[CRITIQUE] Petite fille

Temps de lecture :  3 minutes

Sasha, 7 ans, est une petite fille. Pourtant tout le monde ne l’accepte pas comme cela. En effet, elle est née dans le corps d’un garçon. Le cinéaste Sébastien Lifshitz propose une plongée dans l’intimité de ce combat et de cette famille. 

Les premières images montrent une petite fille qui se déguise en princesse, dans l’intimité de sa chambre. Elle se questionne sur le choix de son bandeau dans les cheveux. Avec simplicité, nous venons de faire la connaissance de Sasha. La caméra est au plus proche. Elle capte le visage délicat de l’enfant qui se regarde dans le miroir. Puis, nous découvrons une famille qui s’amuse joyeusement dans la neige. Si le cinéaste Sébastien Lifshitz décide, au départ, d’ancrer Sasha dans sa vie privée, c’est pour la suite mettre en exergue les combats et les difficultés qu’elle affronte au quotidien, mais toujours avec sa famille à ses côtés. Pendant un an, il a partagé et filmé leur intimité. Une manière d’exposer au grand jour et de faire mieux comprendre ce que c’est de ne pas être né.e dans le bon corps. 

Le documentaire traite de la dysphorie de genre ou encore de la transidentitée. Dès l’âge de 2 ans et demi, Sasha annonce à sa maman, Karine, que quand elle sera plus grande, elle sera une femme. Depuis, Sasha sait et affirme qu’elle est une fille. Le médecin de famille, qui ne sait pas comment réagir face à ce trouble, demande à Karine si inconsciemment elle n’aurait pas désiré une fille pendant la grossesse. La souffrance de l’enfant renvoie à la faute de la mère. Karine porte d’ailleurs cette culpabilité en elle. Elle souhaitait plus que tout une petite fille quand elle attendait Sasha et se rappelle encore de la déception d’apprendre qu’elle était enceinte d’un garçon. Cette culpabilité originelle qui reposerait sur la mère, le film le démonte par le biais de la pédopsychiatre. Elle leur explique effectivement que les causes de la dysphorie de genre ne sont pas connues, mais elle sait ce qui ne la provoque pas : le désir d’un des parents du sexe de l’enfant. Après s’être questionnée pendant des années, cette mère combative peut continuer sa lutte sans cette responsabilité qui la rongeait. Car le film montre que, si des batailles sont gagnées, beaucoup restent à mener. 

Si Sasha est entourée d’une famille aimante et unie, l’école où elle va ne la reconnaît pas en tant que fille. Elle doit alors aller tous les jours habiller en garçon et voir ses amies sans être elle-même. L’école va même plus loin que de nier l’identité de Sasha, elle refuse le dialogue avec les institutions médicales ou la famille. Le réalisateur s’est retrouvé dans l’impossibilité de filmer à l’école ou dans la cour. Totalement absente, cette entité gouvernementale devient plus menaçante. C’est David contre Goliath. La fratrie devient un cocon contre les difficultés de l’extérieur. À ses côtés, Sasha a sa grande sœur qui veut être son bras droit, et ses petits frères comprennent que leurs parents soient investis ailleurs. Que le temps ne soit pas partagé équitablement entre eux et leur sœur. Cette bienveillance et cette affection sont magnifiques et rendent le film solaire. Mais si des parents d’élèves ou l’école n’acceptent pas son identité, cela se répercute également dans ses loisirs. Aux cours de danse, Sasha est la seule habillée en garçon pour le spectacle de fin d’année. Un petit haussement d’épaules et un regard, sans doute adressés au réalisateur qui se tient à côté de la caméra, montrent qu’elle a compris que c’était son quotidien. Ces adultes cruels, qui refusent de la voir comme elle est, exposent le chemin qu’il reste à faire afin que les transsexuels soient pleinement admis en France. C’est le combat que Karine s’est donné pour que son enfant ait une vie belle et épanouie. C’est aussi le combat que s’est donné le cinéaste avec Petite fille

Avec une lumière naturelle, il filme au plus près des visages et se place à hauteur de Sasha. C’est son univers que nous découvrons pendant une heure et demie. Dans des instants magiques où elle s’amuse, ou dans des moments plus durs, comme interroger par la psychiatre, le documentaire nous expose sans fard, la vie de Sasha. Elle ne parle pas beaucoup, mais la caméra qui scrute son visage nous dévoile les souffrances et la vaillance de cette petite fille. C’est son sourire, ses pleurs et son regard qui s’expriment pour elle. Les entretiens de Karine révèlent une mère impliquée qui retrace avec justesse et tendresse les premières paroles de Sasha et ses premières douleurs. Les larmes aux yeux, elle explique la souffrance de son enfant quand elle lui a dit qu’elle ne pourrait jamais être une fille. Le cœur brisé d’avoir détruit le rêve de son enfant, elle cherche depuis à combattre la pensée qui quelques années plutôt l’a habitée : que le corps donné à la naissance est une prison à laquelle il faut s’habituer. Petite Fille réussit à exposer la détresse de Sasha. Les apartés poétiques où elle danse déguisée en fée ou joue avec des bulles dans le jardin sont des instants volés de tranquillité et de beauté dans sa vie et celle de sa famille. Ces instants sont les raisons de leurs batailles quotidiennes. À juste distance, Sébastien Lifshitz réalise un documentaire pour la tolérance et la liberté d’être soi-même. Intelligent et délicat, Petite fille est un film nécessaire et sensible.

Marine Moutot

  • Petite Fille
  • Réalisé par Sébastien Lifshitz
  • Documentaire, France, 1h25
  • 2 décembre 2020
  • Arte
  • Disponible gratuitement sur Arte TV et en direct sur Arte le mercredi 2 décembre à 20h50

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

2 commentaires sur « [CRITIQUE] Petite fille »

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