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À l’issue de la première de son film, l’ambitieux réalisateur Malcolm et sa compagne Marie s’affrontent autour de vieilles rancunes accumulées, de maladresse et d’égo surdimensionnés.
Malcolm et Marie s’inscrit dans un contexte de production inédit : alors que la pandémie a suspendu tous les tournages, Sam Levinson réalise à l’abri des regards un huis-clos intime et passionnel entre deux êtres qui s’octroient le procès de leur romance au retour de soirée mondaine. La mise en œuvre a été possible grâce à l’étroite relation professionnelle qui lie Zendaya et Levinson. Leur collaboration sur la série Euphoria est prolongée dans un style qui ne diffère pas. Dans la série HBO comme dans cette production Netflix, le mot d’ordre est l’émotion : l’émotion à son paroxysme, l’émotion comme cataclysme, l’émotion cathartique explosant au gré de gestes et de paroles anodins. Comme le dévoile si bien le slogan dans la bande-annonce : « Ce n’est pas une histoire d’amour. C’est l’histoire de l’amour ».
C’est ainsi que se construit cette confrontation, au rythme de l’eau bouillante des macaronis, des verres que se sert Malcolm, des allers-retours aux toilettes de Marie. La tension s’invite dans le quotidien et déborde périodiquement. C’est la même partition jouée à plusieurs reprises. Une phase calme laisse la place à l’un des personnages de cogiter, puis d’évoquer une rancœur, élément déclencheur de l’explosion suivante. Enfin le calme revient. La construction narrative cyclique, comme on pourrait ainsi la décrire, n’est pas un mauvais choix tant elle offre à chaque figure du couple la chance de mener tour à tour les combats que forme cette bataille nocturne. Des interludes musicaux semblent définir les limites des querelles tant pour les personnages que pour les spectateurs. L’avènement de ces interludes est comme la cloche du ring des combats de boxe, on reprend son souffle pour mieux se relever au prochain round. Pertinent au premier abord, cet enchaînement perd rapidement de sa vitalité et les derniers affrontements nous paraissent vains. On assiste davantage à un acharnement psychologique et à un défoulement gratuit de la parole vengeresse.
La voix est donc au cœur de Malcolm & Marie. Les plans rapprochés sur les visages et les corps, ainsi que le noir et blanc filtre le décor et recentre notre attention. Levinson semble se débarrasser des artifices du décor pour se focaliser sur l’essentiel. Chaplin procédait de la même manière en continuant à tourner des films muets au temps du parlant afin de transmettre l’émotion avec le plus de justesse. À l’instar des deux épisodes spéciaux de sa série Euphoria, le réalisateur interroge la parole de manière générale : celle qu’on accorde aux autres, celle qu’on se refuse à soi-même. Que disons-nous ? Comment cela est-il perçu ? Sorte de laboratoire de l’acteur, c’est par la colère que Levinson apporte des éléments de réponse dans ses réalisations. Indéniablement trash, toujours empreint de blessures, les personnages sont les témoins d’un mal-être profondément ancré dans leurs valeurs professionnelles, sociétales, amoureuses et amicales. Malcolm & Marie ne déroge pas à la règle et fait état des dysfonctionnements dans la création artistique, dans l’industrie cinématographique, et dans la dynamique d’un couple que tout oppose. Loin des non-dits pouvant régir le couple, celui-ci fait le choix de la franchise et s’offre la possibilité de tout déconstruire afin de mieux se reconstruire.
L’épisode tumultueux de la vie de Marie et Malcolm a quelque chose de théâtral. Un décor unique, une distribution restreinte, des entractes musicaux, la mise en scène de ce duo à la recherche de leur équilibre fait écho – certes lointain – à la pièce de Pascal Rambert, Clôture de l’amour. Si l’œuvre théâtrale de Rambert met en scène deux monologues déclamés par un couple en pleine rupture, chez Levinson la tension est semblable et manque à plusieurs reprises de voler en éclat. On doute que le réalisateur ait connaissance du travail du dramaturge français, il est tout de même amusant de noter des similitudes dans la conception : entractes musicaux, écriture spécifiquement destinée à des interprètes (Audrey Bonnet et Stanislas Nordey pour Rambert, Zendaya et John David Washington pour Levinson)… On retrouve également la même problématique du placement des corps. Quand l’un parle, comment va se positionner l’autre ? Tantôt attentif, tantôt dans la fuite, tout est permis. La chorégraphie des corps se joint à la partition des dialogues et dévoilent à l’écran comme à la scène des instants artistiques complets.
Avec Malcolm & Marie, Sam Levinson ne s’éloigne pas des codes qui ont récemment fait son succès. En surfant sur la réussite de sa série, il offre à ses spectateurs le prolongement de son art à travers une œuvre habilement filmée et remarquablement interprétée. Le thème de la querelle est un prétexte à de nombreux questionnements artistiques et émotionnels auxquels le réalisateur apporte – vous le verrez – des prémices de réponses, tout en laissant à chacun sa propre interprétation. Si on tombe facilement dans les vertiges de cette romance sulfureuse, on déplore cependant des mouvements trop répétitifs sur la durée.
Clémence Letort-Lipszyc
Malcolm & Marie Réalisé par Sam Levinson Avec Zendaya, John David Washington Drame, Romance, États-Unis, 1h48 5 février 2021 Disponible sur Netflix
Un avis sur « [CRITIQUE] Malcolm & Marie »