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Le Palmarès de la 77ème Mostra de la Réalité Virtuelle
En France, Venice VR Expanded a pris ses quartiers au Centquatre à Paris.
Best VR
The Hangman at Home de Michelle Kranot et Uri Kranot
Best VR Experience
Finding Pandora X de Kiira Benzing
Best VR Story
Sha Si Da Ming Xing (Killing a Superstar) de Fan Fan
Le Festival de Venise a bien eu lieu cette année. Mais la situation sanitaire ne nous aura pas permis d’y aller comme les années précédentes. Ainsi pas de pizzas, pas de cocas, pas réalité virtuelle sur la petite île dédiée uniquement à cela. Mais pour sa 77e édition la Mostra a décidé de délocaliser les œuvres de réalité virtuelle sélectionnées un peu partout dans le monde. En France, c’est le Centquatre qui a hébergé pendant plus d’une semaine le programme satellite Venice VR Expanded. Ainsi du 2 au 10 septembre, il était possible de découvrir 25 œuvres interactives, 9 œuvres cinématiques à 360 degrés et 6 Oculus Quest inédites. Les journées ont été très vite complètes, mais Phantasmagory a tout de même pu profiter de trois expériences interactives.
Here
Une pièce s’ouvre sur les époques et nous amène dans un voyage temporel.
La pièce est banale. Elle ne semble inviter à rien. Puis tout d’un coup, un carré s’agrandit, une date annonce à quelle époque nous sommes. Par instant, plusieurs temps cohabitent avant qu’un moment prenne le dessus. Les personnages passent et s’effacent, entrent et sortent du décor. Nous avons beau les suivre du regard, tourner la tête, marcher à leur suite, nous restons dans la pièce. Très vite, nous saisissons que plutôt que suivre et comprendre ce que vivent les différentes silhouettes, il faut s’intéresser au lieu. Car le personnage principal de Here est le lieu. Cette pièce qui défile et change de style ou d’apparence. Assis ou debout, nous voyons autour de nous les époques se succéder. Ce lieu qui paraît si lambda — une maison — prend vie et offre alors ses secrets. En adaptant le roman graphique de Richard McGuire, le créateur Lysander Ashton invite le spectateur à s’immerger dans l’image, à ressentir les différentes époques et à prendre acte de ce qui se déroule sous nos yeux. En cinq minutes, le temps défile et une maison si simple et typique, nous transporte à des moments où il n’y avait que la nature et où les humains ne faisaient que passer. Cela nous rappelle, qu’avant nous, il y avait une vie différente. Cela nous rappelle à tel point nous sommes petit.e.s sur cette terre.
Minimum Mass
Une malle s’ouvre et nous entrons dans le passé, le futur et le présent d’un couple qui à la suite d’une série de fausses couches se demandent si leurs enfants ne les attendent pas dans une autre dimension.
D’une beauté sidérale, Minimum Mass propose une exploration dans les souvenirs d’un couple qui traverse une période difficile. Nous sommes invité.e.s dès le début à tourner, monter et descendre puis ouvrir une boite avant de plonger dans le récit. Ce n’est pas nous qui décidons de la narration de l’histoire ni de son ordre, mais nous pouvons choisir le point de vue et le cadre des différentes scènes. Les deux créateurs invitent ainsi le spectateur à être à la fois acteur et observateur, récepteur de l’émotion et metteur en scène du conflit que vivent les personnages. Il s’agit de la première expérience en VR pour le couple de créateurs Raqi Syed et Areito Echevarria. Cette histoire personnelle se déroule à Rotorua en Nouvelle-Zélande. Cet endroit unique où les couleurs se rencontrent et donnent un paysage presque surréaliste est mis en confrontation avec l’image du trou noir. Autour des scènes qui se jouent, nous flottons dans le vide. Nous sommes sans doute les enfants qui n’ont pas vu le jour. Enveloppé.e.s dans le noir, notre regard se pose là où l’action prend place. Sans y prendre part, nous pouvons choisir d’où regarder la scène. Ce choix, audacieux, de laisser l’audience hors de la scène — et non au centre comme bien souvent — permet de ne pas prendre parti, mais également aux deux créateurs de modifier l’état de la pièce en fonction de l’émotion ressentie du personnage. Ainsi quand la mère berce une peluche en forme d’ours en lui parlant comme à son enfant, la chambre d’enfant est détruite sur les bords : marque de la fragilité de cette femme brisée par les épreuves. Tandis que quand le père détruit le landau, la chambre est complète : il y a une idée de déconstruire pour reconstruire par la suite. Sans chronologie et entrecoupé de moments poétiques où nous sommes entourées de matières noires, presque organiques, le récit est à reconstruire une fois l’expérience finie et doit être ressenti pour être pleinement profité. L’œuvre sera à découvrir fin septembre pendant le festival NewImages.
The Hangman At Home
À quoi pense le bourreau quand il rentre chez lui ? Laisse-t-il ses soucis à la porte de sa maison pour jouer avec son enfant ?
Adaptation d’un poème de Carl Sandburg, The Hangman at home propose au spectateur d’ouvrir des portes. Plutôt qu’un récit linéaire, nous voici à découvrir, tels des voyeurs, des instants de vie. Nous dégringolons vers la planète, puis dans une ville pour finir dans une pièce vide où quatre chemins sont possibles. Nous sommes invité.e.s à tous les explorer. La voix d’Anne Dorval — pour la version française — nous accompagne à travers nos interrogations et questionne notre rapport aux autres et à la morale. Le bourreau, visage ignoble de notre société — c’est celui qui tue, métaphore de celui qui fait un boulot sale et rabaissant — est vu dans sa vie quotidienne (avec sa fille), mais également dans des instants plus banals et moins poétiques (comme essayer d’enfiler un préservatif). D’autres scènes semblent anonymes (un homme qui écoute de la musique dans un champ de ruine ou encore une vieille dame qui sur son lit de mort se fait voler ses bijoux). Qui sont ces personnages que nous dévisageons et qui finiront par nous dévisager, nous mettant dans la position désagréable d’avoir été pris sur le fait : celui d’épier et d’observer un moment qui n’était pas le nôtre à voir ? Il ne reste plus qu’à plier bagage et tenter une ouverture différente pour plonger une nouvelle fois — accro à l’expérience que nous sommes — dans un souvenir. Grâce à des dessins animés d’une étrange beauté, les créateurs Michelle et Uri Kranot invitent sans cesse à nous remettre en question. Après le premier regard caméra appuyé, nous sommes obligés de nous demander ce que nous faisons là. The Hangman at home est un poème et une expérience virtuelle qui nous met face à nos jugements. Chaque humain mérite d’avoir une vie. Qui sommes-nous pour juger ? Chaque humain mérite une vie digne. Comment pouvons-nous les laisser dans cet état ? À la fin, l’expérience nous invite à jouer notre propre musique avec des objets du quotidien et à nous révéler maîtres de nos destins. Une réalisation forte et dérangeante qui a remporté le Grand Prix du jury pour la meilleure œuvre immersive à la 77e édition de la Mostra de Venise.
Marine Moutot
Merci à Lorenzo Feldhandler de m’avoir permis de découvrir ces œuvres.
Here
Réalisé par Lysander Ashton
Grande-Bretagne, États-Unis – durée 5′
Minimum Mass
Réalisé par Raqi Syed et Areito Echevarria
Nouvelle-Zélande, France, États-Unis – durée 20’
The Hangman at home
Réalisé par Michelle Kranot et Uri Kranot
Avec la voix d’Anne Dorval
Danemark, France, Canada – durée 25’
2 commentaires sur « Venice VR Expanded au Centquatre »