[CRITIQUE] 17 filles

Temps de lecture :  4 minutes

À tout juste 16 ans, Camille attend un enfant. Encore au lycée, elle décide de le garder et incite d’autres jeunes femmes à tomber enceintes.

Caméra d’or au Festival de Cannes en 2011 et premier long-métrage de fiction des deux sœurs, Delphine et Muriel Coulin, 17 filles traite d’un fait divers qui s’est déroulé aux États-Unis en 2008 : dix-sept adolescentes sont tombées enceintes en même temps dans le même lycée. Les cinéastes décident de transposer ce récit dans leur ville natale, Lorient, et ancrent ainsi leur histoire dans une universalité géographique. Ces actes, signes d’une rébellion contre l’ordre établi, auraient pu avoir lieu n’importe où dans les pays occidentaux. Les réalisatrices offrent la parole à de jeunes femmes dont la vision de la vie est unique et utopique. 

Avec une mise en scène proche du documentaire, les cinéastes n’oublient pas de laisser la place à des séquences lyriques sur les plages bretonnes. L’ouverture du film commence par l’histoire, assez atypique, de coccinelles qui ont envahi les plages de la ville, un été. Puis, des gros plans sur des hanches, des coudes, des ventres. Loin d’être érotisées, ces jeunes femmes, qui attendent en sous-vêtements dans le couloir de leur lycée, sont pourtant réduites à leur corps. Sujet central du film, le corps féminin est une nouvelle fois politisé et utilisé par différents discours d’adultes. Dans ce long-métrage, nous suivons cinq des jeunes filles qui décident de tomber enceintes — il était impossible de raconter le récit de chacune. Camille, la première à attendre un enfant, est la meneuse, celle qui rêve avant toutes les autres d’un idéal commun, d’un groupe lié contre vents et marées. D’une sororité harmonieuse autour de ces enfants à naître. Cette responsabilité nouvelle, qu’elles sont prêtes à prendre, est une source d’énergie future. C’est également un besoin d’amour. Camille décide de garder l’enfant après que sa mère ne soit pas rentrée une énième fois manger avec elle. La solitude, malgré les amies, est lourde. La famille, seule substitut à l’isolement, est défaillante. Il faut alors en créer une nouvelle, choisie cette fois. Le gouffre qui sépare les générations actuelles n’existerait pas entre elles. Elles élèveraient les bébés ensemble, se soutiendraient, s’aideraient pendant les examens. L’écart générationnel en serait réduit : seulement 16 ans entre parents et enfants. La compréhension serait limpide, fluide. Pourtant, très vite, la société idéale inventée par ces filles se disloque et, sans jugement, les cinéastes exposent les failles. Ces jeunes femmes sont encore des adolescentes. La jalousie, l’incompréhension et la méchanceté sont toujours des éléments importants de leur vie. Et surtout, elles sont seules, même ensemble. Ce que chacune d’elles ressent est unique. Chacune vit différemment l’expérience de la maternité et du changement de leur corps. Les autres filles, dont nous ne connaissons pas l’histoire ni le nom, sont filmées seules dans leur chambre. Le visage pensif, le ventre rond et l’espace, loin d’être familier, est terriblement vide. Pourtant le projet de départ est beau et les cinéastes réussissent à montrer la grandeur de cette énergie, de ces interrogations d’adolescentes qui veulent changer le monde. 

Les adultes sont des figures d’autorité qui, même quand ils tentent de comprendre la décision de ces jeunes femmes, se trompent. C’est le personnage de l’infirmière scolaire — incarnée par Noémie Lvovsky, solaire — qui est la plus à même d’appréhender le désir des lycéennes, qu’elle voit passer toute la journée dans son cabinet. Elle n’essaye pas de mettre des mots sur ces actes, mais de montrer que ces jeunes sont « intelligentes, savent ce qu’elles font et même, le revendique ». Ces ventres qui s’arrondissent, inquiétants, sont des menaces aux pouvoirs des adultes. Ils sont impuissants, la loi défendant les mineurs qui refusent d’avorter. Si le directeur de l’établissement tente de dissuader les adolescentes, il ne trouve pas mieux que de montrer un accouchement frontal, à la fois véritable scène d’horreur et beauté incandescente. Ou alors de virer la première, Camille, qui est diabolisée : elle avait peur d’être seule — ce qui est vrai, mais pas seulement —, alors elle pervertit les autres… Ces filles, encore enfants, ne devraient pas être enceintes. D’ailleurs, leur comportement n’annonce aucun changement. Alors qu’elles devraient bosser deux fois plus pour rattraper le retard à venir, elles passent leur temps sur la plage ou à écouter de la musique en s’ennuyant. Serait-ce aussi pour tromper l’ennui qu’elles sont enceintes? Peut-être que derrière leur envie de communauté soudée, il y a également le désir de fuir la morosité de leur vie. Alors, incapables d’agir face à cette « crise » que traverse le lycée, les parents accusent les professeurs. Mais, si responsables il y a, ne le sont-ils pas plus ? Ce sont eux qui réagissent violemment. Les parents que nous voyons ont tous la même réaction : le déni, l’insulte et l’incapacité de comprendre. La mère de Clémence tente de lui expliquer qu’un enfant ce n’est pas une source d’énergie, c’est une pompe sans fin et qu’elle ne veut pas replonger dans cet enfer d’élever un bébé. Mère célibataire, elle travaille jour et nuit pour éduquer Camille et son fils — Florian, soldat parti en Irak. Son discours n’est pas creux — elle ne veut pas que sa fille ait la même vie qu’elle — contrairement à celui de Clémence, une autre lycéenne que les parents séquestrent. Pour eux, cet acte la transforme en traînée. C’est surtout le père qui porte ces valeurs patriarcales d’un temps qu’on aimerait révolu. La mère, elle, ne fait rien : c’est comme si elle validait. Et c’est ce que rejettent en bloc ces adolescentes : le contrôle de leur corps et de leur désir par d’autres. Avoir un enfant dans ce cas, c’est reprendre possession de leur corps.

17 filles c’est surtout le passage à l’âge adulte et la fin de l’innocence. Ce projet sororal un peu fou est beau parce qu’impossible. Nous aussi nous aurions aimé croire que ces filles pouvaient vivre en harmonie et élever, ensemble, leurs enfants. Mais, comme elles le font dans leur second et sublime film Voir du pays (2016), Delphine et Muriel Coulin critiquent le système qui héberge ces adolescentes plutôt que leur rêve. Ces jeunes femmes voulaient vivre à 200 %, elles rêvaient d’une autre vie pour elles et pour leurs enfants. Ces enfants — même si l’influence de Camille a beaucoup joué dans leur décision —, elles les désiraient. Ils représentaient non pas l’enfermement de la femme au foyer, mais la création d’une communauté unie. Mais, comme au frère de Camille qui voulait s’en sortir, faire quelque chose de sa vie et qui revient de la guerre blessé et désillusionné, notre époque contemporaine n’offre aucun avenir brillant aux enfants qui arrivent. Alors ces dix-sept adolescentes ont pris leur destin en main pour en créer un, car « on ne peut rien contre une fille qui rêve ». Et c’est la beauté de 17 filles, de ne pas raconter ce fait divers de manière sinistre ou triste, mais comme un désir de changement. Comme une énergie fondamentale pour faire plus que survivre, mais pour vivre.

Marine Moutot

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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