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À la mort de son mari Ahmed, Mary Hussain découvre que celui-ci menait une double vie. Elle part alors à Calais sur les traces de cette trahison.
Récompensé par le Prix Fondation Gan à la Diffusion décerné par la Semaine de la Critique lors du Festival de Cannes 2020, After Love est le premier film du réalisateur britannique Aleem Khan, histoire de deuil et de pardon. Que se passe-t-il après l’Amour, quand l’Autre n’est plus et que l’on découvre les secrets restés trop longtemps cachés ? À peine l’ouverture se fait-elle que la mort est là, fatale, plongeant les spectateur.rice.s in media res. La photographie sombre en opposition avec les murs blancs des décors accentue le poids de cette épreuve. D’ailleurs, le film annonce directement son envie de jouer des décalages : Mary, voilée de blanc est inerte et solitaire, entourée de pleureuses vêtues de noires. Plus tard, elle devient l’antithèse de Geneviève, la seconde compagne d’Ahmed : blonde là où elle est brune, mince là où elle est ronde, bavarde là où elle est mutique.
Le film prend le rythme du deuil et de son assimilation, lent et profond, avançant étape par étape. Tout commence par la sidération. Les images du couple soudé formé par Mary et Ahmed semblent mentir face à la triste réalité de sa trahison. Et elle n’en est que plus forte : Mary a changé de nom pour lui et s’est convertie. Toute la puissance des émotions qui l’animent s’exprime dans une séquence violente et poétique où Mary, étendue sur le sable, laisse les vagues battre son corps et son visage. Engloutie sous les embruns, elle semble disparaître momentanément sous le bouleversement. Face à son mutisme, l’environnement retranscrit totalement la tempête intérieure qui anime Mary. Lorsqu’elle part pour Calais pour se confronter à la femme cachée d’Ahmed, elle voit une falaise s’effondrer. Plus tard, le plafond se fissure sous ses yeux. Au-delà de la révolte, il y a aussi l’incompréhension. Elle se sent obligée de se comparer à Geneviève. La manière dont elle examine son corps ayant subi les affres du temps sont autant de marques qui l’invitent à penser qu’elle a fait fuir son mari. Mais le film contredit ces pensées négatives grâce à l’écoute d’un message vocal tendre et affectueux qu’Ahmed lui a laissé. Jamais ses femmes ni nous ne saurons pourquoi il a fait cela : le film laisse délicatement la question en suspens. De plus, la question de la pratique religieuse n’a que peu de place dans le récit, une fois que Mary a quitté sa maison. L’Islam n’est alors qu’une promesse d’amour faite à son défunt mari. Le choix de ne pas sous-titrer les paroles arabes des prières de Mary est aussi un choix intéressant, transformant ces mots en une sorte de langage intime, caché au spectateur omniscient.
En décidant de travailler pour Geneviève et son fils, Salomon, elle s’introduit peu à peu dans leur quotidien tout en maintenant le secret. Observatrice presque muette, son silence est aussi celui du poids du secret, de la découverte de la trahison et du deuil difficile. La sobriété sonore est en aussi en parfaite adéquation totale avec l’héroïne. Seuls le son de la mer et le bruit des goélands l’accompagnent la plupart du temps. Le point de vue omniscient adopté par Aleem Khan fonctionne à merveille, mettant les spectateur.rice.s dans la confidence du secret porté par Mary. Irrémédiablement lié.e.s à elle, nous ne pouvons que nous sentir concerné.e.s. Sa position d’anonyme la confronte également avec violence au quotidien que devait partager ponctuellement son mari. Le choc est total lorsqu’elle découvre Salomon et sa mère, assis devant la télévision, regardant des vidéos de famille d’Ahmed. Sur ces trois êtres pèse une double ignorance : d’un côté, Mary ne savait rien de la vie cachée de son mari, de l’autre, la seconde famille ignore tout de la mort d’Ahmed. Les spectateur.rice.s attendent avec hantise la révélation qui s’annonce d’autant plus violente que Mary se rapproche de Salomon et Geneviève tout en taisant la mort d’Ahmed, se faisant passer pour lui lors d’échanges de sms avec le jeune homme. Alors que Mary devrait être en colère ou au moins désirer la vengeance, elle tente de comprendre. Comprendre son mari et comprendre cette femme qui a toujours su qu’il y en avait une autre.
After Love est aussi l’histoire d’une rencontre. En vivant auprès de Salomon et Geneviève, elle s’attache à eux et partage des moments précieux à leur côté. Un jour, elle raconte au jeune homme les débuts de sa relation avec Ahmed. Bien que Salomon ne se doute pas de la profondeur de cet échange, pour les spectateur.rice.s, l’émotion de Mary est palpable. De plus, Salomon est l’enfant qu’elle n’a jamais eu. Le lien qui se crée entre eux est d’autant plus fort. Derrière le deuil d’une femme, il y a un passé qui se révèle, fait de petits riens : de cassettes enregistrées il y a longtemps pour être ensemble malgré la distance, de deux tasses de thé préparées, ou encore d’une manière de manger. Avec Salomon, Mary découvre une autre vie possible. Progressivement, After Love retrace avec sensibilité le chemin parcouru par Mary vers l’acceptation.
Manon Koken et Marine Moutot
- After Love
- Réalisé par Aleem Khan
- Avec Joanna Scanlan, Nathalie Richard, Nasser Memarzia
- Drame, Grande-Bretagne, France, 1h29
- Sortie nationale le 10 mars 2021 – Rezo Films
Un avis sur « [CRITIQUE] After Love »