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Le Sergent Howie, policier des Highlands, se rend sur la petite île de Summerisle pour enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Il va découvrir une communauté aux mœurs atypiques et inquiétantes…
Ce mercredi devait ressortir en salles le singulier The Wicker Man de Robin Hardy. Il est toutefois possible de le découvrir sur des plateformes de VoD.
/Attention spoilers\
La ressortie du film de Robin Hardy The Wicker Man (1973) nous permet de rétablir les origines du « folk horror », sous-genre du cinéma d’horreur popularisé récemment par des films comme The Witch (Robert Eggers, 2015) ou Midsommar (Ari Aster, 2019). Un film emblématique que Christopher Lee considère comme le meilleur de sa carrière.
Le « folk horror » désigne donc un ensemble de films qui placent au cœur de leur récit sorcellerie, rites païens en forêt ou dans des villages, et proposent une imagerie de la nature, des éléments, et du sacrifice. Le réalisateur Mark Gatiss classifie The Wicker Man dans ce sous-genre, aux côtés des films Le Grand Inquisiteur (Michael Reeves, 1968) et La Nuit des Maléfices (Piers Haggard, 1971). Robin Hardy, documentariste, réalise en 1973 The Wicker Man. Tour à tour film policier, étude ethnographique ou film érotique, le long métrage est plutôt inclassable. Il s’ouvre sur une messe chrétienne lors de laquelle nous découvrons le protagoniste, Neil Howie, homme de foi et de loi, récitant un sermon passionné. Fondu au noir, Howie pilote maintenant un hydravion, entre ciel, terre et mer, il virevolte au son de la « Complainte de la veuve des Highlands », chant gaélique ancien. Il aperçoit des champs, la complainte s’arrête, une ballade arpégée romantique débute. Ses paroles évoquent la fertilité, celle des récoltes, mais aussi celle de l’union d’un homme et d’une femme dans un champ de maïs. La veuve fait place à la femme qui peut enfanter. Un morceau prémonitoire, qui, à ce stade, questionne le spectateur, car il raconte une histoire qui est déconnectée des images de cette séquence d’exposition. Mais il introduit une bascule entre le monde du protagoniste, pieux, traditionnel, et celui dans lequel il s’apprête à pénétrer. Et quel monde ! Le Sergent tombe littéralement des nues quand il débarque sur l’île de Summerisle. Il découvre un village en proie à la débauche et à la corruption morale des jeunes enfants. Il est accueilli, pour son premier soir à l’auberge du village, par des chants entonnés par tous les clients qui vantent les charmes sexuels de la fille du tenancier (interprétée par Britt Ekland, future James Bond Girl). Guillerette, la jeune Willow danse avec ces hommes de tous âges qui ont visiblement tous eu des rapports sexuels avec elle. Plus tard dans la soirée, il découvre une orgie dans les champs – qui établit un parallèle avec la ballade de la séquence d’ouverture – filmée avec un ralenti qui rend cette scène poétique et douce. Une forme de pureté habite en effet les îliens tout au long du film, leurs pratiques ne les rendent pas démoniaques aux yeux du réalisateur. Cette communauté chantante, filmée de façon quasi-documentaire par Hardy, se rapproche finalement des communautés hippies des années 60. Alors que le policier va de surprise en surprise, choqué par ce qu’il découvre sur l’île, le regard porté sur les comportements des habitants de Summerisle, dont les rites et croyances sont partagés, n’est pas celui du jugement. Le spectateur est pris entre deux eaux, il découvre d’une part une communauté qui vit en vase clos mais en harmonie, mais de l’autre, il ne peut s’empêcher de se placer par moment du côté d’Howie, bien décidé à percer le mystère qui entoure cette île qui n’a pas les mêmes codes que lui. Pourquoi les habitants de l’île lui affirment-ils qu’ils n’ont jamais vu la petite Rowan, portée disparue, alors qu’il la découvre finalement sur un registre ? Qu’est-il advenu de la jeune fille, alors que l’institutrice ne peut lui dire qu’elle est vivante, tout en lui affirmant qu’elle n’est pas morte non plus ? Qui sont ces jeunes femmes nues qui sautent par-dessus un feu de joie durant d’étranges cérémonies ?

La foi aveugle en Dieu de Howie vaut-elle mieux que la dévotion à la puissance du soleil, du feu et de la terre des habitants de Summerisle ? Au-delà du thème horrifique du long métrage, Robin Hardy décrit deux modes de croyance qui s’affrontent et questionne l’intolérance. Howie est outré par l’absence de mœurs des habitants, mais il se trompe sans doute, puisqu’il est lui-même enfermé dans les rites qui définissent sa religion. Il prie chaque soir au pied de son lit, ne vénère qu’un dieu et ne croit pas en l’amour physique avant le mariage. Il découvre des arbres plantés sur les tombes des habitants de l’île, surmontés par les cordons ombilicaux des morts. Il ne peut s’empêcher de confectionner une croix, le bois assemblé ainsi serait plus protecteur que le tronc de l’arbre planté, fertile. Lord Summerisle, le père protecteur de l’île, raille le policier quand celui-ci évoque la supériorité de son dieu, en décrivant Jésus comme « le fils d’une vierge fécondée par un fantôme ». Après tout, les deux croyances, l’une chrétienne et monothéiste, l’autre païenne – la « parthénogénèse » -, invoquent les mêmes peurs, et les mêmes vœux. Celui de la fertilité : les femmes qui sautent au-dessus du feu pour être fécondées s’apparentent à la Vierge Marie, les femmes et les hommes qui font des sacrifices à l’Homme d’osier le jour de « la mort et de la résurrection » du Premier Mai sollicitent des divinités transcendantes et réconfortantes. The Wicker Man questionne donc la croyance légitime, jusqu’au duel final, lors duquel les villageois chantent les récoltes et la naissance des animaux, tandis que Howie chante désespérément le chant chrétien qui ouvre le film.

Croyances et religions se croisent dans un grand jeu de dupes et de manipulation qui prend forme le Premier mai. Lors du « May day », les habitants de Summerisle s’affublent de costumes et de masques et endossent un rôle qui prendra fin à la tombée du jour, une fois l’offrande faite au Dieu du Soleil et à la Déesse des Vergers, dans l’espoir que les récoltes soient bonnes. Sur cette scène de théâtre à ciel ouvert, Howie choisit le costume de Polichinelle, personnage des farces napolitaines, paysan balourd qui clame des bonnes vérités. Il est le Fou qui devient Roi le temps d’une journée. C’est le destin de cet homme, apôtre de pacotille, policier qui pense avoir les pleins-pouvoirs du fait de ses fonctions. Il devient roi, puisqu’il est le sacrifice ultime, celui qui pourrait sauver le peuple de Summerisle. Le carnaval se change en bestiaire terrifiant, les costumes sont délavés, sales, les masques tourmentés semblent sortis des tableaux de James Ensor. Pris dans l’engrenage, Howie n’a plus de choix que d’accepter le rôle qu’on lui a attribué. On l’habille d’une toge blanche, il est filmé en contre-plongée, le ciel se découpe derrière lui, dernier carré d’un bleu apaisant avant les flammes qui vont le dévorer. Howie est un martyr, selon les rites de sa propre religion. Il entre de force dans cet homme d’osier, une véritable arche de Noé, engloutie non pas par les eaux mais brûlée comme un bûcher. Cet homme sacrifié injustement crie et se débat, il ne sera pas sauvé in extremis par le Dieu auquel il a voué son existence. Et ces femmes et hommes qui chantent gaiement au pied du grand bûcher n’auront sans doute pas de meilleures récoltes l’année d’après. Le film s’ouvre sur un rite chrétien, se clôt sur un rite païen. Il s’achève sur un triste constat, celui de l’incompréhension fatale de deux communautés enfermées dans une croyance radicale qui guide leur existence. Robin Hardy filme enfin le soleil, astre intangible qui réchauffe sans distinction toutes les communautés.

Comme annoncé en préambule, The Wicker Man est devenu un incontournable de la culture cinéphile. Il s’inscrit dans la lignée des longs métrages insulaires dans lesquels des visiteurs sont attaqués par les habitants d’une communauté mystérieuse – on pense au remarquable et terrifiant Les Révoltés de l’an 2000 (Narciso Iibanez Serrador, 1976). Mais ce film a plus directement inspiré de nombreuses œuvres, comme, bien sûr, Midsommar (Ari Aster, 2019), qui en reprend la trame, et plus récemment la mini-série HBO The Third Day (Dennis Kelly, Felix Barrett, 2020), hommage non dissimulé au film de Hardy. Une femme se rend sur l’île bien nommée d’Osea, avec ses deux filles. Le culte de la mer se substitue à la vénération du soleil de The Wicker Man chez les habitants de l’île, qui vivent au rythme des marées. À l’image d’Howie, Helen enquête sur une disparition, celle de son mari. Comme le fait le sergent, elle montre aux îliens une photo du disparu. Personne ne semble le connaître, mais tous cachent ostensiblement un secret et souhaitent son départ. Après avoir aperçu d’étranges rites, Helen découvre avec stupeur que son mari est devenu le Père de l’île (le Lord Summerisle d’Osea), au prix de sacrifices humains… Bien ficelée, bien rythmée et portée par un solide casting (Jude Law, Naomie Harris, Katherine Waterston), The Third Day constitue une belle relève à l’œuvre de Robin Hardy. Mais il est impératif de découvrir l’incontournable long métrage originel avant de se plonger dans ses successeurs.
Lucie Dachary
- The Wicker Man
- Réalisé par Robin Hardy
- Avec Edward Woodward, Christopher Lee, Diane Cilento, Ingrid Pitt
- Folk horror, Britannique, 1h34
- Sortie originale en 1974
- Lost Films.
- Disponible en VoD sur : FilmoTV, LaCinetek, Orange, UniversCiné
J’ai beaucoup aimé ce film quand je l’ai vu pour le première fois il y a quelques années. Ce genre d’horreur qui joue beaucoup plus sur l’ambiance que sur le fait de faire sursauter le spectateur, c’est ce que je préfère dans le cinéma d’horreur. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé The Witch que tu cites, je n’ai par contre pas encore vu Midsommar.
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Je ne connaissais pas « the third day ». Je vais me pencher avec intérêt sur le sujet.
Quant au formidable Homme d’osier, je ne peux qu’aller dans le sens de ce bel article. Un film qui confronte les croyances, heurte les dogmes, du puritanisme chrétien forcené au paganisme post hippie. Un film maudit, qui a lui-même une histoire tourmenté. La version de Hardy est à voir (celle avec Nic Cage nettement moins paraît-il).
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