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Martha va accoucher d’une petite fille. Avec son compagnon Sean, elle a décidé de faire naître son enfant à la maison. Sa sage-femme étant occupée, une autre femme vient l’aider. Alors que l’accouchement se complique, le bébé meurt. Martha et Sean vont prendre des chemins différents pour se reconstruire.
Le cinéaste hongrois Kornél Mundruczó, qui avait déjà réalisé les fulgurants White God (Fehér Isten, 2014) et La Lune de Jupiter (Jupiter holdja, 2017), revient avec un film plus intime sur le deuil. Ici, pas d’anormal, mais au contraire, le quotidien douloureux pour se remettre de la mort d’un enfant. La normalité poussée à l’extrême, les instants fugaces et les trouvailles pour survivre à celui qui nous laisse seul.e. Pourtant, le cinéaste utilise une nouvelle fois des prouesses techniques ingénieuses qui ne permettent pas aux spectateur.trice.s d’être réellement pris dans le tourbillon émotionnel que vivent les différents personnages. La séquence d’accouchement, qui dure environ 30 minutes et filmée par le talentueux Benjamin Loeb, surprend à la fois par sa force, mais aussi par sa superficialité. La puissance de la scène vient de cette douleur ininterrompue mise en œuvre par la fabuleuse Vanessa Kirby (The Crown, L’Ombre de Staline), mais la faiblesse vient que nous prenons conscience de l’exploit filmique qui éclipse alors la charge émotionnelle de la scène. Après cette ouverture-choc — et un peu longue —, le cinéaste installe le vide autour de Martha.
Kornél Mundruczó aime assécher son scénario d’émotion pour mieux la faire rejaillir. Pour l’exploiter dans une séquence clé qui libère l’héroïne et pulse le film d’une nouvelle énergie. Après l’accouchement vient le temps du deuil et de la souffrance. Chacun des protagonistes l’aborde différemment. Tandis que la douleur de Sean — interprété par Shia LaBeouf dont la violence intérieure et sourde gronde et donne de la profondeur au personnage — a besoin de faire savoir au monde que sa fille est morte et qu’il ne peut s’en remettre, celle de Martha est plus diffuse, plus ténue. Elle a besoin de retrouver un semblant de stabilité pour ne pas sombrer. Alors, elle va au travail, se renseigne sur les causes de la mort de son nourrisson. Mais elle ne prend pas volontairement de la distance avec son compagnon ou sa mère, Elizabeth — incarnée par la grande Ellen Burstyn (L’Exorciste, William Friedkin, 1973). Les deux sont nocifs pour elle, car ils cherchent à imposer leurs ressentis sur son vécu. Elle ne réagit pas comme eux voudraient qu’elle réagisse. Ainsi, plus que la souffrance du deuil, ce que le film nous montre est ce que devrait éprouver une femme qui vient de perdre son enfant. Manipulatrice, la mère est intrusive et castratrice. En plus de ne pas écouter le ressenti de Martha, elle la rabaisse. La sœur de Martha n’hésite pas de son côté à la faire culpabiliser, car Elizabeth est en train de perdre la mémoire. De l’autre côté, Sean lui impose ses désirs. Dans une séquence d’une rare violence, il tente de la violer. En consentant, Martha nie ses envies. Forcée de mettre la main sur son sexe, forcée d’avoir la main de son compagnon sur son sexe, elle agit par automatisme. Parce que ce que l’on apprend à une femme c’est de s’inhiber toute entière, de ne pas dire non, de subir le fantasme de l’autre. Ainsi Pieces of a woman montre avec crudité la violence qu’une femme doit supporter quand elle ne se conforme pas à la vision des autres. Le chemin qu’elle doit faire, elle doit le faire seule. L’éloignement salvateur qu’elle prend, elle le fait pour elle.
En choisissant de donner le corps de sa fille à la science, elle le fait par provocation, pour casser le cycle de la soumission à son compagnon et à sa mère. Quand elle fait pousser des pépins de pomme, elle le fait pour voir quelque chose grandir, pour voir la vie là où il n’y avait que la mort. Si elle semble se couper de ses émotions — contrairement à Sean et sa mère qui décident de porter en justice la sage-femme qu’ils tiennent pour responsable de la mort du bébé —, c’est pour appréhender la douleur autrement. La masquer est toujours plus facile, plus humain que de souffrir de plein fouet la disparition d’un être qu’on aime. Alors qu’elle doit comparaître au procès de la sage-femme, elle se plie à la volonté de sa mère et témoigne contre l’accusée. Pourtant, en allant chercher les photos de sa fille, l’émotion refoulée revient. Dans la chambre noire, nimbée de rouge, elle la voit pour la première fois. Cette enfant qui n’aura vécu que quelques instants lui aura également apporté du bonheur. Poignante, vibrante, cette scène met en lumière la douleur et le silence de ses dernières semaines. Ce qu’elle avait essayé de se cacher à elle-même.
Si quelques facilités dans le scénario rendent le film par moment un peu faible, l’évolution du personnage de Martha et sa sortie d’un cercle vicieux fait de manipulations et de faux-semblants reste passionnante. La scénariste Kata Wéber — qui a aussi écrit les précédents longs-métrages de Kornél Mundruczó — réussit à montrer avec finesse le voyage intérieur de cette jeune femme. En s’inspirant de sa propre expérience, elle parvient à mettre des actions sur des ressentis, des mots sur un vécu. Le pont en construction qui rythme le film est également le chemin que parcourt, lentement, mais sûrement Martha. Pièce après pièce, instant après instant, Pieces of a woman expose sans fard la violence du deuil.
Marine Moutot
Pieces of a woman Réalisé par Kornél Mundruczó Avec Vanessa Kirby, Shia LaBeouf, Ellen Burstyn Drame, États-Unis, Canada, Hongrie, 2h06 7 janvier 2021 Netflix
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