[CRITIQUE] 17 Blocks

Temps de lecture :  environ 4 minutes

Il n’est pas nécessaire de rappeler à quel point cette année 2020 est particulière pour notre société. La crise du coronavirus, qui a frappé le monde entier, a empêché un grand nombre d’événements culturels de se tenir. Le Champs-Élysées Film Festival a lieu depuis 9 ans sur l’une des plus belles avenues cinématographiques du monde et met à l’honneur des films indépendants américains et français. Pour la première fois, le festival se tient en ligne dans une version totalement gratuite et accessible au plus grand nombre.

Pour ce deuxième jour du festival, encore plein de belles surprises. À partir de 18h, ont été mis en ligne À l’abordage, quatrième film du cinéaste français Guillaume Brac (Tonnerre, 2014, L’Île au trésor, 2018), présenté en compétition long métrage français, et 17 Blocks de l’américain Davy Rothbart, présenté en compétition long métrage américain. À 18h également, le réalisateur anglais Stephen Frears a donné une masterclass qui est disponible sur le site du festival. Nous lui avions consacré un top en début de semaine. À 19h, un showcase de l’artiste Clara Ysé s’est déroulé – nous n’avons malheureusement pas pu y assister, mais le concert est disponible en replay. Une journée encore forte en émotions.


Critique

Vingt ans filmés par la famille afro-américaine Sanford et leur ami-cinéaste Davy Rothbart, à 17 pâtés de maison du siège du Congrès.

17 Blocks est une tragédie. Une séquence d’ouverture annonce, telle un chœur antique, le drame à venir. Une femme, l’air un peu hagard, frappe à la porte de la maison de son enfance. Les propriétaires l’invitent à entrer, affirmant en avoir entendu beaucoup de bien. C’est dans leur salon qu’elle fond en larme et qu’elle déclare être à l’origine d’une réaction en chaîne et d’un événement dramatique.

Après ce prologue, des images amateures, tournées en grande partie par Emmanuel, 9 ans, et sa famille. Avec ces images numériques et pixellisées, parfois bancales mais pleines de sens, ils nous invitent dans leur quotidien, celui d’une famille noire américaine dans un quartier pauvre de Washington. Là où l’on ne voit d’habitude que les images léchées des bâtiments officiels, apparaissent des déboires, de l’imparfait et surtout de l’intime.

Face à ces premières captations, nous nous interrogeons sur la place de chacun dans le trio filmeur-filmés-spectateurs. Hormis lorsque Emmanuel teste pour la première fois les fonctionnalités de son nouvel outil ou se confesse face caméra, nous ne savons jamais qui du réalisateur ou de la famille capte le réel. Le passage de relai est fluide et l’on s’étonne d’entendre des confessions aussi vraies et intimes. Sont-elles faites à l’ami, à l’enfant ou à la mère ? Le spectateur s’interroge beaucoup sur leurs rapports et leur proximité. Si c’est le réalisateur, quelle est sa relation aux Sanford pour obtenir de telles images, y compris celles du drame ? L’objet circule de mains en mains et le long-métrage commence presque comme un film de famille. Un peu gênées, nous nous sommes d’abord questionnées sur la pertinence de ces images. Le spectateur extérieur a-t-il vraiment sa place face à des scènes aussi personnelles ? Le voyeurisme a ses limites. Cependant, au contraire d’Être vivant et le savoir d’Alain Cavalier, le spectateur finit par trouver sa place. Nous oublions le drame pour nous attacher au personnage d’Emmanuel, celui-là même qui sera la victime : charmant boute-en-train, il est un peu casanier mais aime passer du temps avec les autres, il est motivé à mener une vie calme et fait ses études avec brio… Tout lui réussit malgré les difficultés : il est la fierté de la famille.

Après une présentation des enfants par une mère aimante, déjà, le tragique s’insinue. Quelque chose dans ce quotidien est fissuré. À mesure que l’on rencontre chacun de ses membres, on comprend les difficultés qui entachent ce tableau de famille subtil et complexe. La mère se drogue devant ses enfants et vit une relation violente avec son petit-ami. Le frère aîné est soucieux de ses cadets mais deale et consomme sous leurs yeux. Peu à peu, le tableau s’élargit et c’est à travers un drame soudain que le quartier est réellement introduit, tout d’abord par des entretiens télévisés puis par le retour du film de famille. Ici, les meurtres sont courants. Une scène touchante dans une imprimerie : les filles Sanford doivent choisir le graphisme d’un t-shirt en mémoire d’Emmanuel. Sur les murs, les déclarations d’amour et d’amitiés à d’autres victimes noires de gangs, de toxicomanes et de voleurs.

La grande réussite de 17 Blocks, c’est le choix des séquences : le montage nous dévoile graduellement les différents maillons d’une chaîne, celle évoquée dès la scène d’ouverture, qui remonte plus loin qu’on ne le pense. Le drame initial n’est en effet peut-être pas celui que l’on croit. Les choix de chacun, membre de la famille ou non, et les traumatismes qu’ils engendrent ricochent dans le temps et conditionnent le parcours des autres. Comment empêcher le passé de se reproduire quand il semble partout refaire surface ? C’est peut-être le travail de deuil et le désir d’offrir un avenir meilleur à la nouvelle génération qui finalement, ici, insufflent l’énergie nécessaire au changement. Peu à peu, malgré la culpabilité et les regrets, les membres de la famille se reprennent en main, pardonnent et vont de l’avant. “Je veux être un bon exemple”, déclare Smurf, l’aîné, père de deux garçons. C’est avec émotion que l’on observe le positif ressurgir et les efforts de chacun porter leurs fruits, malgré l’ombre du passé qui plane toujours sur la famille, en particulier le petit Justin, toujours comparé à Emmanuel et qui déclare : “il me reste 11 ans à vivre”.

Il est aussi intéressant de noter que le film n’évoque pas le racisme ou les bavures policières mais une violence, un trauma systémiques et insidieux, qui gangrènent tous les individus, tout le quartier, tout le pays, y compris les innocents. Témoignage plein de sens et d’actualité, 17 Blocks est un film sur l’héritage et la persévérance.

 

Ci-dessous, quelques mots du réalisateur sur sa collaboration avec la famille

Johanna Benoist et Manon Koken
Introduction de Marine Moutot

17 Blocks
Réalisé par Davy Rothbart
Documentaire, Etats-Unis, 1h35

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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