[CRITIQUE] Série Noire

Temps de lecture :  3 minutes

Franck Poupart fait du porte-à-porte pour gagner sa vie dans une morne banlieue parisienne. Un jour, il rencontre Mona, une jeune femme en apparence innocente. Elle lui propose de voler l’argent de sa tante : dix millions de francs. Franck accepte.

Quatrième film d’Alain Corneau, Série noire est un classique du polar à la française. Inspiré de Mean Street (Martin Scorsese, 1973) et adapté du roman Des cliques et des cloaques de Jim Thompson (A Hall of a Woman, 1954), ce long-métrage sorti en France en 1979 retrace l’histoire d’un homme paumé dont la vie ne le satisfait plus. Sans cesse dans le fantasme d’un jour meilleur, il s’imagine, s’invente en permanence des situations compliquées. Le cinéaste français, dont les films les plus connus sont Le Choix des armes (1981)  ou encore Tous les matins du monde (1991), a réalisé avec Série noire, un film culte. 

L’ouverture du film commence par une séquence d’anthologie : Franck (Patrick Dewaere, magistral) se bat dans le vide. Il est au milieu d’une fusillade et d’un combat au corps à corps. Son adversaire imaginaire lui en fait voir. Puis il sort une radio/pistolet de sa poche. D’un coup, la radio reprend sa place initiale : diffuser de la musique. Le voici qui danse. Il est seul sur un terrain vague d’une banlieue grise. Cette scène montre à la fois le talent de l’acteur et la mise en abîme ingénieuse dont va faire preuve le film tout au long de son récit. Nous y suivons un homme qui souhaiterait que sa vie ressemble à un film. Polar, film noir, Série Noire est surtout une introspection dans le vide existentiel et son absurdité. Comment un homme, un peu paumé qui invente des magouilles et ment en permanence, mais pourtant pas bien mauvais, arrive au meurtre ? Franck Poupart a plus de verve que de tripes. Comme il s’invente un peu tout, comme sa vie est une tragédie et qu’il est dramatique, ce personnage aux grandes emphases voudrait être un méchant, mais recule souvent quand cela va trop loin. Cette dualité qui le traverse — représentée par deux femmes : Mona et Jeanne — il la combat en même temps qu’il l’embrasse. C’est ce qui le rend vivant. Ce rôle, écrit pour Patrick Dewaere, est l’un de ses plus beaux. L’acteur, à peine le scénario lu, s’engage et s’investit à corps perdu. Il perd 10 kilos en quatre semaines et pendant les six semaines de tournage est Franck Poupart, à tel point qu’un soir, après avoir tourné une séquence de meurtre, il s’exclame à plusieurs amis : « Mais vous vous rendez compte qu’aujourd’hui j’ai tué quelqu’un ? Ce n’est pas rien de tuer quelqu’un ».[1]

Le film raconte aussi une fuite en avant. Celle de Mona. Jeune adolescente dont la tante vend au plus offrant son corps en échange de robe molletonnée ou de réparations – moyen de paiement plus facile que de toucher à l’argent qu’elle a. Quand Patrick rencontre Mona, ils sont tous les deux des écorchés vifs qui ont besoin de fuir : Mona au sens littéral et Patrick métaphoriquement. Incarnée par Marie Trintignant (Une Affaire de femmes, Claude Chabrol, 1988), cette femme ne parle pas beaucoup et communique avec ses yeux. Fantasme de la féminité, elle est pour Franck un moyen de fuir le quotidien morne avec sa femme Jeanne (Myriam Boyer) dont la vie de femme au foyer ne lui convient pas. Coincé entre une femme qui ne respecte pas son rôle et une autre qui a besoin d’être défendue, le personnage principal y voit un dilemme séduisant, digne d’un grand rôle. D’ailleurs, quand sa femme le quitte après une énième dispute et qu’il reprend sa vie en main, il ne peut que s’exprimer ainsi : « ne me laisse pas Jeanne » ou encore « je suis bon à rien sans bonne femme ». Cette dualité, il veut la garder plus que tout.

Les dialogues nous donnent presque l’impression d’être dans une pièce de théâtre, à la fois si fluide et si romanesque. George Perec (auteur de La Disparition, 1969) participe au scénario et écrit les dialogues. Alain Corneau, qui souhaitait faire un film réaliste par la mise en scène, mais improbable par les dialogues, choisit l’écrivain. En effet, il pense que Perec arrive à rendre « l’apparence du naturalisme, mais surtout à ne pas y tomber. » Pour le cinéaste : « Il fallait faire quelque chose de totalement irréaliste. Ce que disent les personnages dans le film, c’est sans arrêt à partir d’une base de lieux communs… Toutes les expressions sont retournées, utilisées au deuxième degré.»[2] Pour adapter le roman de Jim Thompson, les deux hommes rencontrent plusieurs difficultés dues à la taille du récit, mais aussi pour transposer l’œuvre en France, ce qui donne à ce film hybride, chef-d’œuvre d’un genre nouveau et innovant, une puissance et une noirceur rare. 

Marine Moutot

Notes :

  • [1] « Série Noire : Secrets de tournage », sur AlloCiné.
  • [2] L’Avant-scène cinéma, no 233, 1er octobre 1979, p. 6

  • Série Noire
  • Réalisé par Alain Corneau
  • Avec Patrick Dewaere, Myriam Boyer, Marie Trintignant
  • Drame, Policier, France, 1h51
  • 1979
  • Tamasa Distribution
  • Disponible sur : UniversCiné, FilmoTV, La Cinetek, Orange, Canal VOD

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

2 commentaires sur « [CRITIQUE] Série Noire »

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