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Benni est une fillette de 9 ans qui passe sa vie de foyer en foyer. La cause ? Une violence sourde l’habite et éclate trop souvent. Tout ce qu’elle souhaite est que sa mère l’aime.
Prix Alfred-Bauer à la dernière Berlinale, Benni est une œuvre salvatrice et singulière. Ce prix récompense les films qui, avec audace, brisent les codes cinématographiques ou offrent une vision unique et novatrice. Le premier long-métrage de fiction de la jeune cinéaste allemande Nora Fingscheidt en fait partie. Elle propose un voyage dans l’inconscient de Bernadette, une fille de 9 ans qui passe sa vie en quête d’un amour qu’on lui refuse. Traumatisée quand elle était bébé, on ne peut pas lui toucher le visage. Le visage est le lieu, le lien à sa mère. C’est la seule qui peut la caresser, l’embrasser. Ce visage de porcelaine prend tour à tour l’aspect de la colère, de la haine, de la peur, de la souffrance, avec toujours la fragilité qui reste là, à fleur de peau. D’où vient sa violence ? Le spectateur l’ignore et peut seulement comprendre à travers les récits et les bribes de conversations des éducateurs et éducatrices, l’histoire d’une enfant en manque d’amour. Un beau-père violent ? Une mère absente ? Nous suivons le quotidien de Benni, qui, à 9 ans, est au bord du gouffre. Sa violence continue à grandir et presque plus personne ne veut la prendre en foyer. Elle est également trop jeune pour être placée en institut. Cette violence face à sa mère ne peut être contenue par la société, qui ne l’avait pas prévue. L’image de la famille se fissure. Se brise face aux crises de cette enfant. Le film montre un pan que souvent la société préfère ignorer : une femme non apte à élever des enfants. Et c’est l’enfant qui en souffre le plus. Rejetée, mal aimée, sauvage et dangereuse, elle sait pourtant être attachante et pleine de bonne volonté. Mais elle refuse qu’on ne lui offre pas ce qui lui revient de droit : l’amour. Que ce soit de la femme qui la suit depuis le début, Madame Bafané. Que ce soit de son éducateur scolaire, Micha qui la prend sous son aile. Que ce soit de sa mère, femme fuyante qui a deux autres enfants en bas âge. Il y a, à la fois, de l’incompréhension et de la provocation dans l’attitude de Benni.
La force du film est évidemment sa mise en scène nerveuse qui nous fait éprouver viscéralement ce que vit l’héroïne. Les moments de crise sont extrêmement puissants. Ils mettent mal à l’aise, car nous sommes à la place de Benni. Grâce à un montage rapide et presque abstrait, la cinéaste nous montre ce que ressent Benni. Les images, très évocatrices, se succèdent et exposent l’inconscient du personnage. De plus, la musique a une place importante et vient renforcer la dissonance créée par l’image. La bande-son de John Gürtler vient injecter de l’énergie au film qui ne tombe jamais dans la noirceur gratuite. Au contraire, des cartons de couleur vive viennent entrecouper le récit. Ces courts intermèdes sont des pauses après chaque crise. La mise en scène vient ainsi entièrement supporter le récit et mettre le spectateur, non pas dans la position de voyeur comme le cinéma fait souvent, mais dans celui qui ressent au plus profond la vie du personnage principal.
Tour à tour, nous sommes à la place des éducateurs qui, si certains ont abandonné, continuent de croire en une possible évolution, puis de Benni. Nous sommes pris aux tripes par ce destin tragique et sauvage. Si le récit devient quelque peu redondant sur la fin et que l’épilogue ressemble trop à celui de Mommy de Xavier Dolan, Benni reste une œuvre forte et audacieuse.
Marine Moutot
Benni
Réalisé par Nora Fingscheidt
Avec Helena Zengel, Albrecht Schuch, Gabriela Maria Schmeide
Drame, Allemagne, 1h58
22 juin 2020
Ad Vitam