténuer le sentiment de danger par un procédé comique. Elle est utilisée dans les autres épisodes de la saga, mais également, par exemple, dans l’univers Marvel ou dans l’épouvante-horreur.
Cette phrase peut ainsi porter plusieurs significations, dans ce défi, nous analysons des scènes de Les Cent et une nuits de Simon Cinéma d’Agnès Varda et Kick-Ass de Matthew Vaughn.
Et n’oubliez pas de voter à la fin de l’article pour le prochain défi !
* Laurent Jullier, « Des nouvelles du style postmoderne », Positif n°605-606, juil.-août 2011.
Les Cent et une nuits de Simon Cinéma, Agnès Varda, 1995
Simon Cinéma est vieux, taquin et perd un peu la mémoire — ou est-ce un jeu ? Acteur, producteur, réalisateur, il est un peu tout et vit aujourd’hui dans une maison-musée dédiée au cinéma. Il engage Camille, une jeune doctorante en cinéma pour parler avec elle de films. Le petit ami de Camille, surnommé Mica, souhaite quant à lui devenir réalisateur. Camille monte un plan pour récupérer la fortune de Mr Cinéma et ainsi permettre à Mica de faire son premier court-métrage.
En 1995, Agnès Varda réalise un film-hommage. Cela fait plus de quarante ans qu’elle sillonne les plateaux de cinéma et qu’elle réalise des films. Avec un casting impressionnant — Michel Piccoli en Mr Cinéma, Marcello Mastroianni en ami italien, mais également des apparitions comme Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Sandrine Bonnaire, Robert de Niro, Alain Delon, Anouk Aimée —, elle met en scène une multitude de petites saynètes, à la fois pour le goût du pastiche et de l’hommage. Elle offre à son fils, Mathieu Demy, d’incarner l’avenir du cinéma. Il est passionné de films et rêve de dire « Action ». Elle crée ainsi un parallèle astucieux et tendre entre le passé et le futur.
Le film est coupé en quatre épisodes qui reviennent sur des thèmes chers au monde du cinéma. La scène très courte arrive juste après la conclusion du chapitre trois : Mr Cinéma vient de léguer tout son argent à l’actrice Liz Taylor. Le plan de Camille a donc échoué et Mica n’aura pas l’héritage pour réaliser des films. Pourtant, cela ne l’empêche pas de célébrer le début de son tournage au champagne quand s’ouvre l’épisode quatre. Introduit par un jeune garçon roux qui annonce les thèmes à venir, le chapitre parle du cinéma et de ses mythes : « le champ, les stars, les festivals, Hollywood, la fortune et le centenaire du cinéma ».
Nous voyons donc la petite troupe attablée autour de Mica faire un simulacre de scène de tournage. Alors qu’il dit « Moteur » un ami lui répond tout sourire « Ça tourne pour le son », il prend une respiration et dit « Action ». C’est une répétition générale. C’est la magie du cinéma qui opère avant l’heure. Et quand il dit « J’en rêve de dire Action » juste après, il fait référence à tous ceux qui l’ont dit avant lui, mais également à son impatience.
La phrase n’est pas de l’ordre du cliché, mais du désir. Le rêve du jeune homme, apprenti cinéaste, de rejoindre le panthéon des grands réalisateurs, du cinéma. Le mythe mentionné dans le nom de l’épisode est aussi une illusion. Ouvrir le champagne, c’est chic. C’est glamour. Cela fait partie du star-system. Trinquer à une future réussite est également illusoire — qui dit que le tournage se passera bien ? Pourtant Mica est en train de réaliser un rêve et c’est cela aussi que dit cette courte séquence : que le plus important est de se lancer et de passer du rêve à l’action.
Marine Moutot
Les Cent et une nuits de Simon Cinéma
Réalisé par Agnès Varda
Avec Michel Piccoli, Julie Gayet, Marcello Mastroianni
Comédie, France, Angleterre, 1h41, 1995
Ciné Tamaris
Kick-Ass, Matthew Vaughn, 2010
Dave Lizewski, fan de comics, décide de devenir super-héros. Naïf mais plein de bonne volonté, il endosse le costume de Kick-Ass. Sujet de toutes les attentions après une vidéo devenue virale, il se retrouve entraîné malgré lui dans l’univers violent de Big Daddy et de Hit Girl, justiciers masqués livrant une vendetta contre le baron de la drogue Frank D’Amico.
Kick-Ass est un film post-moderne par excellence, bourré de clins d’oeil et de références : difficile de l’apprécier à sa juste valeur quand on ne connaît pas l’univers des super-héros qu’il pastiche et parodie tout à la fois. Rejeton de la pop-culture américaine, il est abordable par tout un chacun, mais infiniment plus appréciable pour les adeptes du genre.
Lors de l’affrontement final entre Hit Girl et le gang D’Amico, un des malfrats s’arme d’un bazooka et s’exclame : “J’ai toujours voulu dire ça : dis bonjour à mon p’tit copain !” Il s’agit d’une référence à une réplique culte de Tony Montana, dans le Scarface de Brian De Palma (1983). Outre la réplique, la situation est similaire : le personnage principal, Hit Girl dans Kick-Ass, Tony Montana dans Scarface, est retranché dans une pièce que tentent de pénétrer ses ennemis. Pour le spectateur averti, cela pourrait présager la mort de Hit Girl, comme Tony dans Scarface.
Tony Montana assailli par ses ennemis dans Scarface / Hit Girl dans Kick-Ass
Toutefois, la réplique du gangster redistribue les cartes et retourne les rôles avec humour : cette phrase, c’est normalement Tony Montana qui la crie, avant de tirer sur ses adversaires. En plus d’annoncer l’échec du malfrat, elle transforme l’homme en simulacre. Il n’est pas un bandit, il joue au bandit, il ne fait qu’imiter des figures célèbres et fictives. Le ridicule de ses acolytes est également souligné par le scénario et le jeu des acteurs. Le costume de Tony est trop grand pour eux : effrayé par une petite fille seule, dont l’arme est déchargée, chacun cherche une excuse pour envoyer un autre en éclaireur, trois d’entre eux s’alliant même pour menacer leur collègue et le pousser au devant du danger. Les répliques servent également de ressort comique. « Tout est sous contrôle », déclare l’homme de main en s’armant d’un bazooka : le contraste entre le geste désespéré et la réplique assurée en fait un imposteur comique. La question “un bazooka ?”, dans la bouche d’un gangster puis de Hit Girl, comme un écho, souligne l’incongruité de l’escalade, aveu d’impuissance. On est loin de la bravade de Tony Montana. De même, si un parallèle est dressé entre le chef, Frank D’Amico, et le célèbre italo-américain – comme lui retranché dans un beau bureau, tentant de protéger son empire -, D’Amico n’est qu’un lâche, caché derrière le mobilier, qui envoie ses sous-fifres affronter la justicière.
Les hommes de main de Frank D’Amico n’osent pas affronter Hit Girl
Tony Montana / Frank D’Amico et son fils
Quelque soit le personnage, la frontière est floue entre jeu et réalité, y compris chez les héros : Hit Girl est une petite fille, Dave Lizewski un adolescent qui décide de devenir super-héros par amour des comics mais surtout pour impressionner une fille, Big Daddy ressemble à Batman et Frank D’Amico laisse son fils adolescent élaborer un plan et se déguiser à son tour.
Les personnages costumés de Kick-Ass semblent jouer aux super-héros
Mais alors, qui est Tony Montana dans cet extrait ? La référence explicite soulève la question et permet de maintenir le suspense quant à qui sortira vainqueur de l’affrontement. C’est aussi l’intérêt du jeu référentiel : reconnaître non seulement la reprise mais aussi les écarts. À sa façon, chacun est Tony : dans ce jeu du mafieux et du super, chacun pense être le héros et joue son rôle en conséquence. Chacun son tour est d’ailleurs mis en parallèle avec le célèbre italo-américain.
Tony Montana et ses répliques
Cependant, un personnage se démarque des autres. Point culminant du jeu de miroirs, Kick-Ass surprend ses adversaires par le hors-champ – l’extérieur de l’immeuble – et adopte une expression similaire à celle d’Al Pacino pour mitrailler ses ennemis. De tous ces apprentis Tony Montana, il est le seul qui parvient à tirer et à toucher ses adversaires. L’arrivée en volant, si elle est typique des films de super-héros, surtout chez Superman, est soulignée par les “hallelujah” de l’”American Trilogy” de Elvis Presley. Le Deus ex machina est littéral. Hybride de super-héros et de gangster, Kick-Ass devient à la fois Dieu et monstre. La mitraille à travers les baies vitrées de l’appartement permet de mettre en avant le statut d’image de la scène, grâce aux multiples surcadrages. Avec les vitres brisées, c’est l’image, le simulacre et le jeu qui volent en éclat, autant du côté des hommes de D’Amico – qui meurent – que de Dave. Son évolution est achevée : ses illusions enterrées, il embrasse à son tour la violence. Le parallèle avec Tony Montana, le malfrat, et l’attirail militaire qui remplace les super-pouvoirs sont clairs : ce n’est pas un super-héros. Aucun héros dans cette scène, ce sont tous des hors-la-loi. “An American Trilogy”, qui rassemble en réalité trois chants populaires – l’air confédéré “Dixie”, le gospel “All My Trials” et le chant Yankee “The Battle Hymn of the Republic” -, évoque toute la violence de l’Amérique et de ses divisions fondatrices, en particulier pour le spectateur américain qui en saisit les références. On peut également y voir un ultime signe de la post-modernité du film : Kick-Ass nous offre un ultime clin d’oeil – la mort du King alors dépendant aux barbituriques renvoyant à Tony Montana devenu accro à la cocaïne qu’il trafique, lui-même renvoyant au baron de la drogue Frank D’Amico -, un collage de collage, de la pop dans la pop, un pur spectacle, dont le statut est rappelé par le caractère jouissif du Hallelujah et du ralenti ainsi que par les surcadrages et les applaudissements qui concluent le morceau.
La fusillade dans Kick-Ass
Johanna Benoist
Kick-Ass
Réalisé par Matthew Vaughn
Avec Aaron Taylor-Johnson, Nicolas Cage, Chloë Grace Moretz
Action, Drame, États-Unis, 1h57, 2010
Metropolitan FilmExport
Retrouvez de nouvelles pépites le mardi 14 juillet 2020. Nous proposerons plusieurs bons films dans lesquels quelqu’un mange avec voracité.
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Nous avons beaucoup hésité à traiter l’extrait. Il aurait totalement mérité sa place. Mais finalement il aura eu le droit à la photo de couverture 😉
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