[DÉFI] Un bon film avec quelqu’un qui attend dans une voiture

Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?


/! Cet article peut contenir des spoilers. /!

Temps de lecture :  17 minutes

À la fois moyen de transport, objet de désir et signe de puissance, la voiture est un objet hautement symbolique. En particulier au cinéma, où le mouvement du véhicule épouse le mouvement de la pellicule. On pense aux courses poursuites et aux courses sauvages, dans lesquelles l’arrêt est très codifié. Dans les premières, l’arrêt est impossible dans qu’il reste des poursuivants, du moins jusqu’à Drive, de Nicolas Winding Refn en 2011, dont la scène d’introduction est ponctuée d’arrêts et d’attentes, la voiture temporairement cachée, stationnée dans des ruelles, pour échapper aux policiers qui la recherchent. Les secondes, courses sportives davantage que courses-poursuites, sont encadrées par l’arrêt, dont l’attente du départ permet aux concurrents de se jauger. La voiture semble particulièrement présente dans le cinéma de genre américain, où le véhicule est à la fois objet de consommation lié à l’American Way of Life et symbole de liberté : la traversée telle que peuvent la figurer les road movies.

De jeunes gens qui discutent, qui ont une relation sexuelle, qui mangent ou qui regardent un film, une voiture à l’arrêt n’est pas toujours synonyme d’attente. C’est d’ailleurs ce qui permet la surprise quand un tueur surgit du hors-champ, dans Zodiac (David Fincher, 2007). Le thème du défi de ce mois d’août, “des personnages attendent dans une voiture”, rend également hors-sujet les scènes dans lesquelles un personnage attend quelque chose de son co-passager, comme dans Grease (Randal Kleiser, 1978), lorsque Dany tente d’embrasser Sandy au drive-in. Il s’agit dans ce défi d’attendre qu’un événement advienne et non d’attendre quelque chose d’une personne.

L’attente dans une voiture, si elle peut donner lieu à des scènes intimistes, de partage, un lieu neutre où l’échange devient possible, est souvent un non-événement. La pulsion scopique du spectateur est stimulée par le passage de l’action dans le hors-champ. En effet, l’attente suggère un évènement en cours ou à venir, qu’il apparaisse dans le surcadrage créé par le pare-brise, le rétroviseur ou la fenêtre du véhicule. On le trouve dans le film policier, bien sûr, où enquêteurs confirmés et amateurs espèrent que quelque chose advienne à l’écran afin de débusquer le coupable, mais également dans le thriller, comme dans Nightcall (Nightcrawler, Dan Gilroy, 2014) ou Drive où le redoublement de la position passive du spectateur entraîne à la fois un désir d’en voir plus et le sentiment d’impuissance tandis que la violence déferle : une fusillade dans un diner pour le premier, anticipée et visible à travers une immense baie vitrée et un vol qui tourne mal, caché par les murs épais du bâtiment pour le second.

L’attente renvoie à la passivité. C’est l’autre qui fait l’action. Le temps passe et cela se ressent. Dans l’ouverture de Drive, le chauffeur installe d’ailleurs une petite montre pour chronométrer les cinq minutes qu’il donne de sa vie aux braqueurs. Cinq minutes, pas une minute de plus. La tension augmente au fur et à mesure que la petite et grande aiguilles bougent dans le cadran. L’attente permet d’accentuer ce temps qui file : au ralenti ou trop vite.
À travers les trois extraits que nous allons traiter pour ce défi, l’attente dans une voiture va prendre trois chemins différents. Dans Bonnie and Clyde l’attente est un exercice de vigilance que les personnages ne maîtrisent pas toujours, tandis que dans It Follows l’apparente quiétude de l’attente va être troublée par l’irruption de la violence, renversement classique du cinéma de genre. Dans Baby Driver l’attente est synonyme d’émancipation, car le chauffeur, au fur et à mesure des braquages qu’il observe de loin, apprend qu’il va devoir faire un choix.

N’oubliez pas de voter à la fin de l’article pour le prochain défi !

Bonnie and Clyde, Arthur Penn, 1967

Dans les années 1930, Bonnie Parker, serveuse qui s’ennuie fermement, se joint à Clyde Barrow, fraîchement sorti de prison, pour piller les banques.

Bonnie and Clyde, réalisation du cinéaste américain Arthur Penn sortie en 1967, est considéré comme le premier film du Nouvel Hollywood, un cinéma en rupture avec le classicisme hollywoodien, plus violent, plus politisé aussi, marqué par l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy en 1963, par les mouvements contestataires et par la guerre du Vietnam. Le sujet même de Bonnie and Clyde est un basculement : le Nouvel Hollywood renoue avec le gangster, figure incontournable du Pré-Code – L’Ennemi Public (The Public Ennemy, William Wellman, 1931), Le Petit César (Little Caesar, Mervyn LeRoy, 1931), Scarface (Howard Hawks, 1932) -, honnie par le Code Hays. Une figure vouée à l’échec, afin de garder le spectateur de toute adhésion morale à ses actes. Toutefois, Bonnie and Clyde est également un road movie. Cette rencontre des genres confère à la figure du gangster une nouvelle signification. Sa mort obligée coïncide avec celle de l’anti-héros en errance. Il ne symbolise plus le crime, cette Amérique décadente qui fascine mais dont il faut se dissocier, mais une jeunesse en errance qui ne trouve sa place dans aucune Amérique – qu’elle soit urbaine, rurale, décadente, puritaine, hippie ou même sauvage. À l’instar d’autres road movies des années 70, les personnages de Bonnie and Clyde vivent une véritable fuite en avant dont le mouvement est délétère mais à laquelle ils ne peuvent échapper car l’immobilité est tout autant, sinon plus, toxique.

Le film alterne mouvement et immobilité, fuite et attente. Les personnages recherchent le mouvement davantage que l’argent. À Clyde qui lui laisse une voie de sortie, l’avertissant qu’elle “n’aura plus une minute de répit”, Bonnie répond “Tu me le promets, chéri ?”. Quand on lui demande vers quoi ils se dirigent, Clyde déclare : “À vrai dire, on se dirige vers rien, on se sauve aussi vite qu’on peut”. L’immobilité est une prison, littérale pour Clyde qui vient d’en sortir, figurée pour Bonnie qui apparaît derrière les barreaux de son lit, dans la première scène. Chaque arrêt est un peu plus violent que le précédent, accélérant la fuite en avant, précipitant la brutalité de l’arrêt suivant.

Les attentes dans la voiture sont au nombre de six, dont quatre ont lieu lors de braquages. Au départ, cela ressemble à un jeu. Bonnie attend Clyde dans la voiture, garée devant la banque que celui-ci braque sans succès. La posture empruntée de Clyde et les rires de Bonnie – déclenchés par l’ironie de la situation, une banque fauchée, le commis s’en excuse – indique bien que tout cela n’est pas sérieux. Il s’agit pour Clyde de prouver à Bonnie, qui déclenche la scène avec un “Eh bien, qu’est-ce que tu attends ?”, qu’il est un véritable caïd. Pendant que le braqueur est dans la banque, Bonnie reste hors-champ. Si elle attend, ce n’est pas encore le regard rivé sur le bâtiment. Agacé, Clyde tire sur la vitrine jusqu’à ce qu’elle se brise. Symboliquement, c’est la banque qui disparaît mais également l’écran qui séparait le braqueur de son public récalcitrant.

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Suite à cet insuccès, le couple se rabat sur une épicerie. Les rôles sont répartis de la même manière, elle dans la voiture, lui à l’intérieur. La mise en scène, alternant les plans de Bonnie attendant dans une attitude inquiète (elle se ronge les ongles, garde le regard rivé sur la boutique), indique au spectateur que, cette fois, malgré le grand sourire de Clyde, c’est du sérieux. Une fois encore, le braquage est un échec. Sans aucun doute car le couple ne maîtrise pas encore le cadre : un deuxième épicier entre soudainement dans le champ, se lançant sur Clyde par derrière. Le braqueur riposte : l’épicier tabassé sera bientôt entendu par la police, qui se lancera aux trousses des malfrats.

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Puis c’est au tour de Salomon Moss, mécanicien simplet qui les admire, de jouer les chauffeurs. Alors que le couple est en train de braquer une banque, il commet deux impairs : il détourne son regard du bâtiment et sort du champ. Plutôt que d’attendre devant la banque, il décide de se garer. Mauvaise idée : il faut être prêt à repartir en urgence, le stationnement est, dans Bonnie and Clyde, synonyme de mort. La difficulté à sortir de la place de parking (coincée entre deux autres voitures) déplace le lieu de l’action et fait de Salomon un spectacle : deux hommes, encadrés par le pare-brise arrière qui transforme la fenêtre en écran, suivent, hilares, les manœuvres du jeune homme. Mais la rapidité du montage et la multiplication des plans indiquent qu’il n’y a pas de quoi rire : le retard créé par cette inconséquence entraîne la mort d’un banquier que Clyde tue d’un coup de revolver.

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C’est un trio – Bonnie, Clyde et Buck, le frère de ce dernier – qui braque la banque suivante pendant que Salomon et Blanche, la femme de Buck, attendent dans la voiture. Cette fois, c’est une réussite. Les bandits ont non seulement de l’expérience mais ils ont surtout la maîtrise de l’image. Ce nouveau braquage suit la publication de photographies du gang aux côtés du ranger Frank Hammer, mises en scène avec soin par Bonnie, leur permettant de gagner en notoriété. Contrairement au braquage précédent, dans lequel le couple était d’abord ignoré, obligés de répéter leur annonce, ils sont maintenant immédiatement reconnus et craints. En outre, chaque complice reste dans son cadre : malgré un coup de feu, Salomon reste à sa place au coin de l’édifice et la belle-soeur derrière la fenêtre de la voiture. La nervosité de celle-ci, qui apparaît en montage alterné, n’a pas la même fonction que celle de Bonnie lors du braquage de l’épicerie, dont elle est tout le contraire : un personnage caractérisé comme rabat-joie voire hystérique, dont le spectateur est amené à prendre l’anxiété moins au sérieux. En outre, le montage alterné dévoile en contre-champ les sourires satisfaits des braqueurs, réduisant ainsi un peu plus l’aura de Blanche. Elle n’est d’ailleurs pas au volant, son rôle semblant se réduire à celui de simple spectatrice.

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Les deux dernière attentes précipitent la chute de Bonnie et Clyde. Réfugiés chez le père de Salomon après une fusillade qui a coûté la vie à Buck et la vue et la liberté à Blanche, le couple attend le jeune homme dans la voiture. Celui-ci se cache dans l’épicerie voisine, à la demande de son père, que la police a contacté après que l’identité de Salomon ait été dévoilée par Blanche, obligeant le duo à partir sans lui lorsqu’ils aperçoivent une voiture de police. Clyde s’arrête à la vue du père Moss qui fait semblant d’être en panne sur le côté de la route et c’est une Bonnie souriante qui l’attend dans la voiture… bientôt mitraillée par des policiers cachés dans les buissons. Avec ce final, il est encore question de regards et d’image. Lorsque Bonnie et Clyde se font mitrailler, les plans et les angles sur les corps secoués mais déjà morts se multiplient, accompagnés par le ralenti, puis par un plan prolongé sur chaque cadavre tandis qu’il prend sa position finale. Il y a un trop plein d’images, montrées comme telles non seulement par le ralenti mais également par les deux plans finals, où la fenêtre du véhicule derrière laquelle se trouve la caméra forme un surcadrage et la vitre un deuxième écran. Jean-Baptiste Thoret a raison d’écrire du cinéma américain des années 1970 qu’il entreprend de se “hisser à la hauteur d’une réalité traumatique, (…) recyclant aussi bien les giclées gore du crâne de JFK que la forme heurtée du reportage sur le vif(Le Cinéma américain des années 70, Cahiers du Cinéma, 2009), ramenant la violence dans le champ. Comment ne pas penser,  face à ces corps mitraillés par des tireurs invisibles, au film de Zapruder, dans lequel le tir mortel dans la tête du président Kennedy est bien visible ? Ou lorsque l’impact de balle dans le pare-brise, dans le plan final, évoque le meurtre du banquier lors du deuxième braquage, lui aussi d’une balle dans la tête ? C’est aussi une balle dans la tête qui blesse Buck et hôte la vue à Blanche. Aux personnages principaux, cette violence, pourtant annoncée, reste illisible avant qu’elle s’abatte. Les champs-contre-champs montrent des personnages qui suivent le regard du père de Moss, aux aguets, mais ne savent pas l’interpréter – ou trop tard – : les oiseaux qui s’envolent du buisson dans lequel se cachent les policiers font d’abord sourire Bonnie et Clyde. Des sourires qui renvoient à leur confiance et leur insouciance. Des sourires également présents alors qu’ils attendent Salomon et qu’un verre des lunettes de soleil portées par Clyde tombe. Ces lunettes, volées par Buck à un policier lors du braquage réussi et offertes à Blanche, renvoient pourtant à la blessure et à la capture de celle-ci et à la mort de celui-ci. En outre, elles étaient également associées à leur succès : celui-ci est maintenant bien fini. Enfin, c’est encore une blessure à la tête qui est ici figurée (le porteur de lunette devenu symboliquement borgne). Bonnie et Clyde sont perdus dès lors qu’ils commencent à aspirer à une vie plus conventionnelle : ces deux scènes suivent une discussion dans laquelle Bonnie évoque son envie de repartir à zéro puis une demande en mariage. En outre, c’est la famille traditionnelle qui précipite leur chute : Blanche qui figure l’épouse mais aussi Salomon, figure enfantine qui voit en Clyde un père – ce que lui reproche son véritable paternel. C’est d’ailleurs le père Moss qui participe à la mise à mort du couple. Faire les courses, garer la voiture, se marier, le danger se trouve dans le quotidien. La voiture elle-même, à la fois symbole de liberté et de l’American Way of Life, devient un piège et leur tombeau.

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La blessure de Blanche

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Bonnie et Clyde attendent Salomon dans la voiture

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Bonnie attend Clyde alors que celui-ci rejoint le père Moss au bord de la route. Des policiers attendent dans les buissons pour les mitrailler.

Johanna Benoist


Bonnie and Clyde
Réalisé par Arthur Penn
Avec Faye Dunaway, Warren Beatty
Road Movie, Etats-Unis, 1h51, 1967
Warner Bros

It Follows, David Robert Mitchell, 2014

Baigné par le « teen movie » et empreint des codes du film de genre, It Follows est une pépite de David Robert Mitchell sortie en 2014. Terrifiant et poétique, le film dépeint une entité qui pourchasse la jeune Jay, une menace dont elle ne pourra se débarrasser qu’en la transmettant à une victime par le biais d’un rapport sexuel.

Une scène charnière annonce au spectateur la malédiction à venir grâce à une savante rupture de ton et des mouvements de caméra bien dosés. Ceux-ci appuient la thématique même du film qui renvoie au sort des personnages, éternellement suivis par un mal mystérieux. La menace pèse sur Jay et son petit ami Hugh qui, après s’être embrassés, décident de poursuivre la soirée dans la voiture du jeune homme. Un travelling vertical bas fait surgir un paysage nocturne désert entouré de barres d’immeubles. Le silence accompagne les ébats des deux jeunes gens tandis qu’un zoom avance lentement vers la fenêtre de la voiture. Une fois l’amour terminé, Hugh se rhabille dans un plan large qui place les deux personnages dans une situation de vulnérabilité, seuls au cœur d’une étendue semi-urbaine désertée, et comme en proie à une entité omnisciente qui semble pouvoir les observer sous tous les angles.

Jay attend son petit ami dans la voiture, allongée sur le ventre sur la banquette arrière. Même si elle vient de faire l’amour avec le jeune homme, son allure est virginale. Ses joues roses, de la même couleur que ses sous-vêtements ainsi que sa blondeur lui confèrent une certaine candeur, alors qu’elle se replonge dans ses souvenirs de liberté adolescente. Un gros plan dévoile sa main aux ongles vernis qui caresse des fleurs blanches, pures, avec un léger zoom avant. De retour auprès de la jeune femme sur la banquette qui rêvasse, Hugh s’allonge auprès d’elle, l’embrasse dans le dos avec douceur. Mais tout à coup il dévoile au spectateur ce qu’il tient dans sa main, un chiffon imbibé de chloroforme. Il le plaque soudainement sur le visage de son amante dans une violente étreinte. Malgré la rupture de ton, du rapport amoureux à la prédation, une certaine mélancolie traverse la scène. Hugh semble souffrir, il sanglote tandis que Jay perd connaissance. Un gros plan montre à nouveau la main de la jeune femme, inanimée, qui lâche les fleurs, dans un mouvement de zoom vers l’arrière. La malédiction s’abat inexorablement sur Jay, elle est désormais contaminée, son innocence lui est brutalement arrachée.

It Follows use du genre pour découvrir les angoisses qui traversent la jeunesse dans son rapport à l’entrée dans l’âge adulte, notamment par les premiers rapports sexuels. David Robert Mitchell poursuit son approche poétique de la jeunesse américaine, quelques années après The Myth of the American Sleepover (2010), qui se déroulait avec langueur les premiers émois d’adolescents dans une banlieue américaine. Avec, peut-être, un clin d’œil à son premier film dans lequel une jeune femme s’ébattait avec un jeune homme dans une voiture, le pied hors de l’habitacle.

Lucie Dachary


It Follows
Réalisé par David Robert Mitchell
Avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Daniel Zovatto
Epouvante-horreur, États-Unis, 1h40, 2014
Metropolitan FilmExport

Baby Driver, Edgar Wright, 2017

Baby est un chauffeur pour le compte d’un mafieux auquel il doit de l’argent. Mais sa dette est bientôt payée et il va pouvoir rentrer dans le droit chemin. De plus, il est tombé amoureux de Debora, une jeune serveuse.

Baby Driver (Edgar Wright) sorti en 2017 a été à plus ou moins à juste titre comparé à Drive (Nicolas Winding Refn, 2011). Edgar Wright, réalisateur entre autres de Shaun of the dead (2004) et Hot Fuzz (2007), aime effectivement mélanger les genres et les références cinématographiques. Le jeune Baby est donc un as du volant et refuse d’utiliser la violence comme son grand frère le chauffeur de Drive. Les deux auront finalement recours à la violence pour défendre la vie d’une belle femme. Pour ce défi sur « quelqu’un attend dans une voiture », je vais m’attarder sur quatre moments clés qui jalonnent le récit de Baby Driver. Ces quatre attentes marquent une lente progression dans la prise en main de son destin par le héros, Baby. Alors que dans la première séquence — également ouverture du film — il attend puis conduit avec une insouciance doublée d’une confiance en lui, il va peu à peu évoluer en un personnage plus dur, plus froid et surtout obligé de faire des choix qui changeront sa vie. 

Attendre dans une voiture dans un film de vol à main armée est une action souvent oubliée et rarement montrée. On préfère les séquences à l’intérieur des lieux braqués. Mais depuis Drive, le chauffeur aka « driver» possède une aura particulière. Il peut se sortir de n’importe quelle situation grâce à son talent. Dans Baby Driver, Baby est un petit jeune qui essaye de se sortir d’affaire. Il rembourse une dette en conduisant pour un mafieux. Depuis un accident de voiture quand il était petit, il souffre en permanence d’acouphènes. Il noie son problème dans un torrent de musique. À l’instar du chauffeur de Drive, Baby a des objets fétiches qui le rendent « cool » : iPods, lunettes de soleil, veste et il ne possède pas de prénom — Baby étant un surnom. Jeune homme droit qui refuse d’utiliser les armes — il laisse la violence à d’autres — il ne fait que conduire. Au début du film, il n’a plus qu’une seule course à faire pour être libéré de sa dette. Il n’attend qu’une chose : vivre une vie loin du crime. Bien évidemment cela ne se passe pas comme prévu et il doit rapidement reprendre le volant. Il ne peut l’accepter et va tout faire pour trouver une échappatoire. Attention spoiler.

Dans la première séquence de Baby Driver, nous découvrons Baby dans sa voiture. Alors qu’une femme et deux hommes quittent le véhicule — le spectateur comprend rapidement qu’un braquage va avoir lieu — nous restons du point de vue de et avec Baby, dans la voiture. Il est insouciant et ne paraît pas concerné par ce qui se passe autour de lui. Il écoute un morceau des Jon Spencer Blues Explosion, Bellbottoms, qui rythme par ailleurs le montage de la scène. Il chante en playback avec une bouteille d’eau tout en observant du coin de l’œil le braquage et l’environnement. Dès que les trois malfrats sortent de la banque, il est prêt. La première course-poursuite démarre en trombe et le montre sûr de lui. Alors que les trois autres personnes sont surprises, étonnées, effrayées, il ne sourcille pas un instant. Il s’agit d’une mission bien menée de A à Z. Baby est encore dans le coup, ce qui n’est pas le cas dans la deuxième séquence d’attente. Dans ce nouveau braquage, un fourgon est braqué. Les trois voleurs sont plus violents. Même si la scène commence comme la précédente — Baby est sûr de lui, sa musique dans les oreilles — très vite cela dérape. Tout d’abord, il avance volontairement la voiture au rythme de la musique pour ne pas voir l’attaque — il s’agit de Neat Neat Neat de The Damned — puis se remet en position pour récupérer une fois le braquage terminé. Mais il découvre un policier à terre, mort. Cette vision le trouble et il fonce dans une voiture en sortant du parking. Ainsi dans cette deuxième séquence, le spectateur voit Baby troublé et moins sûr de lui. S’il est insouciant et semble indifférent au début — il demande même aux trois hommes d’attendre qu’il remette sa musique au début — son insouciance se dissipe. 

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Premier braquage, première attente

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Deuxième braquage, deuxième attente

La troisième attente n’est pas en apparence un braquage. Bats, un criminel que Baby conduit pour un nouveau braquage d’envergure, demande à Baby de s’arrêter à une station service. Quand Bats revient, il balance négligemment des boîtes entières de chewing-gum à l’arrière de la voiture. Il vient de braquer la station-service et de tuer le vendeur. Cet acte gratuit va marquer l’esprit du jeune homme. L’attente finale arrive quand Baby n’en peut plus et souhaite fuir avec Debora, la serveuse d’un dinner dont il est tombé amoureux. Sans réel plan, il sait qu’il veut en finir avec ce travail. Alors que les malfrats vont braquer la poste, Baby attend dans la voiture. C’est la première séquence de braquage sans musique intradiégétique. La bande-son est composée de percussions, mais également du bruit des essuie-glaces, de la pluie qui tombe sur le pare-brise. Baby ne peut plus s’échapper du monde qui l’entoure — même s’il a encore ses écouteurs dans les oreilles. Une employée de la poste — qu’il connaît — lui fait un signe et un grand sourire en passant vers sa voiture. Il lui fait comprendre de ne pas aller plus loin. Prise de panique, elle part chercher la sécurité qui arrive en même temps que Bats et les deux autres criminels. Bats, sans état d’âme ni hésitation, tue l’agent. Baby refuse alors de démarrer. Bats s’énerve et lui casse une partie de ses lunettes. Cela révèle le regard froid et dur de Baby et fait référence au film d’Arthur Penn, Bonnie & Clyde. En se garant, il avait repéré un camion dont des barres de fer dépassaient. Ils sont dirigés pile en direction du fauteuil passager où se trouve Bats. Il démarre et embroche violemment le criminel. Avec cet acte qui paraît impulsif, Baby a pourtant concrétisé un geste, une violence qu’il avait en lui depuis la deuxième séquence d’attente où Bats avait déjà assassiné un policier. En laissant place à la violence et au sang, Baby décide de s’émanciper de ce milieu en utilisant leurs armes.

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Troisième attente : un vendeur en moins

Capture d’écran 2020-08-10 à 22.43.55 Quatrième attente : Baby dit non

Baby Driver est le récit d’émancipation d’un jeune homme qui n’avait jamais décidé pour lui. À travers ces braquages, et surtout les moments d’attentes qui le poussent à découvrir ses limites. Il apprend à ces dépends que ce monde de violence n’est pas fait pour lui. Pourtant il a grandi dedans et ne connaît d’autres remèdes que de rendre les coups qu’on lui a donné.

Marine Moutot


Baby Driver
Réalisé par Edgar Wright
Avec Ansel Elgort, Kevin Spacey, Lily James
Action, États-Unis, Angleterre, 1h57, 2017
Sony Pictures Releasing France
Disponible sur Netflix

Retrouvez de nouvelles pépites le mardi 8 septembre 2020. Nous proposerons plusieurs bons films dans lesquels quelqu’un dit « ladies… ».

Vous aussi, mettez-nous au défi de dénicher des films en rapport avec votre thème, en votant pour le Défi #17 avant le 7 septembre 2020. Vous pouvez également proposer de nouveaux thèmes en commentaire ou sur les réseaux sociaux.

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

14 commentaires sur « [DÉFI] Un bon film avec quelqu’un qui attend dans une voiture »

  1. C’est pas mal ce type de défi, et ça donne plein d’idées de film à mettre en réseau. La voiture est le lieu idéal pour le malfrat en repérage de son forfait, ou pour le flic en planque. C’est pour cela quo’ trouve pas mal de scène du genre chez Michael Mann ou chez Melville, mais je pense aussi à « dragged across concrete » Qui donne l’occasion d’échanges sur tout et sur rien pour tuer le temps. Sinon, il y a bien sûr « Crash » et ses corps cabossés qui font plier la suspension et chauffer le moteur.

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