Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?
/!\ Cet article peut contenir des spoilers. /!\
Temps de lecture : 7 minutes
Une ombre qu’on aperçoit et qu’on croit reconnaître. Un mouvement derrière le rideau quand l’obscurité nous joue des tours. La silhouette derrière une fenêtre peut-être le fruit de notre imagination torturée ou apeurée comme la manifestation d’un désir enfoui au plus profond de nous. Dans Les Innocents (The Innocents, Jack Clayton, 1961), la gouvernante Miss Giddens croit voir le fantôme de l’ancien jardinier à plusieurs reprises. Si au début les apparitions sont brèves et ne permettent pas toujours d’identifier la silhouette qui se dresse dans le noir de la nuit ou dans le trouble du jour, au fur et à mesure des récits qu’elle entend sur le défunt, l’image se fait plus nette, plus intense et plus effrayante. Ce visage, par ailleurs, pourrait représenter la folie ou le désir de Miss Giddens. Le film ne donne pas une conclusion claire et précise, mais laisse le doute planer.
La fenêtre peut être le lieu du fantasme. Les spectateurs.trices peuvent croire y entrevoir quelque chose comme dans Fenêtre sur cour (Rear Window, Alfred Hitchcock, 1954), quand le photographe incarné par James Stewart présume voir l’assassin. Ou dans Body Double (Brian De Palma, 1985) où Jack espionne à longueur de journée sa voisine à travers la fenêtre et pense assister à son meurtre.
Le motif de la fenêtre est prégnant dans les films d’horreur où la tension est à son comble quand un personnage, monstre ou créature se glisse rapidement derrière cette ouverture. Furtives, la silhouette et l’ombre inquiètent car elles sont insaisissables. Ces visions incertaines troublent : est-on sûr.e.s d’avoir bien vu ? Quelle est la nature de l’être ? Charnel ou spectral ? Humain ou… autre ? Inquiétante, menaçante, la fenêtre est le maillon faible de la maison. Contrairement à la porte qui semble pouvoir résister aux attaques, elle se brise facilement. Elle permet d’épier ou d’être épié.e à son insu. Dans Relic (Natalie Erika James, 2019), Kay observe, par la fenêtre, sa mère qui s’éloigne et la suit pour tenter de percer le secret de sa disparition. Ce mois-ci, nous analysons, à travers trois exemples, une silhouette qui apparaît derrière une vitre : une présence funeste dans La Nuit du Chasseur de Charles Laughton (1955), le suspense de Psychose, d’Alfred Hitchcock (1960) et la parodie avec le célèbre espion OSS 117 – Le Caire, Nid d’espions de Michel Hazanavicius (2006).
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La Nuit du Chasseur, Charles Laughton, 1955
Juste avant son arrestation et sa condamnation à mort pour vol et meurtre, Ben Harper confie à son fils les 10,000$ de son braquage. Son ancien compagnon de cellule, le révérend Harry Powell, convoite la somme et décide de retrouver la famille pour mettre la main sur cette somme, cachée par les deux jeunes enfants du défunt, John et Pearl. Un jeu du chat et de la souris commence entre les enfants et ce vil personnage.
Comme nous l’évoquions dans l’introduction, la fenêtre est une cloison fragile, poreuse. Elle laisse passer les sons, les lumières, les formes provenant de l’extérieur. À l’instar des cauchemars, elle peut être le théâtre de projection, de représentation de notre imaginaire.
John raconte une histoire à sa petite sœur Pearl pour qu’elle s’endorme. Le regard des enfants, et celui du spectateur, se pose sur la projection des croisillons de la fenêtre sur le mur de leur chambre. Le lampadaire de la rue intègre ainsi des éléments du réel, de l’extérieur, à l’histoire que John déclame. Les lignes sont droites, parfaitement perpendiculaires, elles rappellent l’écran d’une salle de cinéma ou bien l’encadrement d’une scène de spectacle. C’est dans ce décor cinématographique/théâtral, que la première rencontre entre le Mal et l’innocence va avoir lieu au tout début du film.
L’histoire que John raconte à Pearl ne sort pas de nul part : un roi établi dans un château en Afrique confie sa fortune à sa fille et son fils. Un jour le roi est capturé par de vilaines personnes. Il commande à son fils de tuer quiconque tentera de voler son or. Le spectateur comprend aisément qu’il s’agit de l’histoire personnelle des petits Harper. La scène dévoile ici le cœur de l’action. Dans son rôle de conteur, John se substitue à son père l’espace d’un instant. Il est la figure rassurante, héroïque et protectrice pour sa sœur : en atteste sa position fière, poings sur les hanches, le regard au loin, guettant l’avenir et prêt à faire face aux dangers. Dangers qui ne se font pas attendre.
Lorsqu’il annonce dans son histoire le retour des méchants cherchant l’or du roi, l’ombre de John projetée par la lumière de la ville est engloutie par celle du révérend. Reconnaissable par le spectateur grâce à son chapeau, c’est par cette silhouette que les Harper découvrent son existence. Clin d’œil ici à ce qui s’apparenterait à un spectacle pour enfants : la petite Pearl désigne avec intérêt cette ombre qui est apparue, comme les petits font dans les représentations de guignol pour prévenir le héros de l’arrivée du méchant.
Alors que le fils aîné s’affirmait comme le maître de son histoire, l’ombre vient compromettre une fin qui lui semblait favorable (aux vues de sa position affirmée) et les rapports de force s’inversent. Le fils aîné est alors identifié comme antagoniste du révérend. Il jette un regard par la fenêtre et découvre par ses propres yeux son ennemi. L’ombre du Mal vient de s’abattre dans l’intimité de la chambre des enfants, elle vient envenimer l’espace même de leur imaginaire et de leurs rêves. Cette figure cauchemardesque réapparaîtra un peu plus tard. John et Pearl, ayant trouvé refuge une nuit dans une grange, aperçoivent au loin la silhouette du révérend à leur recherche. Cette fois-ci pas de fenêtre pour mettre en scène l’apparition. La vision de la menace est bien réelle.
Clémence Letort-Lipszyc
La Nuit du Chasseur
Réalisé par Charles Laughton
Avec Robert Mitchum, Shelley Winters, Lilian Gish
Thriller, Drame, Epouvante-horreur, États-Unis, 1h32, 1955
Les Productions Artistes Associés
Psychose, Alfred Hitchcock, 1960
/!\ Le texte qui suit dévoile un élément clef de l’intrigue /!\
Après avoir volé 40 000 $ à son patron, Marion Crane (Janet Leigh) fuit la ville et s’arrête dans un motel isolé, le Bates Motel.
Maître dans l’art de manipuler le spectateur, Alfred Hitchcock offrait en 1960 une parfaite leçon de cinéma. Scénario et mise en scène, truffés d’indices et de fausses pistes, conduisent à la surprenante révélation finale : Mme Bates n’existe pas, Norman et elle ne sont qu’une seule et même personne.
Tout au long du film, le cinéaste maintient le mystère et attise le soupçon envers la mère. Dès la bande-annonce, il évoque une femme “étrange”, “folle” (maniacal) et dominatrice. La première vision que Marion et le spectateur en ont, à la fenêtre du Bates Motel, est digne des chefs-d’œuvre du gothique. Sous la pluie battante, la nuit, le manoir ancien semble hanté. Une silhouette se profile et traverse lentement le cadre de la seule fenêtre éclairée, tel un spectre. Si la nature fantomatique de Mme Bates est ainsi d’ors et déjà indiquée, pour le spectateur ignorant de son statut, il est l’indice qu’une femme habite les lieux. En outre, comment penser qu’il puisse s’agir de Norman ? En sus de sa coiffure féminine, sa posture digne et sa démarche lente contrastent avec le personnage timide et nerveux qui apparaît quelques secondes plus tard.
Ainsi, la silhouette à la fenêtre a un double rôle. Couplée à l’architecture du manoir et au cadre spatio-temporel (un lieu isolé, la nuit), elle fait appel à l’imaginaire du spectateur pour instiller la méfiance. Tromperie mais non mensonge, elle indique une présence féminine sans pour autant révéler son visage, clef de l’intrigue. C’est à nouveau une ombre qui tue Marion, quelques minutes plus tard, puis une silhouette qui se jette sur le détective. Le suspense est ainsi créé par le savoir partiel du spectateur qui, dans l’ignorance de l’identité du coupable, ne peut que soupçonner et, manipulé par le cinéaste, se laisser surprendre – peut-être en partie, peut-être totalement – par la révélation finale, pièce essentielle du puzzle cinématographique.
Johanna Benoist
Psychose (Psycho)
Réalisé par Alfred Hitchcock
Avec Anthony Perkins, Janet Leigh
Thriller, Etats-Unis, 1h49, 1960
Universal Pictures France
En VOD sur CanalVOD, Orange et FilmoTV
OSS 117 – Le Caire nid d’espion, Michel Hazanavicius, 2006
1955. Hubert Bonisseur de la Bath, espion français sous le Président René Coty doit aller enquêter sur la mort d’un camarade au Caire en Égypte. Là-bas, il découvre que les Russes, les Anglais, les Allemands, se donnent une guerre sans merci pour garder le pouvoir, alors qu’une révolution se fomente. L’agent OSS 117 est le dernier espoir pour la France de comprendre et conserver la mainmise sur le pays.
Sur ton de mauvais goût assumé — dont la plupart passeraient avec plus de mal aujourd’hui, en particulier sur l’homosexualité et les femmes — le cinéaste Michael Hazanavicius remet sur le devant de la scène l’espion français OSS 117, en 2006, avec, dans le rôle-titre, Jean Dujardin. Le film se positionne clairement sur le ton de la parodie. Entre classe à la française et jeu de mots déplacés, le célèbre espion ne fait jamais rien de bien, mais il peut compter sur sa force physique et son sex appeal pour désarmer ses ennemis et s’en sortir.
Alors qu’il arrive au Caire pour enquêter sur la mort d’un autre agent, Hubert alias Lucien est escorté par la belle brune aux yeux marron, Larmina — interprétée par Bérénice Bejo — à l’usine de poulet qu’il dirige. Sous cette couverture de directeur, il doit comprendre dans quelle circonstance a été tué son camarade et ami. Ainsi, quand il visite l’entrepôt, il sent une présence dans le bureau. Il éteint les lumières et se positionne derrière la porte pour l’ouvrir brusquement et créer un effet de surprise. Deux plans filmés à l’intérieur du bureau nous montrent en champs et contrechamps l’homme assis au bureau qui attend et la porte derrière laquelle se cache OSS. Tout l’objet de ce court passage est la porte vitrée — ce n’est ainsi pas une vraie fenêtre, mais il y a une vitre. L’ombre de l’espion se dessine très clairement annulant tout effet de surprise et augmentant le ridicule de sa réaction.
Typique, cette position renvoie à l’image plus connue de James Bond au début des génériques, au moment où il va tirer. De plus, cette action s’ajoute à une longue liste de postures, expressions, jeux de mots et dialogues parodiques du film.
Marine Moutot
OSS 117 – Le Caire nid d’espion
Réalisé par Michel Hazanavicius
Avec Jean Dujardin, Bérénice Bejo, Aure Atika
Comédie, Action, France, 1h30, 2006
Gaumont Columbia Tristar Films
Disponible sur FilmoTV, Canal VOD, Orange
Retrouvez de nouvelles pépites le mardi 9 mars 2021. Nous proposerons plusieurs bons films dans lesquels quelqu’un est suspendu dans le vide.
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« La Nuit du Chasseur », ce chef-d’œuvre ! Sans doute l’un des meilleurs films de tous les temps.
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