[CRITIQUE] La Nuit venue

Temps de lecture :  3 minutes

Le film a été découvert au Champs-Élysée Film Festival 2020 en ligne.

Jin est un chauffeur clandestin qui travaille pour le compte de la mafia chinoise pour payer ses dettes. Cela fait cinq ans qu’il traverse, toutes les nuits, les rues de Paris. Un soir, il reconduit chez elle Naomi, une call-girl qui aurait besoin de ses services.

La Nuit venue s’ouvre sur le visage de Jin. Il vient d’apprendre qu’il doit s’occuper d’un nouveau venu dans la filiale VTC que gère la mafia chinoise. Pour Jin, l’horizon sombre commence à s’éclaircir : il lui reste encore trois semaines à travailler au noir pour payer sa dette. Il pourra par la suite se consacrer à sa passion : la musique. Jin est un immigré chinois sans papier en France. Sa vie, il la passe derrière le volant de sa voiture à arpenter les rues de Paris. Épuisé, à bout de forces, il tient parce qu’il sait qu’un autre avenir est possible.
Pour son premier film, le cinéaste Frédéric Farrucci décide de traiter de l’univers des réseaux illégaux qui pullulent partout en France, mais également de la précarité d’énormément de personnes dans le pays. Si Jin est dans une situation peu enviable, la caméra n’hésite pas à montrer au spectateur les tentes et les situations invivables d’immigrés. La Nuit venue parle d’une France qu’on oublie, qu’on ne regarde plus, qu’on ignore. Le long-métrage explore aussi l’esclavagisme moderne : l’ubérisation de notre société. Ces hommes exploités par leur propre communauté arrivent en France où ils sont laissés dans la misère. Affaiblis, ils sont des proies faciles pour les filières du textile, de la prostitution ou de la restauration. Cela peut sembler ironique quand on sait qu’en chinois, la France 法国 (Fàguó) signifie « pays des droits ». Pourtant, ils n’en possèdent aucun. Leurs dettes sont opaques et leur marge de manœuvre réduite. Quand Jin annonce qu’il ne lui reste que quelques semaines à faire, un collègue le regarde surpris. Il ignore lui-même combien de temps il lui reste et à combien s’élève réellement sa dette. Il est dépendant du système qui le fait vivre. Jin est différent, il se démarque. Il ne peut pas se contenter de cette situation. 

Dans une première partie très dense, le film installe une ambiance sombre. La vie du personnage principal est rythmée par les sorties nocturnes et les clients qui défilent dans sa voiture. Des inconnus qui l’ignorent. Il fait partie d’un service que la société met à disposition. Il fait partie de la voiture qu’il conduit. Aurait-il eu plus d’attention s’il avait été machine ? On pense à Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976). Le visage froid et fermé de Jin qui observe les rues et les lumières de la ville renvoient à Travis Bickle et ses déambulations dans New York. Quand Jin raccompagne Naomi chez elle, elle est la première personne à réellement le regarder. La rencontre de ces deux solitudes possède un charme fou. Naomi illumine les journées de Jin. Il est d’ailleurs dommage que le récit ne soit pas également du côté de Naomi pour savoir ce qu’elle ressent. La tension et le désir entre les deux personnages sont intenses et palpables. C’est pour cette raison que la romance reste sur le fil du rasoir, par instants incroyablement puissante et à d’autres presque improbable ou trop rapide. Guang Huo qui interprète Jin est un acteur non professionnel et c’est également ce qui donne de la force au film, son aspect documentaire. Il possède le charisme nécessaire et un charme fou. Camélia Jordana qui joue Naomi, call-girl et stripteaseuse, est toute en sensualité et volupté. Elle parvient à rendre son personnage mystérieux et intrigant en peu de séquences. 

Le cinéaste met en scène Paris la nuit et capte quelque chose d’inédit. Alors que de nombreux films français exposent les déambulations de Parisiens en mal d’amour, La Nuit venue montre un pan de la population que nous ignorons. Il reprend les codes classiques du polar pour offrir l’effervescence d’une société sous tension. La mise en scène retranscrit la nuit et la sublime. De plus, la musique fait partie inhérente de l’œuvre : Jin est un musicien — ce qui permet également de sortir de l’image d’Épinal de l’immigré sans culture — et l’artiste français Rone compose la bande son, sublime. L’image et le son trouvent ainsi un équilibre parfait pour retranscrire le vécu et les émotions de Jin. Ainsi, malgré quelques maladresses dans la romance un peu trop rapide et le personnage féminin trop peu développé, La Nuit venue est un film abrupt qui réussit à transcrire notre sentiment d’impuissance face à une société du vide et de l’ignorance de l’autre.

Il est à découvrir à partir du 15 juillet sur grand écran.

Marine Moutot

La Nuit venue
Réalisé par Frédéric Farrucci
Avec Guang Huo, Camélia Jordana, Xun Liang
Drame, Thriller, France, 1h35
Jour2fête
En salles le 15 juillet

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

2 commentaires sur « [CRITIQUE] La Nuit venue »

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