[CRITIQUE] La Terre des hommes

Temps de lecture : 3 minutes

Constance veut reprendre, avec son fiancé, la ferme de son père, criblé de dettes. Pour cela, elle a besoin d’obtenir un prêt et demande de l’aide à Sylvain, un homme influent qui va profiter de la situation.

Présenté en avant-première aux Arcs Film Festival et sélectionné à la Semaine de la Critique cette année, La Terre des Hommes est le deuxième film de Naël Marandin. Après La Marcheuse (2006) qui racontait l’histoire d’une prostituée chinoise à Paris qui hébergeait contre sa volonté un homme à la fois dangereux et séducteur, le cinéaste français expose un monde d’homme où une jeune femme tente de faire sa place. 

Constance est une battante passionnée. Elle travaille sur l’exploitation avec son père et son fiancé et rêve de pouvoir reprendre la ferme. Dès l’ouverture du film, elle est montrée travaillant autant que les autres. Sa particularité est d’être une femme. Dans la salle du marché, elle est seule au milieu des hommes. Pourtant ce n’est pas une touriste, si son père prend encore les décisions, son regard est déterminé, elle sait ce qu’elle fait. Le réalisateur a très tôt été fasciné par cette ambiance énergique et sa théâtralité. Ces bêtes sont montrées aux enchères, examinées, détaillées, dans le bruit et le mouvement. Mais ce qui le marque le plus est l’absence de femmes. Il n’y en a que deux en tout : la serveuse de la buvette et la secrétaire de l’administration. Pendant dix ans, il réfléchit alors à en faire un film. Constance est frêle, mais possède une force intellectuelle et mentale qui va se développer tout au long du récit. Si au début, les hommes ne la regardent pas vraiment comme une anomalie ou une menace, à la suite de sa plainte pour viol elle devient un monstre, une horreur. Les yeux sont rivés sur elle, on se fige. Ceux qui l’abordent sont violents, arrogants et surtout agressifs. Ils se permettent de la toucher et d’être familiers avec elle. Une séquence particulièrement traumatique est au moment où elle repart seule du marché et que des hommes l’enferment dans un enclos et commencent à la mettre aux enchères. Cette scène violente insiste sur la perception d’objet de la femme : un corps à posséder, comme les bovins qu’ils exhibent sur le ring.  

Si Naël Marandin décide de placer Constance au centre, c’est pour montrer la cruauté de ce petit monde masculin. Dans la seconde partie du récit, le cinéaste touche au plus juste dans son récit. Quand Constance prend conscience que ce qu’elle a vécu est un viol. Alors qu’elle vient demander de l’aide à Sylvain, charismatique et protecteur, il l’allonge sur la table en la déshabillant. Elle ne se débat pas, elle ne crie pas, elle dit « non, s’il te plait, arrête ». Pendant de longs moments, le cinéaste veut montrer le doute qui habite Constance : a-t-elle désiré cette relation ? est-elle attirée par cet homme ? ou n’a-t-elle rien dit par peur de représailles, car cet homme lui a promis de l’aider dans son projet ? Le réalisateur donne la réponse dans la manière dont il filme les scènes d’amour entre Constance et son fiancé, Bruno. Nus, ils se regardent tendrement. Après le viol, la complicité a disparu et il ne reste que le poids, le lourd poids du secret : dans une séquence de rêve impressionnante, elle se fait écraser par un taureau. Pourtant le cinéaste ne réussit pas à capter le débat, le trouble et la panique intérieurs de Constance. C’est quand elle va porter plainte que le film parvient à montrer son isolement. Tandis qu’elle a été abandonnée par Bruno — qui l’a vu être embrassée par Sylvain le jour de leur mariage —, elle décide d’aller au commissariat. Le policier en face d’elle lui demande si elle est sûre de vouloir s’infliger car il n’y aura peut-être pas procès. Ce n’est pas les mots qui font mal, c’est le ton : blasé, ennuyé et peu motivé. Nous sentons que le parcours va être long. Une fois la plainte déposée, c’est là que le plus dur commence. Si son père s’excuse, le reste du monde lui tourne le dos. Sa témoin de mariage ose lui dire que si cela était vrai, elle lui aurait dit ou encore que cela « craint, a-t-elle pensé à la famille de Sylvain » ? Constance passe pour une femme avide de pouvoir et Sylvain pour une victime. Triste constat. 

Pourtant, Naël Marandin ne va pas assez loin. Il manque de la consistance à son personnage principal pour créer une véritable tension entre elle et son antagoniste. Si Diane Rouxel (Les Garçons sauvages, Bertrand Mandico, 2018) est une nouvelle fois excellente, tout comme Finnegan Oldfield (Les Cowboys, Thomas Bidegain, 2015) et Olivier Gourmet (Ceux qui travaillent, Antoine Russbach, 2019, également disponible pendant Le Festival des Arcs), Jalil Lespert n’est pas assez ambiguë. La Terre des hommes est ainsi une critique construite et intéressante de l’univers masculin des éleveurs de bovins, mais ne réussit pas à nous tenir en haleine.

Marine Moutot

  • La Terre des hommes
  • Réalisé par Naël Marandin
  • Avec Diane Rouxel, Finnegan Oldfield, Jalil Lespert
  • Drame, France, 1h36
  • Ad Vitam
  • 31 mars 2021

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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