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Avigail est une jeune femme effacée qui travaille dans une maison de retraite. Elle essaye d’avoir un enfant avec son mari, Rashi. Un jour, elle fait la connaissance de Na’ama, sage femme qui accompagne les femmes dans leur désir d’enfant. Avigail semble s’épanouir à son contact et prendre conscience des problèmes dans son couple.
Après la découverte pour le moins intense et captivante du premier volet de la Trilogie sur l’Amour de Yaron Shani, nous attendions avec une grande impatience ce que nous pensions être le pendant de Chained. Ce dernier nous avait plongées, avec une violence crue, dans le quotidien de Rashi et Beloved promettait de nous faire enfin découvrir le point de vue de sa femme Avigail. Cette part complémentaire du récit prenait d’ailleurs tout son sens dans l’effacement prononcé d’Avigail dans la première œuvre. Nous avions beaucoup d’interrogations laissées volontairement sans réponse par Chained.
Dans ce nouveau film, le cinéaste choisit de se concentrer sur trois personnages féminins. Avigail, infirmière dévouée dont la famille se fracture — son mariage avec Rashi bat de l’aile et sa relation avec sa fille est inexistante — croise le chemin de Na’ama — personnage central du récit ? – une femme abandonnée par sa mère. Elle en garde la trace indélébile et cherche à prouver qu’elle peut être mère. Devenue sage-femme, elle s’occupe de femmes dont le désir d’enfant n’aboutit pas. Elle s’entoure de personnes aimantes et d’une multitude de bambins. Nous suivons également Yasmin, la sœur adoptive de Na’ama, profondément marquée par la grave maladie de son père. Stripteaseuse, elle cherche encore sa place, alternant entre vie nocturne mouvementée et visites diurnes à l’hôpital. Si cette multitude de points de vue est enrichissante et montre des femmes très différentes, elle fait aussi perdre à l’œuvre la force et la tension que possédait Chained. Elle a surtout le mauvais goût de faire disparaître une nouvelle fois Avigail. Cet effacement n’est pas compréhensible et laisse surtout un goût amer à celles et ceux qui avaient découvert, en premier lieu, le point de vue de Rashi dans Chained. En ne lui donnant pas la parole, le réalisateur la condamne d’avance. La fin de Chained était pour nous un appel à la prise de parole d’Avigail. Au regard de cela, le silence forcé de Beloved semble empli de cruauté. Une nouvelle fois la parole de la femme est reniée — de plus, – erreur marketing ? — la communication autour du film laissait entendre que cet opus épouserait justement le point de vue d’Avigail.
Le propos du film est autre. Dans cet opus, Yaron Shani montre la difficulté d’être une femme dans la société israélienne qu’il s’agisse des pressions subies au quotidien ou des diktats de la féminité et de la maternité — sujets universels. Un des moments les plus intéressants — et qui en dit malgré tout (enfin) un peu plus d’Avigail — est lorsqu’elle confesse à Na’ama ne pas vouloir d’enfant. Pour elle, c’est son devoir envers son mari qui a une forte envie de paternité. Insatisfaite de sa vie, elle retrouve la joie dans les instants partagés avec Na’ama.
Ode à la maternité et au féminin sacré, Beloved cherche à trop en dire, ce qui rend certains enchaînements faibles et un peu étranges. Désir d’enfanter, libération féminine, reconstruction, dépression, poids familial… autant de sujets intéressants qui mériteraient des heures supplémentaires — ou plutôt un autre film ? Beloved perd le fil conducteur puissant de Chained et la multiplication des points de vue mène à l’affaiblissement du propos. Là où le film précédent était une véritable immersion dans le ressenti de Rashi — à en perdre le souffle —, nous nous laissons porter par Beloved, nous interrogeant régulièrement sur ces changements successifs de personnages principaux pour finalement rester perplexes face au générique. La charge émotionnelle a perdu de sa puissance, nous sommes extérieures. Néanmoins, nous retrouvons avec joie quelques moments d’intensité où le plan-séquence — si caractéristique de Chained — suspend notre expérience pour plonger dans l’émotion. Nous saluons d’ailleurs une très belle scène de dispute sororale, violente et intense, qui donne envie d’en découvrir tellement plus — encore une petite frustration ?
Beloved reste un film de qualité, mais qui, face à son prédécesseur, fait pâle figure : il laisse un goût de trop peu, une incomplétude, une frustration au spectateur. À noter qu’il n’est finalement pas nécessaire de voir Chained avant Beloved du fait de la quasi-absence de Rashi. Le film fonctionne peut-être même mieux comme une première expérience. Nous attendons de découvrir le troisième long-métrage du triptyque, Stripped, qui s’attarde, semble-t-il, sur le personnage d’Alice — qui fait quelques apparitions dans Beloved — et de sa relation avec un adolescent passionné de musique, Ziv. Peut-être éclairera-t-il cette seconde œuvre d’une lumière nouvelle, révélatrice et appréciable ?
Manon Koken & Marine Moutot
Retrouvez notre critique de Chained.
Beloved
Réalisé par Yaron Shani
Avec Stav Almagor, Ori Shani, Leah Tonic
Drame, Israël, 1h48
15 juillet 2020
Art House