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Années 1980. Allison vit en banlieue new-yorkaise avec son mari, Rory O’Hara et ses deux enfants. Un jour, Rory lui dit qu’on lui a proposé un boulot lucratif en Angleterre, son pays natal. Ils abandonnent tout pour aller vivre dans un manoir en pleine campagne anglaise.
Dès la première scène sur laquelle défile le générique, nous sentons l’enfermement, cette tranquillité insidieuse d’un pavillon de banlieue américaine. Le cadre cloître deux voitures. L’image surprend par sa noirceur. Jamais le film ne quitte ses tons sombres et même la lumière chaude vient renforcer cette impression lugubre. Puis Jude Law, qui incarne Rory, apparaît, il se prépare. Il va jouer un rôle. Tout n’est que fausseté : du rire au sourire, de la première respiration à la première phrase. Une nouvelle fois, le cinéaste canadien Sean Durkin réalise un film sur l’emprise. Après son excellent premier long-métrage, Martha Marcy May Marlene (2011), ce deuxième film réussit à capter et à montrer ce qui était alors considéré comme normal : la femme qui abandonne tout pour le mari.
Le réalisateur prend le temps d’installer les différents membres de la famille dans leur univers. Même si le portrait est rapide, deux choses nous frappent : la désolation du mari, qui ne fait rien de ses journées et celles bien remplies d’Allison, Samantha et Benjamin : ils ont leurs activités et leur équilibre. Puis, un matin, la routine se brise. Rory annonce qu’on lui a proposé un poste important dans son pays, en Angleterre, et qu’il faut déménager. Nous comprenons rapidement que ce n’est pas la première fois et que cette fois-ci devrait être la dernière. Et le mari culpabilise la femme. Il n’y a plus aucun argument à avancer, Rory aura toujours un coup d’avance. Pourtant, Allison (incarnée par Carrie Coon), cette fois-ci, ne le sent pas. Mariée depuis 10 ans avec lui, elle n’est jamais allée en Angleterre et n’avait que des retours négatifs de la part de Rory qui dénigrait ce qu’il ne pouvait avoir. Et là encore, après la culpabilité que la femme doit porter, c’est au tour de sa mère de lui faire comprendre que c’est au mari de s’occuper des choses matérielles et de pourvoir pour sa famille. L’avancée menée par les féministes dans les années 1970 voit ici un retour en arrière. Les années reaganiennes redonnent force aux valeurs patriarcales. La mère dit alors à sa fille de se préoccuper plutôt de sa ride qui barre le front qui ne devrait pas encore être là. Le physique passe avant tout, l’apparence compte plus que tout. Ce discours paternaliste qui fait que l’homme décide et que la femme suit sans rien dire est ce que dénoncent avec brio le scénario et l’ambiance pesante, presque inquiétante de la mise en scène. Cette norme, qui est encore souvent d’actualité, relève réellement de la machination.
En Angleterre, le masque tombe. Si en dix ans de vie commune, Allison avait conscience des défauts de son mari — elle garde toujours de l’argent de côté —, le vice est poussé à son maximum. Rory voit les choses en grand et doit en mettre plein la vue. C’est le jeu de l’illusion. Tout est faux. Si son fils biologique va dans la meilleure école du pays, c’est pour pouvoir se vanter devant ses connaissances. Peu importe que sa fille adoptive aille dans un mauvais lycée. Tout ce qu’il fait, du mensonge à l’hypocrisie, du vol à la duperie, il le fait pour appartenir à un monde qui l’a toujours rejeté. Son enfance merdique lui donne le droit d’agir comme le dernier des salauds. Beau parleur, à l’aise en public, cette façade se fissure plus rapidement qu’il ne l’aurait pensé. Sa femme ne le suit plus et est proche de la dépression. Son patron réalise bientôt sa médiocrité. Nous pourrions penser que ce masque qu’il a mis tant de temps à construire, il le garderait plus longtemps. Mais derrière le mensonge se trouve le vide. Son discours victimaire, sur une prétendue enfance perdue, ne justifie rien de ses actes. Au contraire, Rory, à force de trop jouer avec le feu, se brûle dans notre indifférence. Sean Durkin parvient à montrer un être pathétique sans pathos. L’émotion ne prenant jamais sa place dans le récit. Nous sommes plus proches d’Allison. Elle a finalement le plus perdu dans cette histoire, car Rory, étant passé maître dans l’art de l’illusion, se relèvera toujours. Dans la dernière séquence, quand il se met à pleurer en demandant pardon, Allison ne régit même plus. C’est Samantha qui vient le prendre dans ses bras et le guider à la table du petit déjeuner pour le ramener dans la cellule familiale brisée. Ce semblant de vie de famille étant un leurre et une nouvelle illusion. Nous ignorons où les personnages iront, mais une chose est sûre, leur destin ne sera jamais plus lié que par le dégoût et le mensonge.
Dans ce monde d’illusion, le cinéaste étudie le comportement de Rory qui souhaite intégrer une classe qui se croit supérieure. Il a construit toute sa vie — son départ aux États-Unis, son mariage — pour créer un mirage assez puissant pour retourner dans le monde des forts. Il arrive en grande pompe en Angleterre : c’est l’enfant prodigue qui revient. C’est celui qui va innover, rénover, inventer une nouvelle manière de faire. Son grand rêve de réussite sociale passe ainsi par l’asservissement de sa famille qui est là pour combler ses désirs. Allison est une belle Américaine qui lui a donné un bel enfant blond. Benjamin va dans l’école qu’il a toujours rêvé d’intégrer, quand bien même celui-ci se ferait agresser par ses camarades. Samantha est le maillon faible, elle ne représente rien. Fille adoptive — il montre alors de la générosité —, elle est laissée de côté dans les plans du maître. Pourtant, elle est la plus perspicace qui voit la situation telle qu’elle est réellement. Au « tu seras responsable de tes actions » d’Allison, elle lui répond qu’un homme prendra les choix pour elle. Cette vérité, qui fait mal, est dure à entendre. Mais Sean Durkin la montre sans complaisance : chacun est responsable de ses actes. Chacun paye le prix de ses erreurs. The Nest est un film qui prend le temps d’installer son récit et son ambiance. Loin du cliché de la femme hystérique et du mari violent, il propose au contraire un couple sans histoire aux apparences banales. Loin du thriller haletant, il préfère la fausse tranquillité de la vie de famille.
Marine Moutot
- The Nest
- Réalisé par Sean Durkin
- Avec Jude Law, Carrie Coon, Charlie Shotwell
- Drame, Canada, États-Unis, 1h47
- 9 février 2021
- Disponible sur MyCanal