Crédit photographique de couverture : Carole Bellaïche
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Il est difficile de résumer Isabelle Huppert tellement elle semble avoir eu de vies. En l’espace de presque 50 ans de carrière, elle a joué dans plus de 120 films pour le cinéma (dont des doublages de films d’animation [Fantastic Mr Fox, 2009, L’île aux chiens, 2018]) et une vingtaine pour la télévision (épisodes de séries inclus), interprété une trentaine de rôles pour le théâtre (dont une adaptation célèbre d’Orlando de Virginia Woolf par Bob Wilson au Théâtre de l’Odéon), créé une société de production, fait plusieurs lectures publiques, sortie des disques. Dire qu’elle est une travailleuse acharnée semble faible face au monument qu’est sa carrière. Devenue indispensable au cinéma français, comme à l’international, elle a reçu de nombreux prix : deux Césars de la meilleure actrice (La Cérémonie, 1996 ; Elle, 2017), un Golden Globe (Elle, 2017), deux prix d’interprétation à la Mostra (Une Affaire de femmes, 1988 ; La Cérémonie, 1996), deux prix d’interprétation à Cannes (Violette Nozière, 1978 ; La Pianiste, 2001) et tant d’autres à travers le monde. Reconnue, elle a travaillé avec les plus grand.e.s : Claude Chabrol, Michael Haneke, Benoit Jacquot, Bertrand Blier, Jean-Luc Godard, Diane Kurys, Maurice Pialat, Andrzej Wajda, Olivier Assayas, Christophe Honoré, Claire Denis, Anne Fontaine, Catherine Breillat, Mia Hansen-Løve, Paul Verhoeven… Mais également avec de jeunes cinéastes ou dans des premiers films, n’hésitant ainsi pas à prendre des risques : Les Sœurs fâchées d’Alexandra Leclère, Saint-Cyr de Patricia Mazuy, Home d’Ursula Meier, My Little Princess d’Eva Ionesco. Isabelle Huppert est partout. Actrice internationale, elle parle couramment russe, italien et anglais, ce qui lui a permis de jouer de nombreux rôles à l’étranger dont les derniers en date sont pour le cinéaste coréen Hong Sang-soo (In Another Country, 2012, et La Caméra de Claire, 2017, tournée pendant le Festival de Cannes) et le cinéaste irlandais Neil Jordan (Greta, 2018, où elle joue une femme qui harcèle puis kidnappe des jeunes femmes pour tromper sa solitude). Le dernier rôle où il est possible de la découvrir dans les salles obscures, une nouvelle fois excellente et surprenante, est celui de Patience Portefeux dans la comédie de Jean-Paul Salomé, La Daronne (sorti début septembre) où elle parle arabe. Isabelle Huppert sait se dévouer corps et âme aux rôles qu’elle incarne. C’est sans doute pour cette raison que sa carrière est si foisonnante et si longue. Dès ses premiers rôles, elle prouve qu’elle peut incarner le fantasme d’un cinéaste sans perdre son intégrité et sa manière de jouer. Libre, belle, douce, discrète, sensuelle, désirable, rêveuse, puis manipulatrice, perverse, rigide, bourgeoise et drôle, Isabelle Huppert peut être tout cela à la fois. Et surtout, elle est toujours convaincante.
Si par instants, elle s’égare dans des œuvres plus mauvaises, elle a su innover et faire des choix de carrière judicieux — quand on fait autant de choses, il est normal d’avoir quelques ratés. D’ailleurs, ce sont souvent les récits ou les mises en scène qui sont ternes, rarement elle, qui trouve toujours le ton juste, le geste parfait. Consciente que sa boulimie du travail, peut-être parfois compliquée à gérer, elle n’hésite pas à se mettre en scène dans le quatrième épisode de la saison 3 de Dix pour cent. En une nuit, elle doit être simultanément sur deux plateaux de tournage d’un bout à l’autre de Paris, dont un pour des producteurs américains – leur contrat lui interdisant toute autre activité. Cela aurait pu être une parodie sauf qu’en regardant sa filmographie, cela devient totalement possible. Fée de l’organisation, elle trouve même le temps, pendant une semaine et demie, de présider le jury du célèbre Festival de Cannes en 2009.
Arte lui consacre actuellement une rétrospective de six films : Madame Hyde de Serge Bozon (2015) ; La séparation de Christian Vincent (1994) ; Eva de Benoît Jacquot (2017) ; Un barrage contre le Pacifique, de Rithy Panh (2007) ; L’ivresse du pouvoir de Claude Chabrol (2006) et Valley of Love de Guillaume Nicloux (2015), ainsi qu’un très beau documentaire où Isabelle Huppert raconte en voix-off son désir de jeu et son travail : Isabelle Huppert, Message personnel (William Karel, 2020). Dans un extrait, quand une journaliste lui demande sa plus grande ambition, elle répond avec son sourire espiègle de jeune femme : tout. De notre côté, nous avons décidé de nous pencher sur sa filmographie foisonnante et de vous proposer six longs-métrages, coups de cœur de la rédaction.
6) 8 Femmes – François Ozon, 2002
Dans une demeure bourgeoise des années 1950, Noël bat son plein lorsqu’une découverte macabre sonne le glas des festivités.
Première apparition de l’actrice chez le cinéaste français François Ozon, 8 femmes est l’un des films les plus rentables de sa carrière. En effet, le long-métrage attire 3,7 millions de spectateurs dans les salles obscures.
Le film choral d’Ozon dresse le portrait de 8 femmes singulières. Parmi elles, Isabelle Huppert campe la tante Augustine, vieille fille cynique, hypocondriaque, ingrate et guindée qui ne manque pas une occasion de cracher son venin — de préférence sur sa sœur qui l’a recueillie sous son toit. Cette femme enfermée dans ses carcans sera finalement celle qui évolue le plus. Sorte de confinement initiatique, le personnage d’Isabelle Huppert dévore ses camarades de jeu des yeux et apprend à se révéler. Dans son interprétation colérique aux abords du comique, l’actrice réussit à transmettre toutes les fragilités de cette femme égarée. Derrière ses lunettes strictes et sa jupe lourde, ses blessures se dessinent et apportent une nuance émouvante à une figure au premier abord froide. L’actrice clôt sa prestation avec l’élégance qu’on lui connaît et fait de la tante Augustine une performance inégalée par ses partenaires.
La même année, elle joue dans deux autres films : La vie promise d’Olivier Dahan où elle interprète une prostituée qui vit une relation douloureuse avec sa fille et Deux du cinéaste allemand Werner Schroeter dans lequel elle est deux sœurs jumelles qui ne se connaissent pas et ont été séparées à la naissance. Les deux films, passés inaperçus, montrent que l’actrice peut être de partout et dans des rôles dramatiquement opposés. C.L.L.
5) Coup de foudre – Diane Kurys, 1983
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lena, juive, épouse un non-juif pour échapper à la déportation et fuit en Italie. Madeleine perd son mari, tué par balle. Nous les retrouvons en 1952. Elles se rencontrent par hasard et ne se quittent plus.
Après des seconds et premiers rôles effacés (La Dentellière, Claude Goretta, 1977 ; Les Sœurs Brontë, André Téchiné, 1979), Isabelle Huppert se fait remarquer pour son interprétation de la maîtresse de Philippe Noiret dans Coup de Torchon (Bertrand Tavernier, 1981). Cette comédie de mauvais goût et très cynique met en scène un policier pleutre qui assassine ses ennemis pour ensuite faire porter le chapeau à d’autres. Isabelle Huppert y joue avec beaucoup d’humour une femme débarrassée d’un mari violent. Mais la jeune actrice (elle a tout juste 30 ans en 1983 quand est tourné Coup de Foudre) possède déjà une belle carrière derrière elle. En effet, elle a joué à l’international (La Porte du Paradis [Heaven’s Gate] de Michael Cimino, 1980) et avec de grands cinéastes : Claude Chabrol (Violette Nozière, 1978), André Téchiné, Maurice Pialat, Jean-Luc Godard, Mauro Bolognini… Elle est une actrice accomplie dont les films sont un succès au box-office.
Troisième film de la cinéaste française Diane Kurys, Coup de Foudre reçoit de nombreux prix : Grand prix de la critique internationale au Festival international du film de Saint-Sébastien, Prix de l’Académie nationale du cinéma et est nommé aux Césars du meilleur film et du meilleur scénario et à l’Oscar du meilleur film étrange. La réalisatrice dédie ce film à ses parents (Lena jouée par Isabelle Huppert et Guy Marchand), ainsi qu’à Madeleine (interprétée par Miou-Miou). Il s’inspire en effet de la rencontre de ses parents — et de leur séparation. Lena et Madeleine deviennent de plus en plus proches au fur et à mesure que le récit avance. D’abord simples amies qui partagent tout, elles commencent à avoir des rêves communs : ouvrir un magasin sur Lyon, vivre sans leur mari. Si Madeleine a le courage de monter seule sur Paris c’est qu’elle a l’espoir que Lena la rejoigne très vite. Mais Lena pense qu’elle peut profiter de l’argent de son mari pour ouvrir la boutique tant rêvée. Le long-métrage parle du désir et des envies des femmes dans une société misogyne qui rabaisse sans cesse la femme à simple objet pour les hommes — les maris respectifs n’hésitent d’ailleurs pas à flirter avec les deux femmes. Elles doivent demander l’autorisation de travailler, de passer le permis… Impossible de gagner leur propre argent, elles sont entièrement dépendantes. Si à aucun moment du film, les deux femmes sont vues en train de s’embrasser — elles sont dans le même lit, mais cela ne va pas plus loin — les hommes, alors qu’elles semblent trop proches et inséparables — les insultent. Lena est ainsi appelée « gouine ». Cette vision très étriquée est montrée par moment du point de vue des petites filles de Lena qui ne peuvent s’empêcher d’aimer un père blagueur. Véritable récit d’émancipation, Coup de foudre montre la liberté dont les femmes rêvent en 1950, mais cela peut être transposé en 1983 quand le film est tourné et aujourd’hui en 2020. M.M.
4) Une affaire de femmes – Claude Chabrol, 1988
Pendant la Seconde Guerre, sous le régime de Vichy, alors que son mari est loin et travaille pour les Allemands, Marie lutte pour survivre et nourrir dignement ses enfants. Un jour, elle aide une voisine à avorter. De plus en plus de femmes viennent alors lui demander de l’aide. Peu à peu, elle gagne de l’argent contre ses services. C’est pour elle, une nouvelle vie qui commence, loin de la misère et de l’ennui.
Dix ans après la première collaboration avec Claude Chabrol, Isabelle Huppert retrouve le cinéaste français avec qui elle tournera sept films — faisant de cette collaboration la plus longue et plus riche de sa carrière. Ce « dialogue idéal » qu’elle entretient avec lui permet à Isabelle Huppert d’interpréter des rôles très différents. Dans Violette Nozière (1978), elle incarne une jeune femme qui se prostitue puis tue ses parents à 18 ans. Elle le retrouve en 1991 pour Madame Bovary, adaptation fidèle du roman de Flaubert. Parfaite en Emma rêveuse, elle joue en 1995 dans La Cérémonie — librement inspiré de l’affaire Papin — une postière qui voue une haine à une famille bourgeoise et finit par les assassiner avec l’aide de leur bonne. Dans Rien ne va plus (1997), elle est une escroc avec Michel Serrault et retrouve François Cluzet (qui est également dans son mari dans Une affaire de femmes). Perverse et manipulatrice dans Merci pour le chocolat (2000), elle est puissante et obstinée dans L’Ivresse du pouvoir (2006), dernier film qu’elle tourne avant la mort du réalisateur quatre ans plus tard.
Dans Une affaire de femmes, pour lequel elle reçoit le prix d’interprétation à Venise, elle incarne ainsi une avorteuse en quête d’une vie meilleure. Légère, elle ne pense pas aux conséquences de ses actions ni au mal qu’elle fait autour d’elle : son mari, jaloux, et auquel elle se refuse tout en le trompant, et une femme qui meurt après être venue la voir. Elle souhaite devenir chanteuse — ce qui donne l’occasion à de très beaux moments où Isabelle Huppert s’exerce. Inspirée de l’histoire vraie de Marie-Louise Giraud, le récit montre une vie rude et âpre. Amie avec une juive déportée, Marie trouve du réconfort dans l’argent et le luxe de pouvoir manger à sa faim et dans une maison avec plusieurs chambres. Ces désirs, si simples, presque enfantins, Isabelle Huppert réussit à les transmettre avec douceur et gaîté. Il est impossible de détester cette femme égoïste. Si la guerre n’est pas montrée à l’écran, elle est pourtant bien présente par les privations. Sous le régime de Vichy, dont la devise est « Travail, Patrie, Famille », Marie déroge aux trois. Le travail qu’elle fait est illégal. De plus, elle héberge des prostituées qui vendent leur corps à des Allemands ou des collaborateurs. La patrie, elle la dépeuple par les avortements qu’elle fait — pour sauver des femmes de la honte, d’un trop grand nombre d’enfants qu’elles n’aiment pas ou bien de bébés qu’elles ne pourraient tout simplement pas élever seules. Quant à la famille, Marie est coupable d’adultère. Le film montre les conditions difficiles vécues par des femmes et se termine par la condamnation de la faiseuse d’ange qui dit à une codétenue : « en plus, il n’y a que des hommes, ils n’y comprennent rien ». Rien ne pourrait être plus juste que cette phrase concernant le corps des femmes que des hommes ont toujours aimé maîtriser et contrôler. M.M.
3) Valley of Love – Guillaume Nicloux, 2015
Isabelle et Gérard se retrouvent. Séparés, ils ont un passé commun. Et un fils, Michael. Celui-ci, désormais décédé, leur a donné rendez-vous dans la Vallée de la Mort.
Portrait de femme, ou plutôt d’une femme, Valley of Love s’ouvre sur un travelling avant d’Isabelle — personnage et actrice ne font qu’un — avançant dans une allée. Alors qu’elle est de dos, sa chevelure, sa silhouette, sa démarche, fluide et solennelle, nous sont familières : ce ne peut être qu’Isabelle Huppert. C’est un récit initiatique que propose Guillaume Nicloux à travers la dépistions d’un couple depuis longtemps séparé, réuni par le deuil. Dans une ambiance caniculaire, il dépeint la souffrance de cette mère absente qui peine à comprendre l’enfant disparu qu’elle n’a jamais connu. Seule trace mystique de leur lien : une lettre mystérieuse lui promet un retour, une rencontre au cœur des vallons desséchés. C’est finalement le couple qui se rencontre à nouveau. Gérard Depardieu et Isabelle Huppert se retrouvent dans ce film nostalgique qui parle de souvenirs. Les deux acteurs ont joué une première fois ensemble dans Les Valseuses (Bertrand Blier, 1974) où la jeune Huppert interprète une rebelle de 16 ans qui se faisait dépuceler par Depardieu et Dewaere. Plus tard, en 1980, ils forment à un couple explosif, toxique et beau dans Loulou (Maurice Pialat). Dans ce film, elle incarne Nelly, une femme libre qui aime le sexe et est attirée par le charisme brut de Depardieu. Comment ne pas faire le lien entre les deux films ? Alors qu’à la fin de Loulou, Nelly avorte, laissant un Depardieu triste, nous les retrouvons trente-cinq ans après à la recherche d’un fils mort.
Cette nouvelle collaboration de l’actrice avec le réalisateur fait suite à son rôle dans La Religieuse (2013). 2015 est encore une année chargée pour Isabelle Huppert qui sort trois films (Back Home, Joachim Trier, Asphalte, Samuel Benchetrit) avant une année 2016 très chargée auprès de Mia Hansen-Love (L’Avenir), Paul Verhoeven (Elle) et Pascal Bonitzer (Tout de suite maintenant). M.K. et M.M.
2) Elle – Paul Verhoeven, 2016
Michèle, cadre dans une entreprise de jeux-vidéos, est violée chez elle par un inconnu. Elle décide de ne pas porter plainte et de démasquer elle-même son agresseur, enclenchant du même coup un jeu du chat et de la souris rempli de manipulation…
LE rôle qui — des Golden Globes aux Césars en passant par une nomination aux Oscars — fit d’Isabelle Huppert la coqueluche des compétitions internationales durant la saison 2016-2017. Dans ce thriller machiavélique, Huppert s’acoquine avec le sulfureux Paul Verhoeven pour former un accord parfait, empli de tensions et d’humour cruel. Comme d’habitude le « hollandais violent » cultive d’une main de maître son petit théâtre du malsain en tirant habilement les ficelles entre satire et perversion. Huppert excelle pour sa part dans un rôle difficile avec ce portrait complexe d’une femme secrètement puissante, à la fois froide et désarmante, et que peu d’autres actrices auraient su incarner aussi bien. Avec toute la subtilité de son jeu, elle compose avec son aisance habituelle un personnage trouble et manipulateur qui surnage au-dessus du chaos ambiant. Un rôle que l’on aurait pu penser avoir été imaginé d’office pour elle et pour lequel elle remporte le César de la meilleure actrice avec un discours teinté de son humour pince-sans-rire si caractéristique : « Dans Elle, le rôle l’emporte sur l’interprète. […] Parce qu’au fond je jouais pas plus mal, enfin aussi bien peut-être que dans d’autres films, mais cette année vous l’avez mieux remarqué. »
L’actrice, par ailleurs, a déjà joué des femmes complexes au cinéma. Dans La Pianiste de Michael Haneke (2001), elle interprète une professeure de piano renommée qui traite avec mépris ses élèves. Vierge, elle aime les peep-shows et se mutilée pour prendre du plaisir. Un jour, elle éprouve du désir pour un de ses élèves — joué par Benoît Magimel. Les deux acteurs remportent le prix d’interprétation au Festival de Cannes, tandis que le cinéaste autrichien reçoit le Grand Prix du jury.
En 2016, elle tourne quatre films (encore une fois tous différents les uns des autres) : L’avenir de Mia Hansen-Love, Tout de suite maintenant de Pascal Bonitzer, Souvenir de Bavo Defurne et Ce qui nous éloigne (court-métrage) de Hu Wei. M.P. et M.M.
1) La Porte du paradis – Michael Cimino, 1980
En 1890, vingt ans après avoir fini Harvard, Jim Averill est shérif fédéral dans le Wyoming. Alors qu’il arrive dans le comté de Johnson, il découvre qu’une liste de 125 migrants à abattre a été dressée par l’association d’éleveurs de bétails. Parmi eux, Billy Irvine, ancien compagnon de Harvard, devenu alcoolique. Jim va tout faire pour qu’Ella, une jeune prostituée française quitte la région.
Découverte par Michael Cimino dans son rôle de Violette Nozière, il insiste pour qu’Isabelle Huppert soit Ella, prostituée et gérante du bordel à la lisière du comté de Johnson dans le Wyoming dans La Porte du Paradis. Isabelle part ainsi pendant sept mois dans le Montana pour tourner le film et passe même quelques jours dans une maison close, à la demande du cinéaste. Cette même année, elle tourne également avec Maurice Pialat dans un de ses plus beaux films Loulou en compagnie de Gérard Depardieu, Jean-Luc Godard dans Sauve qui peut (la vie) et la réalisatrice hongroise Márta Mészáros : Les Héritières (Örökség).
Dans La Porte du paradis, elle interprète Ella, prostituée au grand cœur, amoureuse de deux hommes (Jim joué par Kris Kristofferson et Nate par Christopher Walken) qui refuse de quitter ce qu’elle a mis plusieurs années à construire. Cette fresque historique, réalisée après Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978), montre une Amérique cupide, faible, sans foi ni loi. Une vision antiaméricaine qui montre que les riches gagnent toujours sur les plus pauvres. Le film traite d’un sujet universel et intemporel : le mépris pour les étrangers et les pauvres. Faibles, peu éduqués, sauvages, ces êtres rabaissent le pays qui les accueille. Exposant une société profondément raciste, le film place son récit à la fin du XIXe siècle, mais pourrait avoir lieu aujourd’hui sous Trump. Tout au long de l’histoire, il est montré que des valeurs aussi nobles que l’égalité et le respect de l’autre sont bafouées aux noms de lois — celles de la richesse et du profit — et de justice barbare. C’est la jeunesse qui se bat contre cette fatalité (Nate et Ella) contre laquelle même Jim ne souhaite plus lutter — il veut juste sauver la vie de celle qu’il aime. Véritable anti-héros, Jim reste pourtant ancré dans ses valeurs, contrairement à son ancien ami (Billy) qui regarde, alcoolisé, le meurtre d’innocents. À la fin, Jim est le dernier survivant d’une injustice et nous le retrouvons dans un épilogue tragique où lui et sa femme sont dans une cabine luxueuse, le maquillage grossier, les montre pour ce qu’ils sont : des guignols. Le « Heaven’s gate » du titre est le dancing. Le nom apparaît après une séquence où Ella et Jim dansent seuls sur une piste entièrement vide. Ils valsent, la musique est joyeuse. Cette scène, au milieu du récit, est un temps mort, un véritable moment de paradis dans une tragédie. Isabelle Huppert, dont le visage encore enfantin, incarne l’innocence — malgré sa profession — et elle meurt dans une robe blanche alors que tout semblait pourtant terminé. Le sang qui coule sur sa robe est la métaphore d’une Amérique salie, bafouée. Ce western magnifique et profondément cynique sera un échec au box-office. Il faut attendre plusieurs dizaines d’années pour que le film soit réhabilité. Il est ressorti en 2013 dans une version restaurée magnifique au cinéma.
S’arrêter ? Isabelle Huppert en semble incapable tellement elle multiplie les projets (quatre ou cinq films sont actuellement en cours dans lequel elle a un rôle).
Pour notre plus grand plaisir, nous n’avons pas fini d’entendre parler d’elle.
Et pour ceux qui veulent en entendre encore plus, Blow up et Tout est vrai ou presque lui ont consacré un épisode. Merci Arte !
Clémence Letort-Lipszyc, Manon Koken, Marine Moutot et Marine Pallec
Introduction de Marine Moutot
Coup de Foudre
Réalisé par Diane Kurys
Avec Miou-Miou, Isabelle Huppert, Guy Marchand
Drame, Romance, France, 1h51, 1983
Gaumont
En VOD sur Orange et Univerciné
Elle
Réalisé par Paul Verhoeven
Avec Reda Kateb, Vincent Lacoste, Jacques Gamblin
Thriller, France, Allemagne, 2h10, 2015
SBS Distribution
En VOD sur Canal VOD, FilmoTV, my TF1 VOD, Orange et Universciné
8 femmes
Réalisé par François Ozon
Avec Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart
Policier, Comédie, France, 1h43, 2002
Pas de distributeur connu
En VOD sur Orange, Arte France, Canal VOD, my TF1 VOD, Universciné et FilmoTV
La Porte du paradis (Heaven’s Gate)
Réalisé par Michael Cimino
Avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt
Western, Etats-Unis, 3h39, 1981
Carlotte Films
En VOD sur LaCinetek
Une affaire de femmes
Réalisé par Claude Chabrol
Avec Isabelle Huppert, François Cluzet, Marie Trintignant
Drame, France, 1h48, 1988
MK2 Distribution
En VOD sur Orange et Canal VOD
Valley of Love
Réalise par Guillaume Nicloux
Avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu
Drame, France, 1h33, 2015
Le Pacte
En VOD sur Arte, my TF1 VOD, Universciné, FilmoTV, Canal VOD et Orange.