Impressions / Bilan
Quel bonheur de retrouver la salle de cinéma et l’ambiance d’un festival audacieux. Même masquées et avec les distanciations physiques de rigueur, les films ont rencontré un beau succès ! En plein cœur de Paris, au Forum des Images, s’est tenu, du 2 au 13 septembre, l’Étrange Festival. Pour cette 26e édition, le festival qui s’autoproclame « oasis cinématographique » propose encore une fois une sélection riche et foisonnante de longs et courts métrages insolites. Pour notre première année à couvrir le festival, nous avons ainsi pu découvrir des films passionnants comme Larmes de Clown de Victor Sjöström (HE who gets slapped, 1924) en ciné-concert avec Retour de Flamme présenté et accompagné au piano par l’excellent et énergique Serge Bromberg ou encore en avant-première Teddy des jeunes frères Ludovic et Zoran Boukherma (qui sortira début 2021 en France), Kajillionaire de la fantasque et drôle Miranda July (30 septembre en salles), Tomiris, film kazakh d’Akan Satayev qui a reçu le Grand Prix Nouveau Genre et aura ainsi le droit à une diffusion prochaine sur l’antenne Canal +. D’autres nous ont laissées plus dubitatives comme The Trouble with being born (Die Last Geboren Zu Sein) de la réalisatrice allemande Sandra Wollner ou Get The Hell Out du Taïwanais I. – Fan Wang. Mais tous les films possèdent un charme, un intérêt indéniable que nous allons nous appliquer à vous transmettre. D’autant plus grâce aux quelques rencontres avec les équipes des films et les présentations complètes et intéressantes de l’équipe du festival. C’était une édition haute en couleur et nous remercions les équipes du Forum des Images et de l’Étrange Festival pour l’avoir rendue possible et pour leur dévouement. Un grand bravo et un grand merci !
Preuve de cette réussite : les spectateurs et spectatrices étaient au rendez-vous. Le site du festival annonce que, malgré les mesures sanitaires, l’Étrange Festival « a eu la joie d’accueillir 17 500 spectateurs avec un taux d’occupation de 67,6 % (en considérant une jauge des salles limitées à 60 %). »
Retour sur nos découvertes plus ou moins bonnes, mais toujours surprenantes et variées.
Édito de l’équipe du festival
ÉDEN ÉDEN ÉDEN
Lors de sa création L’Étrange festival eut la grandiloquence de s’autoproclamer « oasis cinématographique », sans autre sens que d’alerter toute spectatrice ou spectateur franchissant nos portes qu’un programme inédit, enchanteur ou particulier allait lui être offert.
Presque trente ans plus tard, pendant que le monde s’agite et se débat afin d’atteindre un certain équilibre qu’il ne trouvera probablement jamais, la passion et la volonté de vous surprendre, de notre côté du miroir, est restée entière, comme au premier jour.
Et cette vingt-sixième édition, conçue en plein cœur d’une tempête frénétique, rebattant les cartes comme jamais auparavant, nous à forcé à vous concocter le plateau cinématographique le plus goûtu du moment.
Des toujours aussi tapageuses compétitions de courts et longs métrages aux cartes blanches de nos deux glorieuses invitées, en passant par les hommages, les focus, les si précieuses pépites, l’immanquable Retour de Flamme ou un enchanteur échantillon de ce qui se fait de mieux sur la planète Cinéma, tout ce qui fait l’alchimie de la manifestation depuis sa création se retrouve encore cette année comme attiré par un meilleur des mondes possible, où n’existe aucune frontière des genres, et où tout est permis.
Bien sûr, un tel accès n’est pas simple et Dame Nature est là pour nous le rappeler.
C’est ainsi que vous trouverez quelques indications précieuses sur la façon de circuler dans l’enceinte de la manifestation pendant ces douze journées passionnantes.
Si tous ensemble nous respectons bien les mesures conseillées, alors nous allons vivre une édition comme aucune autre, et échapper un bref instant à ce monde pour y substituer un « presque » jardin d’Éden. Soyez-en sûr. Nous vous y attendons. Toujours avec la même gourmandise.
L’ÉTRANGE FESTIVAL
Le titre de cet édito fait référence à l’œuvre de Pierre Guyotat, l’un des plus grands écrivains français, disparu cette année et à qui nous dédions cette édition tout autant qu’à Philippe Nahon et Genesis P-Orridge.
Palmarès
Compétition internationale long métrage
Grand Prix Nouveau Genre Canal +
Tomiris, Akan Satayev
Prix du Public
Kajillionaire, Miranda July
Compétition internationale court métrage
Grand Prix Canal +
Amandine, Juan Carlos Mostaza
Prix du Public
Nuage, Joséphine Darcy Hopkins
Fanny Lye Deliver’d་ (Thomas Clay, 2019)
Sélectionné en Compétition Internationale.
1657, le roi est mort et la République est installée en Angleterre. Violente et profondément chrétienne, des groupes athées commencent à se former. Pourchassés et tués, ils vivent dans l’ombre. Un jour, un jeune couple survit à un massacre et trouve refuge dans une ferme. Ils croisent alors le chemin de Fanny Lye.
Fanny Lye Deliver’d invente le personnage de Fanny Lye et décide de la libérer du joug du patriarcat. Une voix off nous guide dans la longue évolution d’une femme soumise à l’autorité de son mari à une femme libérée de tout carcan. Cette voix off est celle d’un ange qui observe cette libération : Rebecca qui arrive en compagnie de son amant, Thomas, nue et blessée dans la grange des Lye. Rebecca est elle aussi soumise à l’autorité d’un homme, mais comme celui-ci prône la liberté et la jouissance des corps et des attractions terrestres, la soumission semble plus douce. Pour montrer et exprimer la soumission des femmes aux hommes, le scénario n’hésite pas à insister sur sa condition basse : Fanny est découverte en train de récurer les latrines quand Rebecca la présente, par la suite le père l’appelle girl (elle n’est même pas une femme, mais une petite fille) et n’hésite pas à la rabaisser devant son fils. De son côté, Rebecca est la plus faible des deux. Thomas doit la protéger, car elle est incapable de le faire seule. De la même manière, les hommes sont tous cruels dans Fanny Lye Deliver’d. Que ce soit John, le mari qui prend plaisir à fouetter sa femme et son fils pour les garder dans le droit chemin, Thomas le prêcheur athée qui n’hésite pas à briser par la violence les Lye et leur amour prude ou encore Le Grand Shérif qui est à la poursuite du couple athée. Il n’hésite pas à crever les yeux d’un pauvre bougre, à tuer à un enfant et à violer Rebecca et Fanny. Figure d’autorité et de l’État démocratique, il est le pire. Si le scénario est un peu trop binaire, il a pourtant la force et l’intérêt de nuancer les personnages féminins — plus que les masculins — et leur soumission. Le sujet du film est réellement là.
De plus, la mise en scène vient montrer cette vision étriquée du monde que chacun peut avoir. Au début du long-métrage, la caméra se concentre sur des objets, des parties de corps. Il n’y a une vision d’ensemble que quand la voix off commence et nous parle de Fanny. Avant cela, la mise en scène représentait-elle — en partie — la vision réduite que possédait Fanny sur le monde, aveuglée par des croyances et des mythes patriarcaux qui ne pouvait pas montrer des corps nus dans le paysage — la séquence d’ouverture s’ouvre sur Rebecca et Thomas chassés ? Le cinéaste anglais Thomas Clay — même prénom que le fugitif, se verrait-il lui-même en agitateur de conscience ? – après onze ans d’absence (The Great Ectasy of Robert Carmichael), écrit, réalise, monte et compose la musique de ce film féministe et violent. L’ambiance, nimbée de brume, et la musique jouée avec des instruments d’époque renforcent le côté historique et ancien. C’est comme si nous plongions dans un autre temps, une autre histoire qui pourtant semble fort similaire à la nôtre. M.M
Get The Hell Out་ (I. -Fan Wang, 2020)
Sélectionné en Compétition Internationale.
Lors d’un sommet au Parlement, un virus est libéré et tous les membres de la réunion sont transformés en zombies. C’est le début d’une folle course-poursuite dans les coulisses du pouvoir.
Une phrase de la présentation avisée en amont de la projection m’a mise d’entrée de jeu dans l’atmosphère du film : les films taiwanais sont plus barrés que les films hongkongais. Et bien que je ne sois pas spécialiste en cinéma de Hong-Kong, effectivement, la séance était bien barrée ! Get the hell out s’ouvre sur quelques mots très justes en se moquant de lui-même : “un mauvais gouvernement vous fait souffrir 4 ans, un mauvais film 2 heures”. D’emblée il s’inscrit dans la parodie, le grotesque et le burlesque, jouant énormément du comique de situation.
Dans ce huis clos parlementaire, le ridicule de la classe politique ressort atrocement par l’exagération du jeu, des situations mais aussi de la mise en scène. Très empreint de pop culture, le cinéaste multiplie les arrêts sur image sur les visages grimaçants dont les contours sont ensuite redessinés à l’ordinateur. Le jeu-vidéo est aussi présent notamment dans une scène de combat en plan-séquence, complètement loufoque, à la Street fighter. D’ailleurs, le fantastique ne tarde pas à se mêler à la potion lorsque le personnage principal découvre son super pouvoir. Les effets spéciaux sont un peu grossiers du fait de leur exagération mais le film étant un délire sanglant, ils sont tout à fait acceptables. C’est un long-métrage de la surenchère où même l’univers sonore déborde, empli de bruitages et de musiques en permanence.
Get the hell out répond aussi totalement aux codes du film de zombies : des personnages enfermés dans un lieu, des hordes infinies de zombies sensibles au bruit et… une famille (recomposée). Le père ne parle jamais de ses sentiments et finit par se sacrifier, la belle-mère est distante mais bad-ass, le héros (futur gendre) timide mais se révèle dans l’épreuve et la fille courageuse. À cela s’ajoutent l’employé effrayé et effacé et le traître manipulateur et égoïste – encore un homme de pouvoir (comme dans Dernier train pour Busan, Sang-Ho Yeon, 2016). Le caractère stéréotypique, totalement assumé, fonctionne et les personnages deviennent rapidement attachants. Dommage que l’héroïne qui semblait être le personnage principal passe au second plan pour ne quasiment plus être que le love interest du héros. D’autant que le récit semblait aborder des questionnements intéressants sur la masculinité – rapidement abandonnés.
Get the hell out n’est clairement pas mon genre de film mais sa manière d’assumer totalement ses propositions en fait une oeuvre tout à fait réussi. Un film de zombies complètement barré. M.K
L’Homme du président་ (Namsanui Bujangdeul, Min-Ho Woo, 2020) et Amandine (Juan Carlos Mostaza, 2020)
Film de la Clôture. Précédé du court-métrage « Amandine » de Juan Carlos Mostaza, prix Canal +.
1979, Corée du Sud. Le président est assassiné par des proches du gouvernement. Retour 40 jours plus tôt.
La soirée de clôture de L’Étrange Festival était l’occasion d’une avant-première du film coréen L’Homme du président, une première française par The Jokers. Après l’annonciation d’un palmarès très satisfaisant, la séance s’est ouverte par la projection du court-métrage ayant reçu le prix Canal + : Amandine du réalisateur espagnol Juan Carlos Mostaza. Le film s’inscrit dans un héritage classique – un psychopathe séquestre une jeune femme – et peine à se montrer original avec un jeu un peu exagéré et une intrigue assez peu élaborée. C’est son atmosphère lourde, glaçante et sanglante qui fait sa réussite. Les plans rapprochés, la photographie en clair obscur et les flashbacks répétitifs finissent par générer un frisson (voire plusieurs – le gore n’y est pas pour rien) chez le spectateur tout d’abord – un peu – sceptique.
Le décor est planté, l’atmosphère tendue, place au long-métrage !
Le générique d’ouverture de L’homme du président donne le ton : images d’archives en noir et blanc complétées par des bandeaux informatifs et mises en valeur par une marche guerrière assez épique. Le thriller veut presque devenir reconstitution historique. Bien que le récit soit entamé simplement – le chef de la KCIA fuit la Corée du Sud pour les États-Unis pour dénoncer le régime et ses pratiques et son remplaçant part à sa recherche -, l’intrigue se complexifie à mesure que le destin des personnages s’assombrit. Corruption, meurtres, torture, luttes de pouvoir et trahison, autant d’éléments nécessaires à un bon thriller qui devraient plaire aux amoureux du genre. La photographie classique mais réussie soutient une enquête de plus en plus tortueuse et sanglante sur un fait historique encore peu connu. M.K
Kajillionaire་ (Miranda July, 2020)
Sélectionné en Compétition Internationale.
Prix du Public.
Old Dolio vit avec ses parents, Theresa et Robert, entre arnaques et petits délits. Un jour, alors qu’ils sont sur un gros coup, Melanie les rejoint au pied levé. Pour Old Dolio, c’est la fin d’une époque et le début des interrogations.
Avec ce troisième long-métrage — en 15 ans —, la cinéaste et plasticienne américaine Miranda July frappe un grand coup. Autant le dire d’entrée de jeu, Kajillionaire est notre coup de cœur de l’Étrange Festival — et à raison : il a gagné le Prix du Public.
Directement inspiré du slapstick à la Buster Keaton, Kajillionaire est un burlesque contemporain à l’image de ceux du duo belge Abel/Gordon. Postures abracadabrantes, comique de situation et scénario original et inventif sont au rendez-vous. Il est tout bonnement hilarant, bizarre, absurde, farfelu et tant d’autres adjectifs fantasques.
Lumineuse et solaire, la photographie ne nous trompe pourtant pas. Sous des dehors humoristiques, Kajillionaire est un révélateur de questionnements sérieux et d’actualité allant de la dénonciation de la surconsommation à l’abandon des personnes âgées — avec une scène déchirante au constat mordant. Mais le thème central du film est la parentalité toxique. Les parents d’Old Dolio — baptisée en hommage à un SDF ayant gagné au loto — sont des affreux, des vrais, qui pourraient totalement sortir d’un livre de Roald Dahl. Depuis son plus jeune âge, O.D. est élevée sans affection, coupée du monde et formée à devenir à la fois faussaire et voleuse. Instrumentalisée, la jeune femme grandit dans un système de croyances étrange dans lequel elle dépend totalement de ses parents alors qu’elle est leur moyen de subsistance. À croire qu’il s’agit d’une expérience scientifique. La jeune femme grandit, incapable d’être touchée et traumatisée par le rejet maternel, masquée par une chevelure abondante. Evan Rachel Wood excelle dans ce rôle.
L’arrivée de Melanie, rencontrée lors d’une énième arnaque, bouleverse le quotidien du trio et met en avant la tristesse de ce quotidien de manipulation. Melanie est l’exacte opposée d’Old Dolio, incarnée avec fraîcheur et humour par Gina Rodriguez (Jane the Virgin) : une mère possessive et intrusive, une beauté sensuelle qu’elle assume avec des cheveux ondulés ébène et de petites tenues moulantes — ce qui lui vaut un « porte plus de vêtements, tu mets tout le monde mal à l’aise » d’O.D. Tout d’abord rivales — Melanie devient une fille de substitution pour les parents d’O.D. —, un érotisme fantasque s’installe rapidement entre les deux femmes et une scène géniale de décollage de faux-ongles intensifie leur relation — tout concorde pour illustrer une parodie de scène de drague. L’émotion et la tendresse de Melanie pour O.D. sont extrêmement flagrantes et touchantes. L’ensemble du film s’amuse de détails cocasses, à la fois absurdes et touchants : une danse sur une musique d’attente d’un service après-vente, une mousse rose dégoulinant du plafond à heure fixe, dix-huit ans de cadeaux d’anniversaire ou encore une séquence dans les toilettes où O.D et Melanie se pensent mortes. Le tout sur fond de voûte céleste avec un dialogue extrêmement drôle.
Kajillionaire est un film astucieux, visuel, poétique et plein de sens qui nous surprend en permanence.
Larmes de Clown་ (He Who Gets Slapped, Victor Sjöström, 1924)
Ciné-concert Retour de Flamme.
Le scientifique Paul Beaumont a enfin trouvé la réponse à des années de recherches. Mais sa femme et le baron qui l’héberge le trahissent et lui vole ses travaux. Dépité, il se retire dans un cirque et devient HE, le clown qui reçoit des gifles.
La très attendue séance Retour de flamme de Lobster Films n’a encore une fois pas déçu. Cette fois-ci, Serge Bromberg, interprète-pianiste et animateur de la séance, a présenté Larmes de clown. Avec ce film, nous revenons aux débuts de la MGM — en 1924 — avec une grande star du muet, du masque et du déguisement : Lon Chaney (Le Fantôme de l’Opéra, Rupert Julian, 1925).
C’est l’histoire d’un cœur brisé et d’un homme trahi qui, tout au long de sa vie, n’aura plus une once de bonheur. Une œuvre assez pessimiste, en soi. La magie du muet – et de Lon Chaney – est de réussir à nous transmettre la détresse et la tristesse du personnage principal. Embrassant sa déchéance, le scientifique décide d’incarner sa caricature : après avoir fait face aux coups du sort, il devient celui qui reçoit les claques. Dans la tradition des grands mélodrames, ce long-métrage muet exprime et interroge toute la souffrance du monde. Pourquoi les femmes et les hommes rient-ils du malheur d’un clown qui, dès qu’il ouvre la bouche, se fait frapper ? Pourquoi la gifle, si violente et rabaissante, fait-elle rire ?
Le récit interroge également le lien entre argent et bonheur. Le père de Consuelo – la jeune écuyère qui vient d’intégrer le cirque pour subvenir aux besoins de son père désargenté – est prêt à vendre sa fille pour un peu d’argent et d’estime. Qu’est-ce qu’un titre comparé au bonheur de sa fille ? Le cinéaste suédois Victor Sjöström (La Charrette Fantôme, 1921 ; Le Vent, 1928) questionne ainsi la nature humaine dans ses plus bas retranchements, mais offre également des moments de pure poésie : quand le clown arrache son coeur et doit le recoudre tous les soirs – comme Prométhée dont le foie est mangé et repousse quotidiennement. Ou encore quand Consuelo et son amoureux sont dans une clairière à vivre un instant idyllique. Cette image d’Épinal du couple vivant d’amour et d’eau fraîche est contrebalancée par le bruit du coucou fait par un homme qui passe et les voit. Le réalisateur rappelle que la beauté possède toujours quelque chose de laid.
Le muet est un langage cinématographique à part. Pour bien faire comprendre aux spectateurs le message derrière l’image, le cinéaste n’hésite pas à avoir recours à la caricature. Au début du film, c’est l’image du scientifique qui a une révélation en tournant un globe – belle image qui renvoie au ballon que le clown tournera par la suite pour amuser la galerie, mais également pour représenter le monde dans lequel évolue l’histoire et le temps qui passe, répétitif. Pour montrer le lâcher prise, la non retenue face au clown qui se faire gifler, Sjöström met au bord de la scène trois personnes en surpoids qui rient à gorge déployée ou même en mangeant une pomme. Cette insistance de l’image renvoie également aux personnages très binaires : la femme mûre très vénale contre la jeune femme très prude, innocente et gentille. Le Baron est machiavélique et n’hésite pas à voler un scientifique brillant mais pauvre. Il est d’ailleurs prêt à souiller Consuelo en la couvrant de cadeaux sans l’épouser, quand le père réussit à le convaincre, il touche le collier de perle – qu’il venait d’offrir à la jeune femme mais que le père venait de retourner – comme un chapelet.
Larmes de Clown est une magnifique histoire tragique, passionnante à décrypter. Le talent de Lon Chaney, dont le visage se métamorphose en permanence, donne vie à HE, ce clown si triste qui fait rire tellement.
Teddy་ (Ludovic et Zoran Boukherma, 2019)
Séances Spéciales.
Avant-première française en présence de l’équipe.
Teddy, 18 ans, vit dans les Pyrénées avec sa grand-mère et un oncle. Amoureux de Rebecca, il construit déjà son avenir avec elle. Un jour, il est mordu par un loup. Commence pour lui une longue série de symptômes étranges.
Un loup-garou en France ? C’est ce que nous proposent les deux cinéastes Ludovic et Zoran Boukherma en transposant le genre horrifique des loups-garous dans la région très calme des Pyrénées (pour les fins connaisseurs, les références sont Ginger Snap et Le Loup-garou de Londres). En reprenant une mise en scène de série B, voire parfois de Z, totalement assumée, le film a un air un peu désuet qui donne du charme à l’ensemble. Mais plutôt que d’essayer de faire un film de genre à l’américaine ou à l’anglaise, le duo adapte le récit en France et réussit à la fois à conserver les codes du genre et à les réinventer. Après un premier film audacieux, Willy 1er (dont une photo trône sur la cheminée de Teddy, en souvenir), ils proposent une nouvelle fois le portrait d’un homme inadapté à une société qui l’ignore. Teddy est un jeune motivé et dynamique, à l’humour salace et grossier qui souhaite fonder une famille avec sa petite copine. Son rêve est simple : une maison en haut d’une colline. Mais suite à une morsure pour le moins suspecte, le jeune homme voit des choses changer en lui : des poils sur la langue, dans l’œil, ses doigts et ongles rouges — transformation apparentée à la lycanthropie. Quand il rêve qu’il mange l’orteil de sa grand-mère — geste qui renvoie à Grave (Julia Ducournau, 2016) et à la puberté —, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Ces changements sont doublés de moments jouissifs où sans souvenirs, il se retrouve nu et souvent en sang. Après ces tueries, il se sent revivre. Teddy devient lui-même, vivant, en contournant les règles de la société. Pourtant, il lutte aussi contre les transformations qui s’opèrent, contre ces moments d’ivresse qu’il oublie. Il veut rester dans le chemin que la communauté des humains a tracé pour lui. D’ailleurs, le mythe du loup-garou sert ici à montrer un homme hors du système qui perd la tête.
Si Teddy est une réussite, c’est également grâce à la performance d’Anthony Barjon (La Prière de Cédric Kahn, 2018 ; Tu mérites un amour de Hafsia Herzi, 2020). Ce jeune acteur français donne à Teddy un côté sympathique et tendre. Il offre, avec sa prestation, une cohérence à l’ensemble et est complété par un casting parfait : Christine Gautier, Ludovic Torrent et Noémie Lvovsky (dont le charme et la folie font toujours autant d’effet).
Avec son humour noir et décalé — jamais gore —, Teddy est une représentation de notre société contemporaine et de ses problèmes masqués par le genre et une fine analyse de la situation actuelle où l’humain est un prédateur pour l’humain et son environnement (et non le loup sur lequel nous reposons tous nos problèmes). M.M
Tomiris་ (Akan Satayev, 2019)
Sélectionné en Compétition internationale. Première Européenne.
VIe siècle avant JC. Enfant, Tomiris voit son père, roi des Massagètes, assassiné sous ses yeux. Obligée de fuir, elle grandit avec le désir de se venger.
Ce film découvert en ouverture du festival est une bonne entrée en matière. Long-métrage sur l’histoire de la dernière grande reine amazone, le récit offre le portrait de femmes fortes et puissantes. Il a reçu le Grand Prix Nouveau Genre au festival et aura donc une diffusion sur Canal +. Espérons malgré tout que le film bénéficie d’une sortie en salles, car il mérite par sa mise en scène somptueuse d’être vu sur grand écran.
En adaptant le texte d’Hérodote sur les peuples nomades, le cinéaste kazakh Akan Satayev réalise une grande épopée historique. Tomiris, dont le nom voudrait dire fer et métal en mongolien et turcique ou encore Courage glorieux en langue iranienne orientale (1), est une jeune fille dont le père est sauvagement assassiné sous ses yeux et qui va devenir l’une des reines et guerrières les plus puissantes des peuples nomades. Le film suit ainsi de manière classique son parcours, de sa naissance à sa dernière grande victoire. Les femmes à l’égal des hommes dans ces temps durs et cruels qu’était l’Antiquité ? Si le film part sur cette hypothèse et s’éloigne de l’image des Amazones aux seins coupées et tueuses d’hommes, c’est que des textes et des fouilles archéologiques ont prouvé ces faits. L’ouvrage sur ce sujet d’Adrienne Mayor, Les Amazones, quand les femmes étaient les égales des hommes (La Découverte, 2017) est passionnant. Ainsi, le long-métrage Tomiris montre ces femmes valeureuses. Guerrières, mères, reines, elles pouvaient être tout cela à la fois. Les apartés où Hérodote écrit son texte, pauses dans le récit, sont des faire-valoir. Il semble important pour le cinéaste que le spectateur croit, au moins un peu, aux images qui suivent. Cela fait partie de l’histoire de son pays.
Outre une histoire de vengeance et d’amour, le film se base sur une mise en scène puissante qui montre l’évolution du personnage de Tomiris. La bataille finale, filmée du ciel, est magnifique et montre la fine stratège qu’est devenue l’héroïne. Si certains moments sont un peu plus kitchs et moches — les séquences avec le lion par exemple — nous lui pardonnons, car le film est un grand péplum comme nous n’en faisons plus beaucoup. L’actrice, Almira Tursyn — dont il s’agit du premier rôle — est magnifique et incroyable en Tomiris adulte (les plus jeunes interprètes ne sont parfois pas très justes). Tomiris est ainsi un long-métrage féministe et féminin, passionnant et épique. M.M
Source : (1) Les Amazones, quand les femmes étaient les égales hommes, Adrienne Mayor, La Découverte, 2017
The trouble with being born་ (Die Last Geboren Zu Sein, Sandra Wollner, 2020)
Mondovision / Première Française.
Elli, une enfant-androïde, remplace la fille disparue depuis dix ans d’un homme. Seuls, ils vivent dans une grande maison au bord d’une forêt. Programmée pour répondre à ses moindres désirs, elle vit ses jours dans le besoin de le satisfaire devenant une nymphette très nabokovienne.
Sélectionné à la Berlinale en février, The Trouble with being born est un film dont la réputation subversive suit et précède — un débat houleux aurait suivi la première séance sur les réseaux sociaux. Annulé dans un festival en Australie, ce second long-métrage était donc parfait pour l’Étrange Festival. Avec une ambiance sombre, mais visuellement assez pauvre, le film déçoit pourtant. Si la référence à Under The Skin — revendiquée par la réalisatrice — dans le traitement des personnages aurait pu être intéressante, ici, au contraire nous nous éloignons de l’histoire/perdons le fil du récit, éclaté en plusieurs parties (entre flashbacks, flashforwards, rêves et fantasmes, tout se mêle et s’emmêle). Après une première partie mystérieuse, où le quotidien d’Elli est composé d’un ennui qui nous ennuie/plombe/endort, la cinéaste perd définitivement son audience dans une deuxième partie nébuleuse où Elli emménage chez une vieille dame et devient Emil un garçon-robot en intégrant les souvenirs du frère décédé il y a quarante ans.
La photographie, volontairement sombre — rendant les formes difficiles à distinguer malgré l’écran particulièrement lumineux du Forum des images —, ne convainc pas et épuise nos yeux déjà fatigués. Et l’univers sonore, souvent trop chargé, nous emplie l’ouïe sans qu’un sens s’en dégage – oui, les intérieurs sont calmes et les extérieurs bruyants, c’est compris. Si l’interrogation de départ : poser la question de la pédophilie et des androïdes est passionnante et nécessaire, tous les protagonistes sont totalement coupés de la société et donc du réel. Rien ne semble les atteindre. En dehors du plan, rien n’existe. Ici l’universel n’atteint jamais le pas de la porte. Il devient alors difficile d’y croire, car nous ne savons rien des personnages, dépourvus d’ancrages psychologiques (non, l’ennui ne suffit pas à créer des personnes et à les faire vivre devant la caméra). En voulant faire un film en osmose avec les émotions d’Elli et d’Emil, nous faisons face au vide — et il n’est même pas inquiétant.
La vacuité du récit — qui se voudrait complexe — et son manque de clarté, doublé d’une mise en scène terne plombe The Trouble with being born. Deux scènes nous avaient pourtant procuré un regain d’espoir — la noyade d’Elli et sa fuite en forêt — par leur atmosphère, l’une absurde, l’autre anxiogène. Espoir rapidement éteint. Ellipses et répétitions ne suffisent pas à faire un bon film. Dommage…
Manon Koken et Marine Moutot
Amandine
Réalisé par Juan Carlos Mostaza
Avec Mariam Hernandez et Javier Pereira
Horreur, Espagne, 19 min
Date de sortie inconnue
Fanny Lye Deliver’d
Réalisé par Thomas Clay
Avec Maxine Peake, Charles Dance, Freddie Fox
Western, Angleterre, 1h50
Date de sortie inconnue
Get The Hell Out
Réalisé par I. -Fan Wang
Avec Wang You-Wei, Bruce Ho, Hsiung Ying-Ying
Comédie Horrifique, Taïwan, 1h40
Date de sortie inconnue
L’Homme du Président (Namsanui bujangdeul)
Réalisé par Min-ho Woo
Avec Lee Byung-Hun, Sung-min Lee, Do-Won Kwak
Thriller, Corée du Sud, 1h54
4 novembre 2020 en DVD
The Jokers
Kajillionaire
Réalisé par Miranda July
Avec Evan Rachel Wood, Richard Jenkins, Debra Winger, Gina Rodriguez
Comédie, États-Unis, 1h46
30 septembre
Apollo Films
Larmes de Clown
Réalisé par Victor Sjöström
Avec Lon Chaney, Norma Shearer, John Gilbert
Drame, États-Unis, 1h11
Lobster Films
Teddy
Réalisé par Ludovic et Zoran Boukerma
Avec Anthony Bajon, Ludovic Torrent, Christine Gautier
Comédie, Fantastique, France, 1h28
13 janvier 2021
The Jokers
Tomiris
Réalisé par Akan Satayev
Avec Almira Tursyn, Adil Akhmetov, Erkebulan Dairov
Drame historique, Kazakhstan, 2h06
Date de sortie inconnue
The trouble with being born
Réalisé par Sandra Wollner
Avec Ingrid Burkhard, Susanne Gschwendtner, Simon Hatzl
Science-fiction, Drame, Allemagne, Autriche, 1h34
Date de sortie inconnue
6 commentaires sur « Retour sur la 26e édition de l’Étrange Festival »