Retour sur la 9e édition du Champs-Élysées Film Festival

Temps de lecture : 7 minutes

Il n’est pas nécessaire de rappeler à quel point cette année 2020 est particulière pour notre société. La crise du coronavirus, qui a frappé le monde entier, a empêché un grand nombre d’événements culturels de se tenir. Le Champs-Élysées Film Festival a lieu depuis 9 ans sur l’une des plus belles avenues cinématographiques du monde et met à l’honneur des films indépendants américains et français. Pour la première fois, le festival se tient en ligne dans une version totalement gratuite et accessible au plus grand nombre.

Et voilà, le festival Champs-Élysées Film Festival s’est fini hier soir avec la remise des prix par les différents jurys. À la suite de cela, Cookie Kunty a performé un show sensuel et voluptueux. Les spectateurs ont pu la découvrir également dans le court-métrage Beauty Boys de Florent Gouëlou.
Pour cette neuvième et première édition en ligne, les équipes du festival ont réalisé un travail titanesque — et en si peu de temps ! Ils ont su proposer des films de qualités tant dans les longs-métrages que dans les différentes catégories de courts-métrages. À travers les onze films sélectionnés, les spectateurs ont pu s’évader le temps d’une semaine. Le festival a débuté le mardi 9 juin à 20 h 30 avec le premier film de Zoé Wittock, Jumbo. Le CEFF a été victime de son succès, car un trop grand nombre de personnes se sont connectées pour pouvoir découvrir cette séance. Là encore, les équipes ont été réactives et le problème a été résolu en une quarantaine de minutes. Tout au long du festival, les spectateurs ont d’ailleurs pu entendre les cinéastes et parfois les acteurs et actrices s’exprimer autour des films dans de courtes vidéos mises à disposition sur le site. Cela ne remplace bien évidemment pas les présentations en salles, mais permettait un contact avec les artistes. De plus, les entendre s’exprimer et parler de la création de leur œuvre est toujours passionnant.
Le festival a su également proposer, tout au long de la semaine, divers contenus pour inviter les spectateurs à voyager autrement. Ainsi, la musique a été mise à l’honneur à travers une sélection de quatre courts-métrages : Quatorze ans de Barbara Carlotti, Jusqu’à l’os de Sébastien Betbeder, Re-education of the senses de Erinn E. Hagerty et Adam Savje et Rise de Barbara Wagner et Benjamin De Burca, ainsi que de nombreux showcases. Chaque jour, à 19 h, nous avons pu écouter : Barbara Carlotti, Clara Ysé, P.R2B, TheColorGrey et Lucie Autunes. Samedi pour combler le manque de sorties nocturnes, le festival a offert en live un DJ set de Barbara Butch.
De plus, deux masterclass autour de Stephen Frears et d’Edgar Wright ont été organisées par écrans interposés pour parler de cinéma et de la crise que nous traversons actuellement. Deux films d’Edgar Wright, Shaun of the dead et Hot Fuzz, en partenariat avec Universciné, étaient disponibles gratuitement aux 500 premiers utilisateurs, ce qui nous a permis de revoir ces deux films cultes.
Retour sur cette édition riche en émotions et forte de nombreux premiers films — preuve qu’une nouvelle génération arrive.  

Palmarès

Le jury long-métrage est composé de l’actrice et humoriste Camille Chamoux, de l’acteur William Lebghil, du réalisateur Sébastien Lifshitz, de l’actrice Elina Löwensohn et du réalisateur Sébastien Marnier. Il est présidé par la réalisatrice Mounia Meddour.

Prix du meilleur long-métrage français
ex æquo Grève ou crève de Jonathan Rescigno & Le Kiosque d’Alexandra Pianelli

Prix du meilleur long-métrage américain
17 Blocks de Davy Rothbart

Prix du meilleur cinéaste français
Camilo Restrepo pour son film Los Conductos

Prix du meilleur cinéaste américain
Bill & Turner Ross pour leur film Bloody Nose, Empty Pockets

Le jury court-métrage est composé du comédien et danseur Djanis Bouzyani, de la chanteuse, compositrice et réalisatrice Barbara Carlotti, de la photographe et réalisatrice Laura Henno, et du compositeur Étienne Jaumet. Il est présidé par la cinéaste et photographe indépendante Marie Losier.

Prix du meilleur court-métrage français
Sukar de Ilias El Faris

Prix du meilleur court-métrage américain
Huntsville Station de Chris Filippone et Jamie Meltzer

Mention spéciale
Blaké de Vincent Fontano

Pour le court-métrage, deux autres prix ont été décernés. Un par France Télévision par Gautier Rejou, conseiller en programme & doté d’un achat par France Télévisions Histoires Courtes France 2 Libre court – France 3 et un autre par la communauté SensCritique.

Prix France Télévisions du court métrage
Sukar de Ilias El Faris

Prix SensCritique
Qu’importe si les bêtes meurent de Sofia Alaoui

Le jury presse est composé des journalistes Charlotte Blum (OCS), Bruno Deruisseau (Les Inrocks), Sophie Rosemont (RollingStone) et Nicolas Martin (France Culture).

Prix de la critique du meilleur long-métrage français
À l’abordage de Guillaume Brac

Prix de la critique du meilleur long-métrage américain
17 Blocks de Davy Rothbart

Mention spéciale
Bloody Nose, Empty Pockets de Bill & Turner Ross

Le Public pouvait voter pour son film préféré tout au long du festival.

Prix du Public du meilleur long-métrage français
La Nuit venue de Frédéric Farrucci

Prix du Public du meilleur long-métrage américain
17 Blocks de Davy Rothbart

Prix du Public du meilleur court-métrage français
Beauty Boys de Florent Gouëlou

Prix du Public du meilleur court-métrage américain
Sin Cielo de Jianna S. Maarten


Bilan 

17 Blocks de Davy Rothbart est le grand gagnant de cette 9e édition. Ce documentaire américain, qui raconte l’histoire de la famille Sanford qui vit à Washington à dix-sept blocs du Congrès, nous montre une réalité dure qui résonne avec l’actualité. Il aura su toucher à la fois le jury long-métrage, la presse et le public. Le film a, par ailleurs, divisé la rédaction de Phantasmagory, d’un côté un réacteur s’interroge si les circonstances actuelles n’ont amené à surévaluer le film qui pèche dans sa dramatisation et son abondance de musique, traité comme un fait divers à sensation. De l’autre, le long-métrage réussit à distiller son propos graduellement et tout en finesse et ne tombe pas dans le piège binaire du racisme ou des violences policières, mais bien dans quelque chose de plus profondément ancré dans la société : cette violence qui gangrène tout, même les innocents.

Parmi les onze longs-métrages qui ont été présentés, deux se sont détachés de cet ensemble : Grève ou crève de Jonathan Rescigno et Bloody Nose, Empty Pockets des frères Bill et Turner Ross, respectivement Prix du jury de la compétition française et Prix de la mise en scène de la compétition américaine. Ce n’est peut-être pas un hasard si ces deux films sont des documentaires, tant ce cinéma dit « documentaire » continue de prospérer. Des auteurs, plus ou moins connus ou reconnus, poursuivent la réalisation d’œuvre « du réel », s’affranchissant des codes établis, y apportent de l’audace et un regard neuf sur notre monde et notre présent.

Jonathan Rescigno, dont il s’agit du premier long-métrage, inscrit son film dans les luttes de Forbach, où en 1995 plus de cinq cents mineurs se sont révoltés et confrontés aux forces de l’ordre. Ces soulèvements filmés ponctuent par leur force ce documentaire. Le cinéaste interroge les traces qu’ils ont laissé dans la vie quotidienne de ces habitants.
Grève ou crève s’articule comme un film choral, suivant les uns après les autres des hommes ou des femmes. Ils finiront tous par se croiser comme s’ils étaient liés par le destin.
Ce sont des individus qui sont en lutte dans leur vie, dans leur travail et dans leur existence. Chaque scène est inattendue, elle présente des situations que l’on voit peu au cinéma, en donnant la parole à ceux qui habituellement ne l’ont pas.
À tour de rôle nous suivons, deux jeunes garçons, partageant une relation fraternelle belle et touchante. Des moments qui ne s’inventent pas et que l’on ne retrouve pas dans la fiction. Leur logorrhée impressionne, elle est lucide, intelligente et pertinente sur leur situation actuelle et les difficultés à venir, sans jamais être fataliste. Des anciens mineurs se remémorent l’insurrection à laquelle ils avaient participée. Ils philosophent sur leur combat et leur défaite, exempt de résignation ou de pessimisme. Leur lutte continue, qu’elle soit présente en pensée ou en acte, certains la poursuivent par un engagement politique. Un couple de cinquantenaires se bat contre leur employeur qui se couvre d’un accident du travail par une fausse déclaration. L’ouvrier-victime est handicapé de la main et subit les intimidations du patron. Cette situation illustre notre société où les dominants oppressent les dominés et où la justice défend les plus forts. On assiste à une scène stupéfiante où le mari et la femme se préparent pour la future confrontation verbale face au patron. Ils jouent chacun le rôle du patron et de l’ouvrier avant de changer de place. La victime devient persécuteur et le persécuteur prend la place de la victime. Cet exercice déterminant devient un jeu et une utopie que l’on souhaiterait. Un entraineur forme des boxeurs dont une adolescente qui se démarque par sa combativité. Ce coach devient une figure tutélaire, impressionne par sa pédagogie aussi intransigeante que bienveillante.
Les révoltes sont toujours présentes dans cette ville, y compris dans ces rues désertes ou dans ce musée de la mine qui omet les difficultés des vies passées. Telle une fumée, ces anciennes révoltes se diffusent et restent omniprésentes. Elles deviennent un héritage à la fois invisible et vivant, que chaque habitant porte en lui.

Bill et Turner Ross ont déjà réalisé cinq longs-métrages et une série. Leur dernier film Bloody Nose, Empty Pockets se vit comme une expérience immersive. Ils nous plongent à l’intérieur d’une unité de lieu et de temps : un bar de Las Vegas qui vit son dernier jour avant sa fermeture définitive.
Le film capte les derniers instants d’un refuge en train de disparaître. Un lieu d’échange et d’écoute qui rompt les barrières entre les individus. Chacun raconte ses histoires, partage des moments de vie et de bonheur. La majorité d’entre eux sont des solitaires ou des exclus qui cherchent du réconfort. Tous possèdent une joie de vivre communicative et un grand sens de la dérision.
Ces moments uniques forment le portrait d’une humanité où la vie est en constante circulation.

Ces deux grands films offrent une profonde vision sur le cinéma et notre époque, ils mériteraient d’être vus en salles. Espérons que des distributeurs permettront au public de découvrir ces films au cinéma.

Parmi les autres films marquants que le festival a su nous proposer pendant la semaine, nous pouvons citer l’excellent film À l’abordage de Guillaume Brac. Le long-métrage français a reçu le Prix de la critique et réussit à faire exploser, sous couvert de comédie, les conventions du genre pour mieux critiquer la société. C’est à la fois léger et profond. De plus, il nous fait rêver l’été. Ou encore La Nuit venue de Frédéric Farrucci, Prix du public pour un long-métrage français. Ce premier film suit l’histoire de Jin, un chinois clandestin qui essaye de sortir de l’engrenage des dettes qu’il doit à la mafia chinoise. Ces deux films ont le mérite d’offrir les rôles principaux à des acteurs noirs et chinois, qui sont dans le paysage cinématographique français encore trop rare. Los Conductos de Camilo Restrepo reste également l’un des films majeurs de cette 9e édition. Son réalisateur a justement été récompensé par le Prix de la mise en scène dans la compétition des films français. Un très bon premier film dont on espère qu’il concrétisera la promesse d’un futur grand cinéaste. Filmé en 16mm, Los Conductos témoigne d’une véritable recherche dans la composition de chaque plan, d’une esthétique sur la couleur, la lumière et l’ombre. Le film est minimaliste, tourné en 1.33, avec peu de dialogue et peu de mouvements de caméra. Le personnage principal est mutique, le film se sert de son intériorité pour imposer des moments de silence. Ils accentuent sa solitude, contrastent avec le monde extérieur : celui de la société à laquelle il semble étranger. Le film est critique sur le monde contemporain qui paraît réduit à un travail à la chaîne perpétuel et à la destruction massive des ressources naturelles. Le monde du travail devient un rapport de domination où les travailleurs sont exploités. Dans la ville, seuls semblent exister les fastfood et les militaires qui paradent à longueur de journée. Camilo Restrepo utilise le cinéma pour exorciser son ami, Luis Lozano, qui interprète son propre rôle. Il y tuera métaphoriquement le gourou qu’il souhaitait tuer réellement. Le film se déploie en construisant une société mafieuse à laquelle appartiendrait le personnage principal, Pinky. Une organisation secrète qui semble irréelle et qui contraste avec l’ultra-réalisme dans lequel s’inscrit le film. Une oeuvre envoûtante et splendide qui nous accroche jusqu’au bout.

Cette année encore le festival a su faire la part belle aux premiers films, ainsi qu’aux documentaires. Nous avons pris un réel plaisir à découvrir leur sélection et si quelque films nous paraissent plus faibles soit par leur sujet, soit dans leur mise en scène trop classique ou par leur manque d’aboutissement (Slow Machine de Paul Felten et Joe Denardo, Le Kiosque d’Alexandra Pianelli qui a reçu le Grand Prix ex æquo avec Grève ou crève, Crestone de et Retiens Johnny de Simon Depardon, Arthur Verret, Baptiste Drouillac) l’édition 2020 reste un excellent cru. Il nous tarde de voir tous ces films sortir en salles pour que les spectateurs puissent les découvrir sur grand écran. Prochaine destination : Jumbo de Zoé Wittock sera dans les cinémas français à partir du 1er juillet. Aucune raison de manquer ce rendez-vous.

Arthaud Barkovitch et Marine Moutot

Retrouvez l’ensemble de nos articles autour des films du Champs-Élysée Film Festival 

Film d’Ouverture : Jumbo de Zoé Wittock

Films de la compétition française :
À l’abordage de Guillaume Brac
Le Kiosque d’Alexandra Pianelli
La Nuit Venue de Frédéric Farrucci

Films de la compétition américaine :
17 blocks de Davy Rothbart
Slow Machine de Paul Felten et Joe Denardo


17 Blocks
Réalisé par Davy Rothbart
Documentaire, Etats-Unis, 1h35

À l’abordage
Réalisé par Guillaume Brac
Avec Éric Nantchouang, Salif Cissé, Édouard Sulpice
Comédie, France, 1h35

Bloody Nose, Empty Pockets
Réalisé par Bill Ross IV, Turner Ross
Documentaire, États-Unis, 1h38

Crestone
Réalisé par Marnie Ellen Hertzler
Documentaire, États-Unis, 1h13

Grève ou crève
Réalisé par Jonathan Rescigno
Documentaire, France, 1h33

Jumbo
Réalisé par Zoé Wittock
Avec Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon
Drame, France, Belgique, Luxembourg, 1h33
En salles le 1 juillet 2020
Rezo Films

Le Kiosque
Réalisé par Alexandra Pianelli
Documentaire, France, 1h16

Los Conductos
Réalisé par Camilo Restrepo
Avec Luis Lozano, Fernando Úsaga Higuíta
Drame, France, Colombie, Brésil, 1h10

La Nuit venue
Réalisé par Frédéric Farrucci
Avec Guang Huo, Camélia Jordana, Xun Liang
Drame, Thriller, France, 1h35
Jour2fête
En salles le 15 juillet

Retiens Johnny
Réalisé par Simon Depardon, Arthur Verret, Baptiste Drouillac
Documentaire, France, 1h12

Slow Machine
Réalisé par Paul Felten et Joe Denardo
Drame, États-Unis, 1h12

 

 

Publié par Phantasmagory

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