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Par une froide journée d’hiver, une jeune femme prend la route avec son petit ami pour aller rencontrer ses beaux-parents et apprendre plus sur lui qu’elle ne l’espère.
Prenez un homme blanc hétérosexuel, ajoutez-y des problèmes existentiels qui lui font remettre en question toute sa vie, remuez vivement pour l’emporter dans une spirale d’événements surréalistes et hilarants. Ajoutez à votre mélange des crises de larmes masculines et des comédiens brillants qui s’interrompent, saupoudrez le tout de récompenses dans les plus grands festivals du monde, et voilà : vous avez un film écrit par Charlie Kaufman. Une fois consommé, le goût est subjectif mais il vous laisse systématiquement repus, épuisé et chamboulé.
Si cette recette est volontairement réductrice et caricaturale, elle souligne néanmoins les obsessions de l’auteur américain, auxquelles Je veux juste en finir n’échappe pas, malgré sa prémisse trompeuse. Lucy (ou peut-être Louisa, ou bien Amy ? – en tout cas, Jessie Buckley) est conduite par son petit ami Jake (Jesse Plemons) jusqu’à la ferme de ses beaux-parents (les fantastiques Toni Collette et David Thewlis) au fin fond de la campagne enneigée.
Au programme : faux-semblants, une porte tachetée de sang, des voyages temporels, un smoothie fondu, une femme sous influence et un homme d’exception. En dire plus serait vous spoiler, et ça, sur Phanta, on ne fait pas.
Eternal Sunshine of the Confused Mind
En revanche, on se demande ce qu’un tel méchoui fait sur la plateforme de streaming populaire, tant son concept et ses retournements perturbants sont difficilement accessibles, et encore plus incompatibles avec du « … and chill ».
Au contraire, Je veux juste en finir nous malmène dans une sorte de parodie de film d’art et d’essai ; il retourne le cerveau à grand renfort de cuts hallucinantes, de conversations philosophico-artistiques volontairement trop longues, de verbatim de Pauline Kael et Russell Crowe et d’un malaise permanent dont Kaufman a le secret. En somme, ce n’est pas vraiment le genre de film qu’on regarde d’un coin de l’œil, l’autre rivé sur son smartphone et c’est justement en cela que sa sortie exclusive sur Netflix est logique, pour ne pas dire nécessaire.
Si vous êtes abonné·e, il ne vous aura sans doute pas échappé, à la vue du nombre de films produits par Netflix et de son catalogue récemment étoffé de moult classiques de la Nouvelle Vague, que la plateforme se veut incontournable dans l’avenir du cinéma. Pas étonnant, quand on voit l’état des studios américains et de l’amaigrissement constant de la production filmique à travers le monde.
D’un point de vue marketing, c’est donc logique d’y voir apparaître les œuvres de Kaufman, mais la grande réussite du film réside surtout dans ce qu’il dit de notre consommation même du cinéma en 2020, à travers sa narration presque méta-plateforme.
Synecdoche, Netflix
En adaptant le best-seller d’Iain Reid, Charlie Kaufman est à la fois parvenu à préserver le thème anxiogène du roman et à distiller un message profondément humain parmi la bizarrerie ambiante, signature de ses films précédents. Comme dans Synecdoche, New York et Anomalisa, le personnage principal est tourmenté et quasi-omniscient, ce qui le rend naturellement suspect ; ce que l’on voit à l’écran n’est parfois que ce qu’il veut bien nous montrer, avec son lot de projections et de désillusions, tant et si bien qu’il faut avoir l’œil affuté pour capter au premier visionnage tout ce qui relève de sa psyché. À voir ce personnage se construire en tant qu’adulte par-dessus les ruines d’une enfance traumatisante, à travers l’angoisse de la réussite professionnelle, on en vient à comprendre ses fantasmes amoureux façonnés par ses propres goûts, naturellement axés autour de films consommés en masse et de la bulle de confort intellectuel qu’il trouve dans la culture…
Un peu comme celui qu’on retrouve nous-mêmes quand on binge-watch des séries les unes après les autres, ou qu’on avale des centaines de films disponibles sur la plateforme au gros N rouge pour notre culture, ou pas… Arrive un moment où tout cela fait partie de nous, où cela alimente nos rêves, notre contexte de référence, notre perception du monde, notre personnalité, où ça nous transforme.
Aussi cryptique et étrange soit-il, Je veux juste en finir ne dissimule aucun élément de compréhension et traduit avec brio la complexité et l’irrationalité du cerveau humain, tout en étant bien conscient de ce qu’il est : un film d’art et d’essai sur une plateforme de streaming grand public. Cet OVNI mal rogné en 4:3, comme en hommage au format qui a vu naître la carrière de son auteur sur le petit écran, écrase ses personnages dans des décors et des motifs kitsch rappelant la touche habituelle (car tendance) des produits Netflix. Pourtant, il tape une fois encore là où ça fait mal grâce au talent de Kaufman, qui dresse un constat absurde et touchant de la nature humaine et de notre rapport aux productions audiovisuelles de (et en) masse. Reste à voir si vous y serez personnellement sensible ou si, après dix minutes de visionnage, vous vous direz « je veux juste en finir ».
Florian Mollard-Coulon
Je veux juste en finir
Réalisé par Charlie Kaufman
Avec Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Collette
Thriller, Etats-Unis, 2h14
4 septembre 2020
Netflix